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GEW Queer Committee, Frankfurt, 2023 / Tina Breidenich
GEW Queer Committee, Frankfurt, 2023 / Tina Breidenich

D’une « affaire privée » à un Comité Queer statutaire faisant partie intégrante du syndicat

Publié 2 mars 2023 Mis à jour 3 avril 2023
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Les droits des personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexes (LGBTI) sur le lieu de travail sont des droits humains et représentent donc une véritable question syndicale. Les conditions et les moyens de les défendre sont très différents dans le monde. En Allemagne, le syndicat Gewerkschaft Erziehung und Wissenschaft (GEW) a débuté ce parcours avec des groupes de terrain qui se sont formés après une réforme du code pénal en 1972 jusqu’à aboutir à un Comité Queer ancré dans les statuts du syndicat.

Origine du projet

La version nazie du tristement célèbre paragraphe 175 du code pénal allemand, qui criminalisait toute sexualité entre hommes, est restée en vigueur dans l’Allemagne de l’Ouest d’après-guerre jusqu’en 1969. Les préjugés demeuraient de mise, mais avec le développement du mouvement étudiant, des groupes d’émancipation des personnes gays et lesbiennes ont été fondés dans toute l’Allemagne de l’Ouest. Parmi eux, un premier groupe d’enseignantes et d’enseignants homosexuel·le·s s’est formé à Berlin-Ouest en 1972 pour combattre la discrimination et critiquer l’hétéronormativité qui caractérisait les manuels scolaires. Des collègues gays et lesbiennes ont participé à une manifestation, mais, craignant de perdre leur emploi, plusieurs se sont couvert le visage avec des sacs en papier. En effet, en 1974, un enseignant homosexuel sera licencié pour avoir fait son coming-out en public et s’être comporté de manière « efféminée » à l’école. Le groupe s’est engagé dans une campagne de solidarité, demandant aux politiciens berlinois de se positionner et, grâce à la protection juridique du syndicat, cet enseignant a été réintégré. Après ce succès, le groupe s’est dissous.

Collègues gays et lesbiennes cachant leurs visages lors d’un rassemblement en 1973 (SMU/Detlef Mücke).

En 1978, il y a eu de nouveaux efforts pour fonder un groupe, à travers un article publié dans le « Journal des enseignantes et des enseignants de Berlin » du GEW et une première motion pour fonder un « comité homosexuel ». La proposition est acceptée par le Conseil d’administration du GEW de Berlin-Ouest, malgré la résistance du Président qui soutient que « le comportement sexuel doit rester une affaire privée des membres, le syndicat n’étant concerné que dans les cas de soutien légal ». Une première résolution au Congrès fédéral du GEW « pour combattre la discrimination de l’homosexualité et des personnes homosexuelles dans l’éducation » a suivi en 1980.

A partir de là, à commencer par l’organisation d’un festival international gay et lesbien « Homolulu » à Francfort en 1979, se sont tenues chaque année des réunions fédérales pour les enseignantes et les enseignants homosexuel·le·s, rassemblant à chaque fois environ 80 personnes et renforçant les groupes locaux d’enseignantes et enseignants homosexuel·le·s dans toute l’Allemagne. Ainsi, la 44e réunion des professeurs gays et la 30e réunion des professeur·e·s lesbiennes, intersexes, transgenres et agenres sont prévues en 2023.

Progrès au niveau national

Le groupe des enseignants gays de Berlin a célébré son 40e anniversaire à Berlin en 2018, avec des interventions et des engagements pris par différentes personnalités politiques pour l’éducation, tout comme le comité lesbien du GEW pour le Land du Bade-Wurtemberg (sud-ouest) l’a fait à l’occasion de son 30e anniversaire en 2022. Ces deux groupes ont une longue tradition d’émancipation des professeur·e·s lesbiennes ou gays, ainsi que de demande de visibilité et d’acceptation des personnes LGBTI dans les politiques éducatives. Les deux groupes ont contribué à la mise sur pied d’un comité fédéral des personnes lesbiennes et gays par le Conseil d’administration du GEW en 1998, bientôt rebaptisé Comité LGBTI et se réunissant deux fois par an.

Le Comité fédéral a travaillé sur différentes publications du GEW, comme le guide juridique " Raus aus der Grauzone — Farbe bekennen" (Sortez de la zone d’ombre — Montrez vos vraies couleurs), qui sera bientôt mis à jour mais qui est toujours apprécié par les collègues homosexuel·le·s. En outre, lorsque des groupes d’extrême droite et de fondamentalistes religieux ont lancé une campagne importante contre la nouvelle directive du Bade-Wurtemberg sur la diversité sexuelle dans l’éducation en 2015, une brochure " Für eine Pädagogik der Vielfalt" (Pour une pédagogie de la diversité) contenant des arguments et des explications sur le profil idéologique et organisationnel des mouvements d’opposition a été publiée. Le Comité a formulé des critères intersectionnels pour analyser la manière dont les manuels scolaires et les médias représentent la diversité sociétale en matière d’orientations sexuelles, d’identités et d’expressions de genre.

Ce travail était apprécié au sein du syndicat, mais pour présenter des résolutions au Congrès ou au Conseil d’administration du GEW, le Comité devra s’appuyer sur des alliés tels que le Comité des femmes, le Comité des jeunes ou le Comité des migrations et de la lutte contre la discrimination. Ces alliés ont encouragé le Comité LGBTI à obtenir la reconnaissance de son statut, en tant que comité inscrit dans les statuts du syndicat. Cette proposition a été présentée au Congrès 2021 par les comités alliés, et les membres du Comité LGBTI ont commencé à faire pression sur les délégations de leurs Länder. Finalement, la résolution a été adoptée à une majorité de 74 % !

"Le Comité [nouvellement créé] a dès lors pu transmettre ses propres résolutions au Conseil d’administration national - comme l’adaptation des listes de speakers autrefois binaires (féminin et masculin), conformément à un arrêt de la Cour constitutionnelle autorisant des affectations de genre diverses ou non spécifiées dans les registres des naissances, ou encore une résolution exhortant les employeurs étatiques à adopter des lignes directrices pour l’intégration des personnes trans, inter ou non binaires (« TIN »), aussi bien dans le corps enseignant que dans la population étudiante."

Maintenant qu’il existe une demande officielle d’envoyer des délégué·e·s, le Comité Queer est rejoint par des collègues des branches de Länder qui n’étaient pas encore représentées. Le Comité a dès lors pu transmettre ses propres résolutions au Conseil d’administration national - comme l’adaptation des listes de speakers autrefois binaires (féminin et masculin), conformément à un arrêt de la Cour constitutionnelle autorisant des affectations de genre diverses ou non spécifiées dans les registres des naissances, ou encore une résolution exhortant les employeurs étatiques à adopter des lignes directrices pour l’intégration des personnes trans, inter ou non binaires (« TIN »), aussi bien dans le corps enseignant que dans la population étudiante. Cette initiative arrive à point nommé, car de plus en plus de personnels et d’élèves TIN sortent du placard — et aujourd’hui encore, doivent se battre seul·e·s pour être accepté·e·s. Un sous-groupe du Comité a rédigé une brochure à l’intention des enseignantes et des enseignants sur la manière de comprendre et d’inclure les élèves TIN à l’école (en allemand) — faisant l’objet d’une présentation lors d’un atelier d’échange organisé par l’Internationale de l’Éducation, avec des collègues des syndicats australiens AEU et NSWTF, dans le cadre de la conférence sur la "Diversité dans l’éducation" à la World Pride 2023, à Sydney (28 février 2023).

Échange au niveau du Conseil syndical national et au niveau mondial

Avec le syndicat allemand des services publics ver.di, le GEW a pris l’initiative d’une résolution au Congrès de 2010 du Conseil syndical allemand pour désigner des personnes de contact pour les travailleuses et travailleurs LGBTI, mais celle-ci n’a pas été très bien mise en œuvre. Enfin, après une nouvelle réunion en 2017, des Comités Queer de trois syndicats - éducation et science, services publics, et le réseau gay nouvellement formé dans le secteur de la construction, de l’agriculture et de l’environnement, une nouvelle résolution adoptée au Congrès de 2018 a abouti à la création d’un Comité national Queer au sein du Conseil syndical allemand. Des délégué·e·s des 8 affiliés sectoriels y échangent sur leurs politiques LGBTI ou de diversité et travaillent pour faire pression sur le législateur en faveur des travailleuses et travailleurs queer.

Les membres du Comité Queer du GEW ont participé aux pré-conférences LGBTI des congrès de l’Internationale des services publics et de l’Internationale de l’Éducation à Genève (2017) et à Bangkok (2019), présentant le travail du GEW pour promouvoir les droits des personnes LGBTI et apprenant du travail effectué en la matière dans d’autres pays et syndicats. Ces opportunités mettent en évidence comment les conditions et les politiques diffèrent à travers le monde [1]. Dans certains pays, les collègues queer doivent se cacher, en raison de codes pénaux répressifs. Dans d’autres pays, il existe une longue tradition de travail syndical pour les droits des personnes homosexuelles, ou une diversité traditionnelle d’orientations sexuelles ou de genres. En travaillant ensemble et en apprenant de nos expériences respectives, nous pouvons avoir un impact réel dans la vie de nos collègues et de nos élèves.

Note de la rédaction : Si votre syndicat souhaite rejoindre l’Internationale de l’Éducation pour faire avancer les droits des élèves et des personnels LGBTI dans l’éducation et dans les syndicats, veuillez contacter Lainie Keper (Lainie.Keper [at] ei-ie.org).

1. ^

De plus amples informations sur la coopération en la matière des fédérations syndicales mondiales, à travers le Conseil des Global Unions (CGU), sont disponibles sur le site web : https://lgbtiworkers.org/?lang=fr

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.