Dans le contexte de l'intensification des effets du changement climatique, exiger l'élimination progressive des combustibles fossiles et l'accélération d'une transition juste et rapide vers une économie à faible émission de carbone constituent des enjeux politiques urgents. Pour les personnels d’éducation et leurs syndicats, une étape essentielle réside dans le développement d'une campagne de désinvestissement dans les énergies fossiles qui ambitionne non seulement de désengager les fonds publics et privés des entreprises de combustibles fossiles, mais aussi de mettre fin à l'influence de cette industrie dans le secteur de l'éducation.
En dépit des nombreuses déclarations des gouvernements sur l'urgence climatique, l'industrie des combustibles fossiles continue de bénéficier d'un financement public sans précédent sous forme de subventions. En 2022, l'industrie a reçu 1 000 milliards de dollars de subventions au niveau mondial, un montant qui augmente d'année en année. Dans le même temps, les bénéfices des cinq plus grandes entreprises occidentales de combustibles fossiles - Exxon, Chevron, TotalEnergies, Shell et British Petroleum - ont connu une hausse vertigineuse pour atteindre 200 milliards de dollars au cours de la même année. Autrement dit, alors que les simples citoyens et citoyennes étaient victimes d'événements climatiques extrêmes dans le monde entier, l'industrie des combustibles fossiles accumulait des bénéfices sans précédent tout en bénéficiant de subventions dans le cadre d'une crise qu'elle avait elle-même provoquée.
L'industrie des combustibles fossiles se porte toujours bien, en partie grâce à une acceptation sociale qui normalise son business model destructeur comme étant légitime et incontournable. Un tel "permis social d'exploitation" permet de préserver le pouvoir hégémonique de l'industrie des combustibles fossiles, élément essentiel de sa politique d'obstruction à toute action progressiste en faveur du climat. L'éducation joue un rôle important dans la perpétuation par l'industrie de ce régime d'obstruction, qui repose sur la domination du secteur de l'énergie sur les entreprises, sur l'ingérence politique et sur la manipulation pédagogique. Avec ce que l'on a pu appeler la "pétro-pédagogie", l'industrie exerce son influence sur le secteur de l'éducation au travers d'un ensemble de techniques et de ressources pédagogiques apparemment inoffensives mais qui reproduisent les narratifs de l'industrie des combustibles fossiles. C'est ainsi que dans les systèmes éducatifs des États-Unis, du Royaume-Uni, de l'Australie et du Canada, pour ne citer que ces pays, les acteurs et les lobbyistes de l'industrie des combustibles fossiles sont connus pour diffuser la propagande sur les combustibles fossiles aux enfants en âge de fréquenter l'école. Dans l'enseignement supérieur, le secteur des combustibles fossiles utilise des formes d'influence apparemment inoffensives, comme des dons ou le financement de la recherche, afin de promouvoir des recommandations de politique énergétique qui lui soient favorables, par exemple dans le cas de technologies de stockage du carbone qui n'ont pas encore fait leurs preuves. Les ingérences de l'industrie des combustibles fossiles dans l'éducation sont incontestables. C'est pourquoi l'organisation d'une campagne de désinvestissement dans les énergies fossiles visant à démanteler le réseau d'influence de ce secteur doit figurer au programme des syndicats du secteur de l'éducation.
Ce désinvestissement dans les énergies fossiles poursuit un double objectif : abolir le permis social d'exploitation de l'industrie des combustibles fossiles et rappeler que les fonds publics et les institutions financières privées doivent réorienter leurs financements indispensables vers des sources d'énergie renouvelables et moins polluantes. Sachant que les actifs des fonds de pension mondiaux ont dépassé les 21 000 milliards de dollars en 2021, une campagne mondiale de désinvestissement dans les combustibles fossiles peut avoir un impact considérable sur le secteur des énergies fossiles.
Dans la même optique, il est également important de dissiper les inquiétudes concernant les pertes éventuelles qu'un tel désinvestissement fossile pourrait entraîner pour les fonds de pension des travailleurs ordinaires. Dans une étude récente, des économistes réputés ont réfuté l'argument souvent cité selon lequel il serait désastreux pour les fonds de pension de se désengager de l'industrie des combustibles fossiles. Dans la plupart des pays, la plus grande partie des actifs liés aux combustibles fossiles est détenue par des personnes fortunées ou par 1 % de la population dans des pays comme les États-Unis, par exemple. Cela laisse supposer que le gros des pertes engendrées par l'immobilisation des actifs dans les combustibles fossiles sera supporté par un groupe de personnes aisées. Même dans un scénario extrême où les investissements sont adaptés aux objectifs de l'accord de Paris visant à maintenir la hausse des températures nettement en dessous de 2°C d'ici à 2100, ces investisseurs fortunés ne perdront que 2 % de la richesse qu'ils ont accumulée. Les fonds de pension ne seront donc pas "réduits à néant", comme l'ont prétendu les défenseurs des entreprises du secteur des combustibles fossiles.
Malgré l'influence grandissante de l'industrie des combustibles fossiles dans le secteur de l'éducation, ce dernier a toujours été un terrain fertile pour la résistance à l'hégémonie de cette industrie. Les étudiant·e·s et les personnels de l’enseignement figurent au premier rang du mouvement de désinvestissement fossile depuis qu'il a gagné en popularité sur les campus de l'enseignement supérieur en Amérique du Nord en 2011. Les syndicats de l'enseignement sont donc encouragés à lancer leurs propres campagnes en faveur du désinvestissement dans les combustibles fossiles, afin non seulement de rompre les liens financiers avec ces entités, mais aussi, conformément à une approche de longue date des syndicats de l'enseignement, de rejeter l'objectif plus large de l'industrie, qui est d'ancrer les valeurs néolibérales dans l'enseignement. Sans se vouloir exhaustive ni prescriptive, cette étude propose des stratégies de désinvestissement fossile par les syndicats, pour les syndicats. En présentant un argumentaire cohérent en faveur d'un désinvestissement fossile, cette étude vise également à offrir aux syndicats de l'éducation une stratégie politique à long terme en matière d'action climatique, qui associe à leurs plaidoyers éprouvés contre la privatisation de l'éducation à un engagement renouvelé en faveur d'une action climatique fondée sur la justice climatique et une transition juste.