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« Le leadership enseignant après une pandémie #2 : tirer les leçons », par Barnett Berry.

Publié 27 mai 2020 Mis à jour 27 mai 2020
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"Il est de plus en plus improbable que nous puissions améliorer les performances des écoles… sans promouvoir un leadership de l’enseignement par des enseignant·e·s." – Judith Warren Little (1988) --

La COVID-19 a arraché le pansement que constituaient les efforts récemment déployés pour améliorer l’enseignement public – des exigences plus strictes en matière de programmes scolaires et une évaluation des enseignant·e·s basées sur des tests. La pandémie a ainsi mis en lumière les inégalités profondes dans les possibilités d’apprentissage des jeunes et la manière dont les approches descendantes de réforme de l’éducation manquent inévitablement leur but, parce qu’elles ne tiennent pas de l’ensemble des facteurs extrascolaires qui portent atteinte aux résultats des élèves. La COVID-19 a également montré que la plupart des écoles ne sont pas organisées pour répondre aux besoins des enfants si essentiels pour les résultats scolaires et la réussite dans la vie.

La fermeture des écoles a rendu douloureusement visible le rôle précieux que les enseignant·e·s peuvent jouer non seulement dans l’enseignement, mais aussi dans le soin des élèves. Ben montre que le personnel enseignant prend des initiatives audacieuses. Et Armand souligne que la technologie a montré qu’elle n’est pas la panacée en période de pandémie et que les enseignant·e·s sont à la manœuvre pour dispenser les types d’enseignement personnalisé et centré sur les élèves que chaque enfant mérite et dont chaque enfant a besoin.

Malgré l’absence d’accès à l’internet haut débit de tant d’élèves, les enseignant·e·s ont été bien plus loin que leur mission pour s’assurer que leurs élèves approfondissaient leur apprentissage, à mesure que la crise permettait à un grand nombre d’entre eux·elles d’innover et d’enseigner en dehors du programme et des cours préformatés conçus pour améliorer les résultats de tests standardisés. Une grande partie du corps enseignant a recours à tous les outils à sa disposition – texte, téléphone, télévision, radio et systèmes de gestion de l’apprentissage ou de vidéoconférences, sans oublier la réalité virtuelle. Nombre d’enseignant·e·s expérimentent également d’autres formes de pédagogie inimaginables auparavant.

Bien évidemment, dans la plupart des pays, le leadership enseignant est encore en plein développement, en partie parce que la majorité des enseignant·e·s ne sont pas assez impliqué·e·s dans les politiques d’apprentissage et d’enseignement, et en raison du temps et de la possibilité limités dont il·elle·s disposent pour apprendre les uns des autres et partager leur expertise. Il existe toutefois des exceptions. Des nations extrêmement performantes, comme Singapour et la Finlande, ont mis en place des systèmes bien développés de leadership enseignant (le premier est très formel, alors que le second est extrêmement informel).

La pandémie a clairement montré que le leadership enseignant ne peut plus se définir comme une poignée d’expert·e·s de la salle de classe qui peuvent grimper quelques échelons sur une échelle hiérarchique supplémentaire. Il doit être vu comme le fait que le travail collaboratif et informel des enseignant·e·s produit des effets plus forts sur l’amélioration des écoles que les efforts formels menés par les administrateur·trice·s des établissements scolaires. La crise commence à inciter ces administrateur·trice·s à repenser les personnes et les programmes enfermés dans des silos afin qu’ils servent l’enfant dans sa globalité, à savoir la santé académique, physique et mentale de chacun·e de nos élèves. Elle commence à pousser les services sociaux et les organismes de soins de santé à collaborer avec les districts scolaires. Elle commence à encourager une réflexion sur les formes archaïques d’organisation de l’instruction et à sortir du modèle d’enseignement et d’apprentissage fondé sur un·e enseignant·e par classe.

Ces dernières années, les chercheur·euse·s ont beaucoup appris sur la manière dont les enseignant·e·s apprennent à diriger et dont leur leadership améliore les résultats des élèves (et compense les pénuries actuelles d’enseignant·e·s). Aux États-Unis, 3 enseignant·e·s sur 4 apprennent de leur côté, en dehors des systèmes scolaires, et 1 sur 3 diffuse son expertise par l’intermédiaire d’un éventail de plus en plus large de réseaux formels et informels, où leur expertise est de mieux en mieux connue du public.

De par le monde, le mouvement prend de l’ampleur, alors que la Commission de l’éducation présente désormais de nouvelles configurations des personnels de l’éducation qui encadrent des équipes d’apprentissage utilisant des données factuelles communes pour transformer l’enseignement et l’apprentissage. Les syndicats de l’éducation réclament de nouveaux systèmes de leadership. Aux États-Unis, l’ Arizona State University montre le rôle que la formation des enseignant·e·s peut jouer dans la refonte de la profession enseignante, en définissant de nouveaux rôles pour les élèves enseignants et en créant des structures d’équipes pour les éducateur·trice·s en fonction.

Nous voyons que les administrateur·trice·s et les enseignant·e·s imaginent ensemble une nouvelle affectation des effectifs dans les écoles de plus d’un équivalent temps plein, comme c’est le cas du système éducatif de Singapour et ce qui prévaut dans l’enseignement supérieur. Nous commençons à observer que les systèmes scolaires peuvent attirer des professionnel·le·s de différents secteurs au profit de l’enfant dans sa globalité et qu’une collaboration intersectorielle peut libérer du temps et de l’argent et rassembler des enseignant·e·s autrefois enfermé∙e∙s dans des silos. Nous voyons émerger un groupe d’enseignant·e·s bien préparé·e·s et pleinement qualifié·e·s au cœur du système éducatif. Nous espérons qu’il·elle·s répondront aux normes pratiques les plus élevées, à l’instar de nos médecins les mieux qualifiés et bien utilisés, qui collaborent avec un large éventail de spécialistes, technicien·ne·s, expert·e·s, bénévoles, professeur·e·s d’université et élèves.

La transformation du leadership enseignant se produira en trois vagues :

1.   Les administrateur·trice·s documentent plus soigneusement la manière dont le personnel enseignant dirige et innove.

2.    Les districts scolaires et les autorités éducatives nationales reconnaissent l’expertise des enseignant·e·s et repensent les horaires et les calendriers afin de faire en sorte que davantage d’expert·e·s de la salle de classe puissent diriger sans quitter la salle de classe, notamment en réinventant l’évaluation et la reddition de comptes dans l’éducation.

3.    Le système d’éducation du préprimaire au supérieur est unifié avec d’autres organisations communautaires et offre un soutien en santé physique et sociopsychologique, des programmes extrascolaires et une formation pour le perfectionnement professionnel du personnel.

Pendant la majeure partie de son histoire, l’éducation a été une entreprise socialement conservatrice. Toutefois, alors que tout le monde veut que les écoles s’améliorent, seules quelques personnes souhaitent qu’elles soient différentes de ce qu’elles ont connu lorsqu’elles y étudiaient. La crise provoquée par la pandémie nous débarrassera peut-être de notre sagesse traditionnelle pour nous faire passer à un système d’apprentissage centré sur l’élève et d’instruction mue par des enseignant·e·s qui enseignent et dirigent.

Il y a plusieurs décennies, Judith Warren Little, éminente spécialiste du leadership enseignant, a affirmé qu’il « était de plus en plus improbable que nous puissions améliorer les performances des écoles… sans promouvoir un leadership de l’enseignement par des enseignants et enseignantes ». Aujourd’hui, dans l’après-COVID-19, il sera impossible que les écoles enseignent et servent les élèves sans un leadership enseignant audacieux pour un système général d’éducation de l’enfant dans sa globalité.

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Note : cet article est l’un des trois extraits de « Teacher Leadership in the Aftermath of a Pandemic: The Now, The Dance, The Transformation», de Barnett Berry, Armand Doucet et Ben Owens. Vous pouvez lire les deux autres extraits ici : « Le leadership enseignant après une pandémie #1 : le bilan», par Ben Owens et « Le leadership enseignant après une pandémie #3 : aller de l’avant», par Armand Doucet.

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.