Les travailleur∙euse∙s de l’éducation de la province de Jujuy, en Argentine, sont mobilisé∙e∙s depuis plusieurs mois pour réclamer des salaires dignes et défendre l’enseignement public face aux réformes régressives voulues par le gouvernement provincial. Les rassemblements pacifiques des travailleur∙euse∙s de l’éducation et des organisations de la société civile qui les accompagnent sont violemment réprimés par les forces de l’ordre.
Plusieurs personnes ont été grièvement blessées, dont un jeune homme de 17 ans qui a perdu un œil lorsque la police locale a tiré des balles en caoutchouc en direction des manifestant∙e∙s. De nombreuses personnes ont par ailleurs été arrêtées arbitrairement et emmenées dans des véhicules banalisés. La police provinciale a également procédé à des perquisitions domiciliaires sans mandat et à l’arrestation de plusieurs personnes. La Confédération des travailleur∙euse∙s de l’éducation (Confederación de Trabajadores de la Educación, CTERA), affiliée à l’Internationale de l’Éducation, dénonce cette répression violente et arbitraire exercée par la police et les autorités à l’encontre des manifestant∙e∙s.
Située à l’extrême nord-ouest du pays, à la frontière avec le Chili et la Bolivie, la province argentine de Jujuy recèle d’importantes ressources naturelles et minérales, dont l’une des plus importantes est le lithium. Sa population est composée de diverses communautés autochtones qui ont, tout au long de leur histoire, résisté à l’oppression et à la discrimination, notamment pour la défense de leurs terres ancestrales. Jujuy reste malgré cela une province pauvre qui a souffert de l’autoritarisme et de la répression de ses gouvernants, issus de la droite néolibérale.
Depuis 2016, l’actuel gouverneur de Jujuy, Gerardo Morales, maintient en prison Milagro Sala, dirigeante de l’organisation sociale Tupac Amaru et membre du parlement PARLASUR, dans le cadre de procédures judiciaires irrégulières et politisées.
Morales a également réprimé violemment les manifestations à caractère social et a introduit une réforme constitutionnelle qui limite les droits des citoyens. Ses ambitions politiques vont cependant plus loin et il brigue désormais la présidence du pays aux prochaines élections, prévues pour le 22 octobre 2023.
Le gouverneur Morales a tenté de limiter le droit de grève et de licencier les travailleur∙euse∙s ayant participé aux actions collectives, mais s’est vu contraint de faire machine arrière face à la pression sociale. Il poursuit cependant un projet de réforme constitutionnelle qui menace les droits humains, l’environnement et la souveraineté nationale. L’Internationale de l’Éducation exprime sa solidarité avec les travailleur∙euse∙s de l’éducation de Jujuy et demande le respect de leurs revendications et de leur liberté syndicale.
La répression des manifestations sociales et syndicales par le gouvernement de Jujuy a été condamnée par la Confédération générale du travail (Confederacion General del Trabajo – CGT) et la Centrale des travailleurs de l’Argentine (Central de los Trabajadores de la Argentina Autónoma, CTA-A), ainsi que par des organisations internationales de défense des droits humains telles que la Commission interaméricaine des droits de l’Homme (CIDH), Amnesty International et Human Rights Watch.
La CIDH a appelé instamment l’État argentin à respecter le droit à la liberté d’expression, à mettre fin au recours à la force et à rétablir le dialogue avec les peuples autochtones. Depuis le samedi 17 juin, toutefois, l’organisation a dénoncé des cas de recours excessif à la force, aux gaz lacrymogènes et aux balles en caoutchouc pour disperser des rassemblements non violents, faisant des blessé∙e∙s parmi les manifestant∙e∙s.
À l’occasion de la récente Conférence internationale du travail de l’Organisation internationale du Travail (OIT), en juin 2023 à Genève, Roberto Baradel, secrétaire général adjoint de la Confédération des travailleurs de l’éducation de la République argentine (Confederación de Trabajadores de la Educación de la República Argentina, CTERA) et secrétaire international de la Centrale des travailleurs de l’Argentine (Central de los Trabajadores Argentinos, CTA-T), a déposé une plainte pour la répression exercée à l’encontre des travailleurs. Une autre plainte a été déposée auprès de l’agence tripartite contre le gouvernement provincial de Jujuy pour violations des droits humains, des droits des travailleur∙euse∙s et des droits syndicaux, et non-respect des conventions ratifiées par l’Argentine.
Hugo Yasky, président du Comité régional de l’Internationale de Éducation pour l’Amérique latine (IEAL) et président de la Commission des droits de l’Homme à la Chambre des députés de la République d’Argentine, a dénoncé le fait que la réforme constitutionnelle proposée par Morales enfreint la Convention 169 de l’OIT, qui prévoit l’obligation de consulter les peuples autochtones en cas de modification de la législation. La réforme constitutionnelle vise à supprimer la limite au renouvellement du mandat du gouverneur et à modifier le système électoral. Pendant ce temps, la coalition de l’opposition Juntos por el Cambio s’est employée à minimiser le message de la CIDH et a salué la fermeté affichée par Morales.
Le conflit de Jujuy ne concerne pas seulement la population de la province, mais a également des répercussions nationales et internationales. Le projet de réforme constitutionnelle de Gerardo Morales vise, en effet, à imposer un modèle autoritaire et néolibéral qui profite aux grandes entreprises et porte préjudice aux classes les plus vulnérables de la société. Parmi elles, les travailleur∙euse∙s de l’éducation, qui réclament de meilleures conditions de travail et de meilleurs salaires, et Milagro Sala, dirigeante sociale du mouvement Tupac Amaru, emprisonnée depuis plus de cinq ans pour des motifs politiques.
L’Internationale de l’Éducation, qui représente plus de 32 millions d’enseignant∙e∙s de par le monde, a exprimé sa solidarité avec les travailleur∙euse∙s de l’éducation et l’ensemble de la population de Jujuy. Elle demande le respect des droits humains, la liberté pour Milagro Sala et la fin de la répression et de la persécution politique dans la province de Jujuy et appelle la communauté internationale à faire preuve de vigilance et à se mobiliser face à cette situation grave qui menace la démocratie et l’État de droit en Argentine.