Aux quatre coins de la planète, les entreprises, les ONG, les responsables politiques, les universitaires, mais aussi les populations, lancent des appels de plus en plus pressants aux gouvernements pour supprimer progressivement les subventions aux combustibles fossiles (SCF), qui encouragent la consommation et la production de gaz naturel, de charbon et de pétrole, estimant qu’il s’agit là d’une étape indispensable pour lutter contre le changement climatique et construire un monde plus juste et plus durable.
En prévision de la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques (ou COP28, dans le jargon) attendue à Dubaï, 48 pays ont signé l’initiative pour la Réforme des subventions aux combustibles fossiles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), en vue d’éliminer les subventions inefficaces [1]. Aspirant à devenir le leader de l’action climatique dans le monde, le Conseil européen a souligné dans le cadre de sa position de négociation pour la COP28 annoncée en octobre 2023 la nécessité d’éliminer progressivement à l’échelle mondiale les combustibles fossiles sans dispositif d’atténuation. À ce jour, plus de 131 entreprises représentant un chiffre d’affaires mondial de près de 1 000 milliards USD ont signé une lettre ouverte demandant instamment aux gouvernements de supprimer progressivement les combustibles fossiles et d’augmenter la capacité de production d’énergie à partir de sources renouvelables.
Pourtant, malgré cet engagement symbolique en faveur de la réforme des SCF, la part du revenu mondial qui leur est consacrée ne cesse d’augmenter. Selon un rapport publié en 2021 par le Fonds monétaire international (FMI), les SCF représentaient 6,8 % du PIB en 2020 (soit 5,9 milliards USD) et devraient atteindre 7,4 % du PIB en 2025. Le décalage croissant entre l’engagement symbolique à éliminer progressivement les combustibles fossiles et les montants réellement attribués aux SCF ont renforcé la volonté de mieux comprendre leurs répercussions sur les dimensions économiques, sociales et environnementales du développement durable qui sous-tendent les Objectifs de développement durable des Nations Unies.
Dans un rapport publié récemment par l’Internationale de l’Éducation, j’ai eu l’occasion d’étudier la relation entre les SCF et l’éducation et j’ai pu constater que les pays qui investissent une part plus importante de leur revenu national dans les SCF ont tendance à enregistrer des résultats médiocres aux multiples indicateurs de performance éducative, comme l’investissement dans l’éducation et les niveaux de formation. Partout dans le monde, les SCF tendent à être associées à de mauvais résultats scolaires. Cependant, les conséquences les plus néfastes semblent toucher les pays à faible revenu, où même une faible augmentation des montants des SCF (par rapport au PIB) se traduit par une diminution notable des taux de réussite dans l’enseignement primaire et secondaire en comparaison des pays à revenu élevé où, en général, aucune corrélation entre le montant des SCF et les sous-performances scolaires n’a pu être observée. En définitive, l’incidence des SCF sur l’éducation est conditionnée par des facteurs contextuels tels que le niveau des réserves de ressources fossiles, la dépendance vis-à-vis du revenu tiré des énergies fossiles et le développement économique, démontrant ainsi la nécessité d’adopter une approche au cas par cas pour comprendre les obstacles (uniques) et les opportunités liés à leur élimination progressive dans chaque pays.
Recommandations à la communauté mondiale de l’éducation
Grâce à leurs relations avec des agents locaux susceptibles de contribuer au développement de nouvelles compétences et au transfert de connaissances à travers le monde, les syndicats de l’éducation sont bien placés pour soutenir la réforme des SCF dans cinq domaines clés :
1. Éducation et développement des compétences vertes
La réussite des réformes est souvent le fruit de vastes campagnes de sensibilisation visant à informer les parties prenantes des coûts et bénéfices potentiels des SCF et de leur réforme. Pourtant, au-delà de cela, un grand nombre d’acteurs tels que les jeunes, les ingénieur·e·s, les spécialistes des sciences naturelles, les fournisseurs d’énergie, les responsables politiques et, dans une certaine mesure, le grand public devront développer un ensemble de « compétences vertes » essentielles pour comprendre et réguler les transformations socio-économiques liées à l’élimination progressive des combustibles fossiles.
2. Établir la confiance
En amenant les parties prenantes à mieux comprendre les compromis liés à la réforme des SCF, les syndicats de l’éducation leur permettraient de formuler des avis éclairés à propos des SCF, ce qui contribuerait à renforcer leur engagement et à aligner la mise en œuvre de cette réforme sur un processus délibératif inclusif. Les enseignant·e·s pourraient renforcer la transparence en diffusant des informations accessibles sur la performance des pays en ce qui concerne l’élimination progressive des combustibles fossiles.
3. Organiser les bénéficiaires de la réforme des SCF
Les bénéficiaires des SCF sont généralement des groupes bien organisés, comme les défenseurs des combustibles fossiles et les récipiendaires des subventions à la consommation, alors que les entités favorables à la réforme des SCF, comme les entreprises spécialisées dans les énergies renouvelables, les environnementalistes, le secteur de l’éducation, les services de santé et les populations défavorisées, ont tendance à être plus dispersées. Les syndicats de l’éducation pourraient faire valoir leurs relations avec les personnels de l’éducation pour regrouper les bénéficiaires potentiels de l’élimination progressive des combustibles fossiles et encourager les synergies.
4. Agir sur le terrain
Les défenseurs de la réforme des SCF doivent prendre des décisions critiques : déterminer les secteurs à cibler en priorité, le niveau d’ambition (l’objectif est-il de supprimer les SCF totalement ou en partie ?), les mesures compensatoires et les bénéficiaires prioritaires de cette réforme. Les syndicats de l’éducation pourraient s’appuyer sur leurs relations locales pour accéder aux connaissances de terrain indispensables pour permettre aux responsables politiques d’élaborer des stratégies adaptées et capables de répondre aux défis liés à la réforme des SCF dans leur pays (à court et long terme).
5. Exploiter les forums internationaux
Le mouvement en faveur de la décarbonation et de la consommation énergétique « zéro émission nette » a encouragé plusieurs organisations internationales à promouvoir l’élimination progressive des combustibles fossiles. En novembre 2022, le programme ONU Environnement (UNEP), l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et l’Institut international de développement durable (IISD) ont mis au point une méthodologie visant à aider les gouvernements à collecter et publier des statistiques sur les SCF, mais peu d’entre eux ont effectivement présenté des données. D’autres initiatives concernent notamment la création de l’outil Fossil Fuel Subsidy Tracker (inventaire des subventions aux combustibles fossiles) par l’OMC, l’initiative RSCF, l’OCDE et l’IISD, ainsi que l’ajout, depuis 2016, des données sur les SCF dans le rapport annuel World Energy Outlook (perspectives énergétiques mondiales) publié par l’Agence internationale de l’énergie (EIA). Pourtant, des événements récents tels que la pandémie de COVID-19 et la guerre en Ukraine ont poussé un grand nombre de gouvernements à adopter de nouvelles subventions pour protéger leurs économies face à la hausse des prix de l’énergie et aux pénuries d’approvisionnement. En cette période critique où, d’une part, le mouvement en faveur de la réforme des SCF s’intensifie et où, d’autre part, les mesures dissuasives contre l’élimination progressive des combustibles fossiles entrent en contradiction, les syndicats de l’éducation peuvent contribuer à faire pencher la balance en faveur de la réforme des SCF en collaborant avec les organisations internationales pour sensibiliser aux coûts et aux bénéfices de l’élimination progressive des combustibles fossiles et à l’obligation de rendre des comptes. Grâce à leurs relations avec les ONG et les personnels enseignants, les syndicats de l’éducation sont bien placés pour jouer le rôle d’interlocuteurs et faire connaître les nouvelles normes internationales entourant l’élimination progressive des combustibles fossiles et les besoins mondiaux en termes de données. Ils peuvent également mettre en place des canaux de communication permettant aux acteurs locaux de fournir aux organisations internationales des informations de terrain pertinentes à propos des coûts et bénéfices spécifiques de la réforme des SCF et faire connaître les défis dans leur propre pays, ce qui permettrait d’orienter le financement (international) et l’expertise nécessaire pour soutenir cette réforme au niveau national.
Il s’agit notamment des pays suivants : Albanie, Autriche, Belgique, Bulgarie, Chili, Colombie, Costa Rica, Croatie, Chypre, République tchèque, Danemark, Estonie, Union européenne, Fidji, Finlande, France, Allemagne, Grèce, Hongrie, Islande, Irlande, Italie, Lettonie, Liechtenstein, Lituanie, Luxembourg, Mali, Moldavie, République de, Monténégro, Pays-Bas, Nouvelle-Zélande, Macédoine du Nord, Norvège, Panama, Paraguay, Pologne, Portugal, Roumanie, Samoa, République slovaque, Slovénie, Espagne, Suède, Suisse, Tonga, Royaume-Uni, Uruguay et Vanuatu.
Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.