Le Malawi entretient des rapports de longue date avec le Fonds monétaire international (FMI), qui détermine les politiques macroéconomiques du pays, souvent au détriment de l’avancée de secteurs cibles comme l’éducation et la santé. Selon le FMI, le Malawi, qui est devenu membre le 19 juillet 1965, a conclu au moins 16 accords (de prêts) avec le Fonds, dont un accord portant sur les encours d’achats et de prêts (droits de tirage spéciaux, DTS) se chiffrant à 292,35 millions de dollars au 30 juin 2021.
Vers la fin de l'année 2021, l’Internationale de l'Éducation (IE) a demandé à l’auteur de réaliser une étude sur les réductions de la masse salariale publique au Malawi. Cette étude faisait partie d’une étude internationale demandée par l’IE et ses affiliés dans quatre pays : le Malawi, le Népal, le Sénégal et la Zambie. Au cours de l'étude, l’auteur a interagi avec des enseignant·e·s et pris note de leurs préoccupations, notamment concernant l’impact des politiques d’austérité du FMI sur leur vie et sur le secteur de l'éducation en général.
L'une des conclusions de l'étude est que le coût élevé des politiques d'austérité, telles que les politiques en matière de masse salariale orchestrées par le FMI, est supporté par les enseignant·e·s, qui peinent, pour beaucoup, à joindre les deux bouts.
Au Malawi, les mesures de réduction de la masse salariale sanctionnées par le FMI ont été lancées en 1998 afin de garder le budget sous contrôle. La première mesure a consisté à restreindre les augmentations de salaire puis, entre autres, à imposer un gel des recrutements, selon une étude menée en 2007 par ActionAid.
Depuis, le plafond de la masse salariale a continué d’osciller entre 7 et 7,5 pour cent du produit intérieur brut (PIB), alors même que le gouvernement n'a pas réussi à atteindre les plafonds imposés, les dépassant de plus de 1,4 pour cent, selon de récents rapports du FMI [1].
Le secteur de l'éducation, qui emploie plus de la moitié des fonctionnaires du Malawi, est l'éternelle victime des manœuvres relatives à la masse salariale. De 2019-2020 à 2021-2022, la masse salariale publique atteignait en moyenne 23,5 pour cent des dépenses publiques totales. Au cours de l'exercice financier 2020-2021, la masse salariale totale du secteur de l'éducation s'élevait à 270 milliards de kwachas, soit 51,5 pour cent de la masse salariale publique totale du pays. En 2019-2020, la masse salariale du secteur de l'éducation représentait 4,2 pour cent du PIB, puis a augmenté pour atteindre 4,3 pour cent en 2020-2021 avant de redescendre à 3,8 pour cent du PIB en 2021-2022 [2].
En raison des restrictions de la masse salariale, le gouvernement ne peut pas recruter suffisamment d’enseignant·e·s. Le pays a besoin d’embaucher 52.459 enseignant·e·s supplémentaires s’il souhaite atteindre le ratio de référence de 40 élèves pour un·e enseignant·e [3].
Or, un tel recrutement se traduirait par une augmentation de la masse salariale de l’enseignement primaire de 63 pour cent. La part du PIB de la masse salariale de l’éducation passerait alors de 3,8 pour cent à au moins six pour cent, ce qui relèverait la masse salariale publique globale de 7,7 pour cent du PIB à au moins 9,9 pour cent, soit une hausse de plus de 2,2 pour cent. Une telle augmentation irait dont à l'encontre des projections relatives à la masse salariale de 7,5 pour cent pour la période 2021-2025 qui sont prévues par le rapport d’examen de prolongation de crédit du FMI établi en 2020. Ainsi, au cours de l'exercice financier 2021-2022, le gouvernement n’a embauché que 2.082 enseignant·e·s au niveau primaire au lieu des 9.000 recrutements annuels prévus [4].
En outre, selon les dires des enseignant·e·s et d’autres acteur·trice·s du secteur, il est clair que ce sont les enseignant·e·s qui font les frais des politiques en matière de masse salariale dans le secteur de l'éducation, celles-ci constituant une source de frustration importante dans leurs vies quotidiennes. Les réductions de la masse salariale ont également limité le recrutement et l’offre d’enseignant·e·s, entraînant une pénurie, une forte charge de travail, une mauvaise préparation des enseignant·e·s ainsi que des problèmes de santé.
Alice Kamchere, enseignante en troisième année auprès de 78 apprenant·e·s à l’école primaire Mwatibu de Lilongwe, affirme que la pénurie d'enseignant·e·s a eu des effets préjudiciables sur la qualité de l'enseignement et de l'apprentissage dans son école : « À cause de la pénurie d'enseignants, les enseignants et enseignantes rencontrent des difficultés à enseigner de manière efficace. Dans mon cas, par exemple, je ne parviens pas à bien préparer les ressources que je vais utiliser en cours. Pour ce qui est de ma vie de famille, je n’arrive pas à m’occuper de mes proches comme je le voudrais puisque je passe la plupart de mon temps à l’école en raison de la charge de travail énorme. » Une opinion partagée par un autre enseignant, Yankho Mlamba, qui enseigne à l’école secondaire Lunzu de la ville de Blantyre.
Charles Samala, directeur d’une école à Lilongwe, s’inquiète du fait que la pénurie d'enseignant·e·s s'est traduite par des effectifs plus nombreux en classe, ce qui rend la préparation des cours éreintante et difficile : « En tant qu’enseignant, ce problème m’affecte à plus d’un titre. Souvent, après une journée de cours, je suis très fatigué quand j’arrive à la maison et je ne parviens pas à préparer les cours du lendemain. Cela a également des conséquences sur ma vie de famille. Je n’arrive pas à aider mes proches à effectuer les tâches ménagères. »
Étant donné que ce sont les enseignant·e·s qui pâtissent le plus des réductions de la masse salariale dans l’éducation, le syndicat d'enseignants du Malawi (Teachers’ Union of Malawi, TUM) a fait part de ses inquiétudes concernant le retard accusé par le recrutement du corps enseignant et les mauvaises conditions de vie des enseignant·e·s du fait des politiques du FMI relatives à la masse salariale. Selon Pilirani Kamaliza, responsable de programmes du TUM, « notre problème, c’est le ratio enseignant- élèves élevé, à cause duquel les enseignants et enseignantes ont des difficultés à gérer les élèves dans des classes surchargées. C'est pourquoi nous avons demandé au gouvernement de recruter davantage d’enseignants et esneignantes. »
Il ressort clairement des propos des travailleur·euse·s de première ligne que les politiques en matière de masse salariale mises en œuvre par le FMI à des fins d’austérité, de stabilité macroéconomique, ou pour toute autre raison, ont des retombées négatives sur les enseignant·e·s et le système éducatif du Malawi.
Il est désormais impératif de revoir ces mesures, de s’y opposer, voire de les abandonner afin de chercher à atteindre les objectifs en matière de droits humains, de justice sociale et de développement durable. Le gouvernement du Malawi doit mettre en œuvre des politiques macroéconomiques plus conciliantes et rechercher d’autres solutions de financement pour accroître les recettes et améliorer les services publics. Certaines de ces solutions figurent dans les rapports analytiques rédigés par Rick Rowden (2011) [5], Ortiz et Cummings (2017) [6] ainsi que par Actionaid et autres (2021) [7]. Il s’agit notamment d’augmenter les recettes fiscales, de mettre un terme aux mouvements illicites de capitaux, de recourir à l’emprunt ou de restructurer la dette existante, de réaffecter les dépenses publiques, d’étendre la couverture en matière de sécurité sociale et de proposer aux travailleur·euse·s du secteur informel de vrais contrats de travail. D’autres possibilités existent, comme solliciter les aides et transferts réservés aux pays à faibles revenus, ponctionner les réserves fiscales et de change excessives accumulées par les banques centrales et adopter un cadre macroéconomique plus souple.
Fonds monétaire international (FMI) (2018), Malawi : 2018 Article IV Consultation et demande d’accord triennal au titre de la facilité de prolongation de crédit(en anglais uniquement).
Fonds monétaire international (FMI) (2020), Malawi : Demande de versement au titre de la facilité de crédit rapide - Communiqué de presse ; rapport des services du FMI et Déclaration de l’administrateur pour le Malawi (en anglais uniquement).
Fonds monétaire international (FMI) (2020), Malawi : Demande de versement au titre de la facilité de crédit rapide - Communiqué de presse ; rapport des services du FMI et Déclaration de l’administrateur pour le Malawi (en anglais uniquement).
Ministère des Finances (2021), RAPPORT ÉCONOMIQUE ANNUEL 2021, Document relatif au Budget N° 2, ministère de la Planification et du Développement économique et des réformes du secteur public (en anglais uniquement).
Ministère de l'Éducation (2020a), Rapport 2019/2020 sur la performance de l'éducation (en anglais uniquement). Lilongwe : Ministère de l'Éducation.
Ministère de l'Éducation (2020b), Statistiques 2020 sur l’éducation au Malawi (en anglais uniquement). Lilongwe : Ministère de l'Éducation.
Ministère des Finances (2021), rapport économique annuel 2021, Document relatif au Budget n° 2, ministère de la Planification et du Développement économique (en anglais uniquement).
Rowden, Rick (2011), L'impact des politiques du FMI sur les budgets nationaux de l’éducation et les enseignant·e·s : Analyse des solutions alternatives et stratégies de plaidoyer (en anglais uniquement).
Ortiz et Cummings (2017). Marge budgétaire disponible pour la protection sociale et les ODD : Possibilités d’augmentation des investissements sociaux dans 187 pays (disponible en anglais et en espagnol). OIT, UNICEF et ONU Femmes.
ActionAid, Internationale de l'Éducation (IE) et Internationale des Services Publics (ISP) (2021). Secteur public et austérité : Pourquoi les réductions de la masse salariale dans le secteur public doivent cesser (en anglais uniquement). Johannesbourg : Actionaid.
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