La condition enseignante en situation d’urgence est certes difficile, mais cela peut être extrêmement gratifiant. La possibilité d’exercer une influence positive sur mes élèves, regarder un élève apprendre, grandir et devenir une bonne personne, en sachant que je fais partie de ce processus, me remplit d’un sentiment merveilleux et de motivation pour continuer mon travail. Mais il y a également de nombreuses difficultés à surmonter qui requièrent une grande résilience.
Je suis une enseignante réfugiée et je travaille dans le camp de réfugiés de Palabek, dans le district de Lamwo en Ouganda. Originaire du Sud Soudan, je suis arrivée en Ouganda en tant que réfugiée en 1994 et j’ai suivi une formation pour enseigner à l’école primaire.
Comme pour beaucoup d’enseignantes et d’enseignants en situation d’urgence, le salaire que je touche ne correspond pas à ma charge de travail et ne suffit pas à couvrir mes besoins de base. Un salaire mensuel de 120 dollars américains ne peut pas suffire à faire face aux dépenses d’une famille et, pire encore, il n’est souvent pas payé à temps.
Le sous-financement de l’éducation est par ailleurs manifeste dans nos salles de classe. Un grand nombre d’écoles ont un ratio élève-professeur·e intenable d’un ou une professeur·e pour 200 élèves, et le matériel pédagogique est difficile à trouver. Dans ces conditions, répondre aux besoins de chaque élève, atteindre des objectifs d’apprentissage et assurer une éducation de qualité pour toutes et tous est impossible, en dépit des efforts de que nous déployons chaque jour.
Étant la seule enseignante réfugiée dans mon établissement, ma charge de travail est souvent écrasante. On attend de moi que je règle chaque problème – mauvais comportement, lacune linguistique, différences culturelles – et que j’offre un accompagnement et des conseils. Je suis le premier contact pour bon nombre d’élèves et, même si j’aime ce travail, cela me laisse très peu de temps pour enseigner et je finis par me sentir épuisée et submergée.
Par ailleurs, il arrive souvent que je ne me sente pas en sécurité dans l’environnement scolaire. Les tensions tribales sont élevées et n’épargnent pas notre communauté éducative. Des parents qui ne viennent pas de la même tribu que moi m’accusent de discriminer leurs enfants. À titre d’exemple, un de nos élèves a occasionné des dommages à du matériel scolaire et, au cours du conseil de discipline, j’ai recommandé qu’il paie pour les réparations. Les parents de l’enfants m’ont ensuite attaquée et accusée de discrimination parce que nous sommes de tribus différentes. La communauté réfugiée attend de moi que je défende les élèves réfugiés, même lorsqu’ils sont dans leur tort.
Régler des conflits tribaux dans le cadre de mon enseignement est également dangereux. Un jour, alors que je discutais des causes des conflits tribaux dans ma classe, des élèves m’ont cité des exemples de conflits tribaux en Ouganda et j’ai évoqué des conflits similaires au Sud Soudan. J’ai parlé d’une tribu qui a enlevé des enfants au Sud Soudan et, bien qu’il s’agisse d’un fait notoire, des élèves issus de cette tribu m’ont prise à partie après le cours en exigeant que je ne parle pas de leur tribu parce que je n’en fais pas partie.
La situation est encore compliquée par des infrastructures scolaires insalubres, qui comptent trop peu de salles de classe, une absence d’ombre et des sanitaires en nombre insuffisant. Les salles de classe sont tellement bondées que les professeur·e·s ne peuvent pas se déplacer dans la classe et s’occuper de chaque élève. Ces conditions exposent la communauté scolaire à des facteurs de risque tels que les maladies, les infections, les violences sexuelles et le harcèlement.
Outre ces difficultés qui rendent notre vie déjà suffisamment difficile, en tant qu’enseignante ou enseignant réfugié·e, nous ne nous sentons pas apprécié·e·s par le système éducatif et sommes préoccupé·e·s par l’insécurité de l’emploi. Tout le monde considère que les personnels enseignants réfugié·e·s qui possèdent un diplôme du Sud Soudan ne sont pas suffisamment formé·e·s. Ils n’ont pas non plus accès aux débouchés qui s’offrent aux collègues ougandais, notamment des études supplémentaires. Or, les personnels qui ne peuvent pas poursuivre leur formation risquent de perdre leur emploi.
Malgré ces conditions dramatiques, nous continuons à aider nos élèves parce que nous savons que notre travail est essentiel pour des millions d’enfants qui comptent parmi les plus vulnérables du monde. Mais nous ne pouvons pas y arriver seul·e·s. Les gouvernements doivent intervenir et investir dans l’éducation et dans le personnel enseignant à travers un financement national et international, de sorte que nous puissions continuer à donner à nos élèves de l’espoir et les outils dont ils ont besoin pour se forger un meilleur avenir pour eux et leur communauté.
Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.