La semaine prochaine, les Émirats Arabes Unis organiseront la toute première Semaine du climat pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord (MENA). De nombreux·euses délégué·e·s internationaux·ales déjà présent·e·s à la COP26 de l’an dernier s’engageront sur le chemin qui les mènera à la COP27 (qui se tiendra à Charm el-Cheik en Égypte en novembre 2022) en se tournant vers la région MENA aux fins de leadership, de partenariats et de collaborations susceptibles d’accroître l’ambition liée au changement et à l’action climatiques. Un domaine exigeant une ambition plus grande de la part des pays a trait à l'éducation de qualité au changement climatique pour tou·te·s. La région MENA ouvrira-t-elle la voie à l’échelle mondiale ?
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Compte-tenu de la performance de la région révélée par l’initiative de l’Internationale de l’Éducation (IE) visant à mesurer l’ambition en matière d’éducation au changement climatique, la perspective de l’émergence prochaine d’un champion de l’éducation au changement climatique au sein de la région MENA est incertaine. La région a beaucoup à faire pour améliorer sa propre ambition en matière d’éducation au changement climatique, et encore plus pour montrer la voie aux autres pour qu’elles fassent de même. L’année ne fait toutefois que commencer et il reste du temps pour que quelques pays précurseurs relèvent le défi.
Dans la perspective de la semaine du climat dans les pays de la région MENA et dans l’optique de donner un coup de pouce aux militant·e·s de la région, ce blog met en lumière les pays qui s’en sortent relativement bien, et pour quels indicateurs d’ambition en matière d’éducation au changement climatique, et ceux qui doivent faire preuve d’un leadership et d’une attention accrus. Les notes attribuées par l’IE concernant l’ambition en matière d’éducation au changement climatique sont issues d’une analyse des Contributions déterminées au niveau national (CDN) mises à jour, révisées ou nouvelles soumises par 19 pays de la région MENA à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques au 26 janvier 2022 [1]. L’analyse s’inscrit dans le cadre d’ une étude que je réalise actuellement avec l’Internationale de l’Education pour sa campagne Enseignez #PourLaPlanète.
Quelle est la position des pays de la région MENA vis-à-vis de leur ambition en matière d’éducation au changement climatique ?
Pour résumer, l’ambition de la région MENA en matière d’éducation au changement climatique est faible et bien inférieure à l’ambition à l’échelle mondiale (au moins au 30 septembre 2021). Le score brut le plus élevé de toute de la région MENA a été obtenu par la CDN de la Jordanie (38%), suivie de celle du Qatar (24%), contre 58% pour le Cambodge qui affiche le score le plus élevé à l’échelle mondiale.
Seules cinq CDN de la région MENA font référence à l’éducation au changement climatique : la Géorgie, la Jordanie, la Mauritanie, la Tunisie et le Qatar. Il est intéressant de noter que ces pays ont obtenu les meilleures notes de la région : C, A, B, B et B respectivement vis-à-vis de l’ambition en matière d’éducation au changement climatique. S’agissant de l’indicateur de diffusion, destiné à mesurer le degré d’intégration de l’éducation au changement climatique dans les politiques, aucun de ces cinq pays n’appelle à l’enseignement obligatoire de l’éducation au changement climatique à l’école. Les débats sur l’éducation au changement climatique en Tunisie ne font même pas référence à l’éducation des enfants et des jeunes mais ciblent les étudiant·e·s de l’enseignement supérieur et les professionnel·le·s, tel·le·s que les parlementaires, les journalistes et les décideur·euse·s du secteur de l’eau. Seule la CDN de la Jordanie suggère que l’éducation au changement climatique inclue tous les enfants à tous les niveaux d’enseignement.
Quant à la qualité de l’éducation au changement climatique, un critère permettant de jauger la prise en compte par les politiques de huit indicateurs relatifs à la qualité éducative, dont le fait que l’éducation ne se limite pas à aborder le changement climatique mais vise l’action climatique, aucune CDN de la région n’a satisfait à plus de trois indicateurs. Les CDN de la Jordanie et du Qatar appellent à une éducation au changement climatique promouvant l’engagement civique de l’étudiant·e et l’action climatique. Celle de la Jordanie indique par exemple que « la compréhension des causes, des impacts et des solutions au changement climatique constitue désormais un domaine prioritaire pour que l’éducation prépare les étudiant·e·s à jouer un rôle actif dans la prise en charge des impacts du changement climatique » ( p. 54). Bien que la CDN de la Tunisie appelle à une éducation au changement climatique tenant compte du genre, c’est-à-dire des besoins spécifiques des filles et des garçons, aucune CDN de la région MENA n’appelle à une éducation multidimensionnelle au changement climatique (enseignant par exemple la façon dont le changement climatique recoupe les inégalités entre les genres, le racisme environnemental, la marginalisation économique, etc.). Par ailleurs, bien que huit CDN de la région reconnaissent que les populations vulnérables, telles que les filles et les femmes ou les personnes atteintes d’un handicap, peuvent être différemment affectées par le changement climatique, aucune ne mentionne le besoin d’aborder la question de la justice climatique.
Seules quatre CDN obtiennent une note suffisante en ce qui concerne l’accent sur l' éventail des compétences vertes ou le besoin pour l’éducation de fournir aux apprenant·e·s des passerelles vers des futures carrières dans l’économie verte (deux indicateurs supplémentaires de l’éducation de qualité au changement climatique). La plupart des références aux compétences vertes entrent dans la catégorie des compétences techniques, telles que la technologie verte, l’élaboration de propositions, la réalisation d’inventaires des émissions nationales de gaz à effet de serre ou la modélisation climatique. Seule une CDN (celle de la Tunisie) mentionne la nécessité de développer les compétences vertes transformatives en mesure de contribuer à lutter contre les systèmes sous-jacents d’inégalité qui font subir de manière disproportionnée la vulnérabilité climatique aux populations déjà marginalisées. Celle-ci se réfère par exemple à la nécessité de « renforcer les compétences des parlementaires et des responsables des collectivités locales dans les domaines de la communication égalitaire, l’éthique du genre et l’intersectionnalité du genre et sa transversalité dans les politiques de l’environnement et du climat » ( p. 64).
Quant aux indicateurs d’inclusion, la région s’en sort relativement bien vis-à-vis de la reconnaissance des populations vulnérables. Toutefois, la région accuse un retard lorsqu’il s’agit des principales parties prenantes du secteur de l’éducation, principalement les étudiant·e·s et les enseignant·e·s. À titre d’exemple, bien que 14 CDN de la région aient mentionné l’éducation, seules 6 font réellement référence à l’éducation des enfants et des jeunes. Seule une CDN (Qatar) reconnait que les étudiant·e·s peuvent, une fois conscient·e·s des changements climatiques et de leurs empreintes carbone, jouer un rôle important non seulement dans la prise en compte de l’environnement par le secteur de l’éducation, mais également par l’ensemble de la société en « interdisant le plastique à usage unique » et en « développant des mesures correctrices durables » ( p. 8).
Les enseignant·e·s ont quant à eux·elles presque été laissé·e·s de côté. Seules deux CDN mentionnent les enseignant·e·s (Géorgie et Qatar). Celle du Qatar appelle à la nécessité « d’améliorer la formation des enseignant·e·s sur les thèmes liés au changement climatique afin de permettre aux éducateur·trice·s de présenter aux étudiant·e·s les thèmes de la durabilité et du développement environnemental sous une forme attrayante et de promouvoir les changements comportementaux à long-terme » ( p. 8). Aucune CDN de la région ne mentionne la consultation des enseignant·e·s en tant que parties prenantes du climat ou la prise en compte des syndicats d’enseignants en tant que groupes d’intervenant·e·s clés dans le processus de développement des CDN.
En effet, le critère du renforcement des systèmes éducatifs, également retenu dans les Bulletins de notes de l’IE sur l’ambition en matière d’éducation au changement climatique, est celui pour lequel les pays de la région MENA ont obtenu les pires notes. Outre le fait d’ignorer la formation des enseignant·e·s et leurs opportunités de développement professionnel, aucune CDN n’a mentionné le besoin de coopération internationale afin de soutenir les efforts nationaux visant à dispenser l’éducation au changement climatique, ni celui d’attribuer un financement accru au système éducatif. Le seul indicateur relatif au renforcement des systèmes éducatifs auquel des pays de la région (quatre : Jordanie, Mauritanie, Qatar et Arabie Saoudite) semblent avoir été attentifs a trait au besoin de rendre l’infrastructure éducative plus respectueuse de l’environnement et/ou résiliente au climat.
Quels points d’entrée peuvent contribuer à promouvoir une attention accrue à l’éducation au changement climatique dans la région MENA ?
L’examen des données réalisé dans le but de comprendre les opportunités de plaidoyer dans la région a permis d’identifier un nombre limité de tendances. Par exemple, dans la région MENA, la vulnérabilité climatique nationale semble n’exercer aucune influence sur la prise en compte ou non des populations vulnérables, telles que les enfants et les jeunes ou les femmes et les filles, par la CDN d’un pays. Il en est en de même pour la vulnérabilité climatique d’un pays et la prise en compte des solutions climatiques, comme l’éducation, qui pourraient réduire la vulnérabilité climatique individuelle et renforcer la résilience climatique et la capacité d’adaptation aux plans individuel et collectif. Ces deux tendances sont observées dans l'ensemble de données à l'échelle mondiale.
Par ailleurs, trois pays (Mauritanie, Somalie et Soudan) de la région MENA sur les 19 qui ont soumis des CDN mises à jour, révisées ou nouvelles, exposent leurs enfants à un risque climatique extrêmement élevé ou élevé. Malgré tout, seule une CDN de ces pays (Mauritanie) fait référence à l’éducation au changement climatique et à l’éducation des enfants et des jeunes (voir tableau 1).
De toute évidence, chaque pays, indépendamment de sa vulnérabilité ou responsabilité climatique devrait prêter attention à l’éducation au changement climatique. C’est le cas de pays tels que l’Arabie Saoudite et la Turquie qui sont respectivement les deuxième et troisième plus grands émetteurs de carbone de la région MENA [2], et du Qatar dont les émissions de carbone par habitant sont les plus élevées au monde tout en étant considéré comme le pays de la région le plus vulnérable au climat (à noter que la CDN du Qatar se classe en deuxième place dans la région en ce qui concerne l’ambition en matière d’éducation au changement climatique). Pourtant, les pays de la région MENA semblent ne pas faire le lien entre les contributions aux émissions, la vulnérabilité climatique, le risque climatique et les solutions en matière d’éducation qui pourraient contribuer à changer les comportements et à atténuer les futurs dommages environnementaux et aider les personnes à s’adapter aux effets du changement climatique. Cela suggère que les défenseur·euse·s de l’éducation de la région doivent porter leur attention sur la sensibilisation des décideur·euse·s à l’occasion manquée de renforcer la résilience climatique de la région MENA à travers l’éducation de qualité au changement climatique pour tou·te·s.
Au moment où la région MENA fait l’objet d’une attention accrue dans la perspective de la COP27 organisée en Égypte, l’ambition actuelle de la région en matière d’éducation au changement climatique est inquiétante. Pour que la société enregistre des avancées significatives en matière d’action climatique, la région doit passer à la vitesse supérieure pour jouer son rôle de chef de file et devenir un champion de l’éducation au changement climatique. Elle peut y parvenir en :
- Finançant, allouant des ressources et renforçant les systèmes éducatifs en tant que secteur pertinent pour le climat ;
- Accordant la priorité, en tant que stratégie climatique, à une éducation de qualité au changement climatique, fondée sur la science, orientée vers l’action climatique et opérant selon une approche intersectionnelle de la justice climatique ; et
- Impliquant les enseignant·e·s et les éducateur·trice·s en tant que parties prenantes clés dans la politique et la prise de décisions sur le climat.
Les responsables de l’éducation de la région peuvent faciliter ce processus en contribuant à :
- Identifier les obstacles et les besoins de la main d’œuvre du secteur de l’éducation et des systèmes éducatifs de la région MENA en matière de capacité afin de faire face à la crise climatique ;
- Adapter à l’échelle locale et contextualiser les meilleures pratiques régionales dans l’intégration de l’éducation au changement climatique dans les CDN, en particulier au profit des étudiant·e·s les plus vulnérables et marginalisé·e·s ; et
- Recourir à des mécanismes, tels que le Bulletin de notes de l’IE sur l’ambition en matière d’éducation au changement climatique afin de demander des comptes aux décideur·euse·s nationaux·ales et régionaux·ales vis-à-vis de l’existence et de la mise en œuvre des politiques d’éducation au changement climatique.
Le chemin vers la COP27 vient de commencer. Profitons de ce départ précoce, en gardant à l’esprit ces notes référence, pour améliorer les choses.
Les pays de la région dont les CDN mises à jour, révisées ou nouvelles ont été incluses dans cette analyse sont : l’Arménie, le Bahreïn, les Comores, la Géorgie, l’Irak, la Jordanie, le Koweït, le Liban, la Mauritanie, le Maroc, Oman, la Palestine, le Qatar, l’Arabie Saoudite, la Somalie, le Soudan, la Tunisie, la Turquie et les Émirats Arabes Unis. En tant que membre de l’Union européenne (UE), Chypre n’a pas été pris en compte. Ce pays a toutefois été inclus dans la soumission de la CDN de l’UE.
L’Iran est le principal émetteur de carbone de la région MENA mais n’a pas encore soumis de CDN.
Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.