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#WDR2018 à l’épreuve des faits n°22: « Importance de l'apprentissage et Rapport sur le développement dans le monde 2018 », par Keith M Lewin

Publié 10 avril 2018 Mis à jour 11 avril 2018
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Pour la toute première fois, le Rapport de la Banque mondiale sur le développement dans le monde (RDM), intitulé cette année « Apprendre pour réaliser la promesse de l'éducation », consacre 240 pages à l'éducation et à la formation. Il est surprenant que cela ait pris autant de temps, alors que l'on sait que le principal objectif de la Banque mondiale consiste à financer le développement et que les pays à faible revenu consacrent généralement plus d'argent à l'éducation qu'à d'autres secteurs, exception faite de la défense. Les auteur(e)s doivent être félicité(e)s pour le caractère encyclopédique de leurs réflexions et les innombrables analyses descriptives qui nous sont offertes. Mais, inévitablement, toutes les attentes n'ont pu être satisfaites et la voie à suivre pour réaliser « la promesse de l'éducation » demeure toujours hors d'atteinte.

Le RDM 2018 nous invite essentiellement à constater que nous sommes en présence d'une nouvelle crise de l'apprentissage et que la plupart des pays doivent « montrer qu’ils attachent vraiment du prix à l’apprentissage ». S'ils y parviennent, ils pourront échapper au « piège du faible niveau des acquis scolaires » amenant à un nivellement des faibles niveaux d'apprentissage liés aux faibles niveaux de degré de responsabilité (p. 195). Les éléments factuels attestant ce « piège » restent cependant épars compte tenu du peu de données longitudinales disponibles concernant l'apprentissage. Si ce piège existe réellement, il n'a en tous cas pas eu d'effet sur la progression des pays ayant enregistré des hauts niveaux de performance, grâce aux stratégies d'investissement du 20e siècle pour l'éducation. Si les pays accusant un retard doivent adopter différentes règles du jeu, quel est ce nouveau jeu et quelles en sont les nouvelles règles ?

Le RDM affirme que trois stratégies indispensables doivent être mises en place au niveau du système:

·         Apprécier les acquis — pour faire de l’apprentissage un objectif sérieux.

·         Agir à la lumière de données factuelles — pour mettre l’école au service de l’ensemble des apprenant(e)s.

·         Aligner les intérêts — pour que le système tout entier favorise l’apprentissage.

Phil Coombs [1], le premier à écrire à propos d'une crise de l'apprentissage en 1967, aurait été du même avis. Tout comme l'auraient été John Dewey, Ralph Tyler, Lee Cronbach, Ben Bloom, Jean Piaget, Maria Montessori, Howard Gardner, et bon nombre d'autres éducateurs/trices de renom qui ont décidé de « prendre l'éducation au sérieux », mais qui ne sont pas cité(e)s. Pas plus que l'on ne parle des intellectuel(le)s non occidentaux/ales qui ont consacré leurs travaux à la question de l'apprentissage. Il s'avère particulièrement étrange que cette « crise de l'apprentissage » ne se réfère aucunement à la Chine, pays qui est parvenu à relever le niveau des acquis d'apprentissage d'un plus grand nombre d'étudiant(e)s que n'importe quel autre pays au cours de ces 30 dernières années. Phil aurait demandé ce que le RDM considère comme nouveau par rapport à cette crise de l'apprentissage mondiale, qui sont les éducateurs/trices qui ne pensent pas (aujourd'hui encore) que l'apprentissage est un objectif sérieux, et ce que nous (les partenaires du développement) avons appris depuis 1967 à propos des pédagogies et du changement de l'ensemble du système.

Cette contribution au débat entourant le RDM met en lumière les principales questions que ce dernier passe sous silence. Sur 240 pages, seules 5 abordent explicitement les questions de financement. S'il existe réellement une crise de l'apprentissage, alors celle-ci est en grande partie une crise financière. A l'instar de Steve Klees, [2] je suis tout aussi étonné de constater qu'un rapport d'une telle importance, truffé d'informations intéressantes, puisse à ce point éluder la question centrale du financement durable. Cela fait maintenant 18 ans que le Président de la Banque mondiale a déclaré à l'occasion du Forum mondial sur l'éducation, réuni en 2000 à Dakar, qu'il ferait en sorte qu’« aucun gouvernement employant une stratégie crédible pour réaliser l’Education pour Tous (EPT) n’y échoue en raison d’un manque de ressources ». S'agissant de l'EPT, il était question à la fois de l'apprentissage et de l'accès.

Le RDM aurait dû se pencher sur sept points en rapport avec le financement, mais ne l'a pas fait.

Premièrement, les récents modèles de représentation du Partenariat mondial pour l’éducation (GPE) (Lewin 2017 [3]) indiquent que si l'on souhaite instaurer la scolarisation universelle dans les pays en développement partenaires du GPE, les montants nécessaires pour l'éducation devraient correspondre à 6,2 % du PIB dans les pays à faible revenu (PFR) et à 6,3% dans les pays à revenu faible et intermédiaire (PRFI). [4] Le montant total des dépenses publiques réservé à l'éducation s'élève  à environ 19 milliards de dollars américains dans les PFR et à 68 milliards de dollars américains dans les PFRI, soit respectivement 3,8 et 4,8 % de leur PIB. Ces montants tiennent compte de l'aide au développement. Atteindre 6 % du PIB signifierait trouver un montant supplémentaire de 13 milliards de dollars américains par an pour les PFR et 22 milliards de dollars américains pour les PRFI, soit un total de 35 milliards de dollars américains par an. Aucun projet envisageant la mise à disposition de tels budgets récurrents supplémentaires n'étant prévu, quel est le plan B ? Un RDM consacré à l'apprentissage devrait en étudier le coût, ainsi que les moyens de disposer des montants nécessaires au travers de plans crédibles.

Deuxième point, le Cadre d’action Education 2030 auquel adhère la Banque mondiale déclare que « tous les pays sont appelés à se conformer aux références internationales et régionales en allouant à l’éducation au moins 4 à 6 % de leur produit intérieur brut et/ou au moins 15 à 20 % des dépenses publiques ». Pourtant, 40 % des PFR et des PRFI consacrent moins de 4 % de leur PIB à l'éducation (dont un tiers correspond à l'aide au développement) et moins de 15 % y consacrent plus de 6 %. Moins de 20 % des PFR et des PRFI allouent plus de 20 % du budget de l'Etat à l'éducation. En imaginant que les Etats consacrent 20 % de leur budget à l'éducation et que le montant des recettes fiscales issu du revenu national correspond à la moyenne de 16 % du PIB des PFR et des PRFI, alors l'investissement dans l'éducation ne s'élèverait qu'à 3,2 % du PIB, soit 20 % de 16 %. Autrement dit, les gouvernements devraient puiser plus de 30 % dans leur budget pour atteindre 6 % de leur PIB. Ceci ne peut être réalisé qu'au travers de coupes budgétaires considérables et invraisemblables dans les dépenses des gouvernements opérées par d'autres ministères. Il convient d'améliorer l'efficacité et l'efficience de l'apprentissage, mais le RDM n'explique ni les moyens permettant d'y parvenir ni le type de réforme fiscale pouvant s'avérer le plus prometteur.

Troisième point, l'aide destinée à l'éducation est plafonnée depuis 2010 à 12 milliards de dollars américains par an et rien n'indique de façon convaincante une quelconque volonté de recommencer à en accroître le montant. La récente Conférence de reconstitution du GPE, organisation sœur de la Banque mondiale, a permis de lever auprès des bailleurs de fonds près de 2,3 milliards de dollars américains de financement pour une période de trois ans, soit 800 millions de dollars américains par an. Ce montant reste bien en deçà des attentes et n'est que très légèrement supérieur à celui enregistré en 2014. Ceci ne représente environ que 2 % du montant supplémentaire nécessaire au financement récurrent dans le cadre du programme Education 2030. Si cette somme était répartie entre 50 pays, chacun d'entre eux ne se verrait allouer que 16 millions de dollars américains par an. Les engagements qu'ont pris les Etats à l'occasion de la Conférence de reconstitution du GPE en vue d'accroître leurs investissements dans l'éducation s'élevaient à 110 milliards de dollars américains, un montant nettement supérieur aux 26 milliards promis en 2014 et en comparaison duquel l'aide publique au développement semble bien dérisoire. Toutefois, l'expérience du passé a démontré que le respect de ces engagements financiers n'a été que relativement parcellaire, que les gouvernements n'ont guère honoré bon nombre de leurs promesses et que certains engagements en matière d'aide n'ont jamais été concrétisés. S'il existe réellement une crise de l'apprentissage, la reconstitution de 2014 ou l'investissement de 50 milliards de dollars américains réalisé par la Banque mondiale depuis 2000 n'aura pas permis de l'éviter. Dès lors, quelles leçons peut-on tirer de ce constat pour l'aide future?

Quatrième point, bien que quelques groupes s'évertuent à trouver des méthodes de financement alternatives pour investir dans le secteur de l'éducation dans les PFR, il leur faut encore démontrer comment générer le montant du financement récurrent nécessaire pour pouvoir répondre aux besoins. Rien de surprenant à cela. Aucun système éducatif national hautement performant et à haute fréquentation ne recourt à un modèle de financement innovant pour alimenter la majeure partie de ses systèmes scolaires. Pas plus que l'essentiel de leur financement ne provient du secteur privé. Peu nombreux, les intervenants privés dans les PFR et les PRFI sont peu susceptibles et peu désireux de financer des systèmes d'éducation offrant des services à une frange de la population proche ou en dessous du seuil de pauvreté.  Divers rapports s'intéressant aux méthodes de financement innovantes identifient toute une série d'instruments financiers plus ou moins originaux, aussi variés que le rachat de la dette, la possibilité de tirer avantage d'une augmentation de l'emprunt par les Banques de développement multilatérales, les obligations pour le développement, les contributions philanthropiques et le financement participatif. Aucune de ces approches ne garantit un investissement à long terme fiable, capable de couvrir les coûts récurrents liés à l'apprentissage. Le RDM devrait décrire en détail les possibilités de financement, ainsi que l'impact des différentes options sur l'apprentissage, les types de contenu et les apprenant(e)s auxquel(le)s ils sont destinés.

Cinquième point, il reste à démontrer s'il existe réellement un « piège du faible niveau des acquis scolaires » amenant à un nivellement des faibles niveaux d'apprentissage. Certaines preuves démontrent en tous cas un nivellement des dépenses publiques réservées à l'investissement dans l'éducation au sein des PFR.  Ce phénomène s'est avéré récurrent. Comme l'a fait remarquer Coombs en 1985, [5] l les dépenses de l'ensemble des pays en développement est passé en, moyenne de 2,3 % du PIB en 1960 à 4 % en 1979. La proportion des dépenses publiques allouées à l'éducation dans les pays en développement est passée de 12 à 15 % entre 1960 et 1975.  A l'époque de la Conférence de Jomtien, notre analyse (Colcough et Lewin-1990 [6]) indiquait que les PFR allouaient en moyenne 4 à 5 % de leur PIB à l'éducation et près de 15 % de leurs dépenses publiques. Au cours de ces trois dernières décennies, jusqu'à l'actuel Institut de statistique de l'UNESCO, les données montrent que les moyennes restent stables, environ 4 % du PIB et 15 % des dépenses publiques sont consacrés à l'éducation. Il s'agit du niveau sur lequel se sont alignés bon nombre de systèmes à long terme.  Fixer des cibles arbitraires pour l'investissement dans l'éducation sans tenir compte des demandes de financement dans d'autres secteurs revient à ignorer ce qui semble manifeste. Si le budget de l'éducation calculé en pourcentage du PIB augmente, alors d'autres budgets doivent être réduits. Si la crise de l'apprentissage est en partie financière, le RDM doit proposer une théorie permettant d'expliquer cette « résistance au changement », afin de pouvoir financer l'apprentissage en augmentant sa part de budget, malgré les centaines de milliards de dollars apportés par l'aide publique au développement.

Sixième point, le moyen le plus rapide d'augmenter la part des dépenses publiques allouée à l'éducation est d'envisager une récession économique! Ce phénomène a pu être observé au Royaume-Uni. Le montant des dépenses publiques alloué à l'éducation, calculé en pourcentage du PIB a été augmenté de 4,9 à 5,8 % entre 2008 et 2010. Pour un(e) simple observateur/trice, ceci aurait pu indiquer une volonté soudaine de s'engager à allouer 18 % de ressources supplémentaires à l'enseignement public. Mais en réalité, l'investissement national n'est passé que d'environ 79 milliards à 84 milliards, soit plus ou moins 6 % du PIB, à un moment où l'inflation enregistrait une augmentation de près de 4 % par an. Cette augmentation apparente de l'investissement dans l'éducation s'explique en grande partie par une diminution de 20 % du PIB du Royaume-Uni.  Le message est simple. La volatilité du PIB est plus grande que celle de la plupart des dépenses consacrées à l'éducation. Evaluer les efforts consentis par les gouvernements dans le domaine de l'éducation et les récompenser au travers de l'aide pour avoir atteint des objectifs arbitraires et isolés est, à tout le moins, risqué et peut paraître irraisonnable. Le RDM aurait dû s'employer davantage à définir des indicateurs plus pertinents.

Dernier point, la bonne nouvelle est que les systèmes mis en place pour augmenter le revenu national se modernisent. Ceci transforme lentement les modèles de financement de l'éducation ainsi que les « écarts » entre ce qui est actuellement financé et ce qui est nécessaire. Les flux de l'aide publique au développement ont atteint leur pic au début des années 1990 et la plupart des PFR ont enregistré une croissance économique importante. Entre 1986 et 1995, l'aide allouée à l'Afrique était supérieure aux recettes fiscales. Depuis, elle a diminué pour s'aligner sur le PIB et les recettes fiscales sont aujourd'hui deux fois plus élevées que le montant de l'aide. C'est ce qui est supposé se produire lorsque les pays se développent et que les programmes sont efficaces. Lorsque les pays se développent, l'imposition directe représente une plus grande part du revenu et devient plus difficile à éviter grâce à l'amélioration de l'identification biométrique et du suivi des transactions.

Cette évolution des PFR, se transformant ainsi en « Etats à caractère fiscal » ayant la capacité d'emprunter pour investir et se développer sans se tourner vers l'aide et ses conditionnalités, revêt une importance considérable. Elle offre en effet de nouvelles perspectives pour le financement à l'échelle. Deux fois plus de pays africains (20) ont pris des euro-obligations en 2015 par rapport à 2004. Il est désormais possible d'utiliser davantage les ressources de l'Afrique détenues actuellement dans les Fonds de pension (au moins 334 milliards de dollars américains) et les Fonds souverains (au moins 164 milliards de dollars américains), dont la majeure partie pourrait être investie dans les PFR et les PRFI. Par ailleurs, l'évasion et la fraude fiscales des entreprises avoisineraient les 50 à 100 milliards de dollars américains.

Les recettes fiscales, et non pas l'aide, représentent la principale source de finances publiques dans la plupart des pays, lesquels devraient encore être plus nombreux d'ici 2030. Si une nouvelle crise de l'apprentissage devait se produire, celle-ci serait localisée et résolue dans le cadre des politiques économiques et des programmes nationaux des gouvernements, responsables devant leurs contribuables d'investir équitablement et efficacement. Les seules solutions durables seront nationales. Améliorer significativement l'accès à l'éducation et la qualité de cette dernière en vue de relever durablement le niveau des acquis scolaires implique la mise en place d'une réforme fiscale sérieuse, une collecte beaucoup plus efficace des recettes fiscales et une prise de conscience du coût de l'apprentissage. Ces différents éléments devraient être au cœur des débats entourant la « réalisation de la promesse de l'éducation », sans quoi les fruits de l'apprentissage ne seront guère durables.

La Banque mondiale se veut efficace pour le financement mais pas nécessairement pour l'apprentissage. Elle devrait également se montrer efficace lorsqu'il s'agit de développer des systèmes de financement durables pour l'apprentissage. Il importe que le RDM explique les moyens d'y arriver, afin d'éviter aux émules universitaires de Phil Coombs de devoir réécrire un nouvel ouvrage consacré à la crise mondiale de l'éducation en 2030.

[1] Coombs P 1968 The World Education Crisis: A Systems Analysis. OUP. Oxford

[2] Klees S J (2018)  #RDM2018 Reality Check #9: A Critical Analysis of the World Bank’s World Development Report on Education. https://worldsofeducation.org/en/woe_homepage/woe_detail/15634/RDM2018-reality-check-9-a-critical-analysis-of-the-world-bank’s-world-development-report-on-education-by-steven-j-klees

[3] Lewin K M 2017, The Educational Challenges of Transition; Key Issues Towards 2030. Partenariat mondial pour l'éducation, Washington DC http://www.globalpartnership.org/content/educational-challenges-transition-key-issues-2030

[4] Dans ce cas, près de la moitié des enfants des PFR n'auraient pas accès au cycle supérieur de l'enseignement secondaire. Offrir un accès universel aux établissements préscolaires augmenterait de 15 % le montant total des coûts.

[5] Coombs, P 1985 The World Education Crisis in Education: The View from the Eighties OUP Oxford

[6] Colclough C. and Lewin K M, (1990) Educating All the Children; Strategies for Primary Education in Developing Countries. Document de la Conférence mondiale sur l'éducation pour tous, UNICEF, New York

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