Les pays africains ont activement participé à l’élaboration du Programme de développement durable, qui reconnaissait le rôle central de l’éducation dans la mise en œuvre de tous les autres plans pour un monde meilleur. Comme d’autres pays du monde, ils se sont engagés à mettre en place un programme d’éducation unique, renouvelé, holistique, ambitieux et inspirant, ne laissant personne au bord du chemin – l’Objectif de développement durable 4.
Plus précisément, au niveau régional, les chefs d’État et de gouvernement africains ont adopté une stratégie d'éducation ambitieuse pour contribuer au développement du continent. Cependant, entre autres conditions requises, la réalisation d'objectifs aussi ambitieux repose sur le droit des enseignant·e·s à accéder à des œuvres de création et à des connaissances et à les utiliser à des fins d'enseignement et d'apprentissage. Cependant, à l'heure actuelle, les lois sur les droits d'auteur, en particulier dans les pays africains, sont les plus restrictives, impliquent des coûts élevés et n'abordent pas l'utilisation d'œuvres numériques dans les établissements d'enseignement. En outre, il n'existe pas de législation sur les droits d'auteur harmonisée au niveau international qui permettrait la collaboration et les échanges éducatifs transfrontaliers.
Source: Nobre, T. (2019). Copyright and Educational Activities in Africa. Education International.
C’est également un sujet de préoccupation pour l’Afrique du Sud, où nous en sommes à la dernière étape de l’adoption d’un projet de loi sur les droits d’auteur depuis longtemps attendue, qui donnerait les moyens nécessaires aux enseignant·e·s et aux chercheur·euse·s tout en contribuant à un système de droits d’auteur plus équilibré à la fois pour les créateur·rice·s et les utilisateur·rices·s d’œuvres créatives. Nous pouvons voir comment, dans notre contexte, les acteurs régis par des considérations commerciales - y compris les grandes maisons d'édition internationales - diffusent beaucoup de désinformation et mettent en péril ce projet de loi pourtant si nécessaire. Les discussions à l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) semblent également être influencées par ces puissances commerciales.
Les 12 et 13 juin 2019, le South African Democratic Teachers Union(SADTU) a participé à un séminaire régional africain de l'OMPI sur les exceptions et limitations en matière de droits d'auteur pour les bibliothèques, les archives, les musées et les établissements d'enseignement et de recherche. La réunion a rassemblé des représentant·e·s de différents groupes intéressé·e·s par un échange de vues sur la manière d'améliorer les lois sur les droits d'auteur existantes afin de mieux servir les intérêts de toutes les parties prenantes impliquées dans la chaîne de création et d'utilisation des œuvres de création.
Ce séminaire de Nairobi a été une occasion manquée de relever les défis auxquels sont confrontés les systèmes éducatifs africains pour fournir un accès équitable aux œuvres de création pour l'enseignement et l'apprentissage. Les points de vue exprimés par des représentant·e·sde bibliothèques, d'archives, de musées, d'institutions d'enseignement et de recherche étaient en grande partie sous-estimés, les représentant·e·s gouvernementaux·ales ayant été clairement influencé·e·s par les discussions qui ont eu lieu lors d'une réunion de deux jours organisée par l'OMPI en prévision du séminaire régional. Les parties prenantes de l'éducation ont été exclues de cet événement et les acteurs commerciaux ont pris la parole pour promouvoir l'importance des solutions commerciales au lieu des solutions basées sur les droits, y compris la nécessité de bonnes exceptions aux droits d'auteur pour une éducation de qualité et le développement de sociétés prospères.
En fait, imaginons un monde sans exceptions. Les détenteur·rice·sde droits d'auteur disposeraient alors d'un monopole complet sur l'accès et l'utilisation des documents protégés par les droits d'auteur dans les établissements d'enseignement. Ce qui signifie que toute utilisation d'une œuvre protégée par les droits d'auteur serait soumise à l'autorisation du·de la propriétaire (et/ou au paiement d’une certaine somme). Les enseignant·e·s ne devraient jamais avoir à porter ce genre de fardeau. Malheureusement, les lois sur les droits d'auteur de la plupart des pays africains n'ont pas été mises à jour depuis des années et ne sont plus adaptées aux besoins, ce qui oblige de nombreux·eusesenseignant·e·s à travailler dans des zones floues sur le plan juridique. Une étude récente menée par l'Agence française de développement en 2018 sur la législation en matière de droits d'auteurs dans l'Union économique et monétaire de l'Afrique de l'Ouest (UEMOA) a révélé que les lois sur les droits d'auteur de ces pays sont obsolètes et non harmonisées. La même étude révèle que le problème majeur dans le domaine des droits d'auteur dans les pays de l'UEMOA est le piratage à l'échelle industrielle et non les exemptions. Les directeur·rice·sd’offices des droits d'auteur devront impérativement examiner ces résultats et engager un dialogue avec leurs ministères nationaux de l'Éducation sur la manière de véritablement œuvrer à la réalisation de l'Objectif de développement durable (ODD)4. Cette discussion n'a manifestement pas été facilitée par l'OMPI, à qui il faudrait rappeler que l’ODD 4 et le Cadre d’action Education 2030 associé constituent un engagement et un effort mondiaux. La vision est de transformer des vies grâce à l'éducation, en reconnaissant le rôle important de l'éducation en tant que moteur principal du développement et de la mise en œuvre des autres ODD proposés.
Comment les pays africains s'attendent-ils à concrétiser cette vision et cet engagement s'ils ne travaillent pas pour des cadres législatifs internationaux appelant à l'harmonisation des lois nationales sur les droits d'auteur afin de permettre à tous les enfants de bénéficier d'une éducation de qualité?
De même, le quatrième Principe directeur pour la mise en œuvre de la stratégie continentale d'éducation pour l'Afrique reconnaît que « des systèmes d'éducation et de formation harmonisés sont essentiels à la réalisation de la mobilité inter-Afrique et l'intégration scolaire par la coopération régionale ». Pourtant, les pays africains semblent les moins préparés à l’adoption d'un instrument international d'harmonisation des lois sur les droits d'auteur en ce qui concerne les exemptions à des fins d'enseignement et de recherche.
La question qui se pose est de savoir comment le continent africain espère concrétiser le rêve mondial de garantir que toutes les filles et tous les garçons aient accès à une éducation inclusive de qualité si les matériels d'enseignement et d'apprentissage sont soumis à des licences commerciales, les rendant ainsi inaccessibles aux enfants - en particulier dans les pays en développement.
L’histoire est là pour aider à guider les générations présentes vers un avenir meilleur. Dès 1880, la Convention de Berne nous enseigne qu'il est nécessaire de protéger les droits fondamentaux des utilisateur·rice·s, ce qui ne porte pas atteinte aux droits des créateur·rice·s. Le Traité de Marrakech nous dit que nous devons être attentif·ive·s aux moins fortuné·e·s dans nos efforts pour protéger les droits des auteurs et des producteur·rice·s. Mais la leçon la plus importante à tirer de ces deux accords est qu’il est plus facile et plus raisonnable d’adopter un cadre juridique international et de l’intégrer ensuite aux niveaux régional et national. Pourquoi ne pas faire la même chose pour les établissements d'enseignement, de recherche et les institutions de gestion du patrimoine culturel à l'heure où les lois sur les droits d'auteur sont modifiées pour s'adapter à l'ère numérique et où la coopération et la collaboration transfrontalières sont devenues le principal mode opératoire des établissements d'enseignement et de recherche ainsi que des entreprises internationales?
Les syndicats d'enseignants doivent jouer un rôle actif dans les réformes des droits d'auteur pour s'assurer que les enseignant·e·s et les chercheur·euse·s, en particulier dans les régions les moins développées du monde, ne sont pas privé·e·s de leur droit d'utiliser et de s'appuyer sur des œuvres de création pour l'enseignement, l'apprentissage et la recherche. C’est la raison pour laquelle le SADTU et 390 syndicats de l’éducation du monde entier ont adopté une résolution internationale appelant à adopter un instrument international sur les droits d’auteur pour l’éducation et la recherche.
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