Dans le cadre d'une culture profondément machiste, le phénomène de la violence de genre est lié à la violence à l'égard des femmes, des enfants et des adolescent·e·s, en particulier parmi les couches les plus pauvres de la société et les peuples autochtones. Le Paraguay occupe l'une des premières places en Amérique du Sud en matière d’abus sexuels à l’encontre des filles et des garçons, avec une victime toutes les trois heures. Environ 650 filles âgées de 10 à 14 ans tombent enceintes chaque année. Et les fémicides, comme la violence domestique en général, augmentent d'année en année.
La situation de la violence de genre au Paraguay
La violence de genre a indéniablement des racines historiques et culturelles profondes. Contrairement à d'autres régions d'Amérique latine où l'or et l'argent étaient abondants, le processus de colonisation au Paraguay a été caractérisé par la soumission de certains peuples autochtones, en particulier des Guarani, à la puissance espagnole pour l'exploitation de la main-d'œuvre indigène. L'institution culturelle du beau-frère guarani (le tovaja) a abouti à la servitude (mita) et à l'esclavage (yanacona) d'hommes et de femmes pour l'exploitation agricole et le service personnel. La maltraitance des femmes a généré la triste renommée du Paraguay sous le nom de Paradis de Mahomet. De nombreux groupes autochtones n’ont pas tardé à se rebeller et ont été massacrés. La soumission et le sentiment d'infériorité vis-à-vis des puissants, la maltraitance des femmes et des plus faibles, et le fait d'élever des enfants avec un père absent ont profondément marqué le développement historique et culturel du pays. L'absence d'hommes après la guerre de la Triple Alliance (1864-1870) a renforcé le phénomène social complexe du machisme paraguayen.
Cet héritage s'est reflété il y a quelque temps dans un discours que l'ancien président paraguayen, Horacio Cartes, a prononcé devant des représentants de la communauté d'affaires brésilienne, décrivant le Paraguay comme « une jolie femme ... disponible pour être utilisée et maltraitée ».
Une récente étude(disponible uniquement en espagnol) a révélé les inégalités de travail qui affectent les femmes, une situation qui fournit également un terrain propice à la violence de genre. Un tiers des femmes âgées de 15 ans et plus n'étudient pas et ne disposent pas de leur propre revenu financier. Un peu plus de la moitié des femmes sont inactives, 9,2 % travaillent sans être rémunérées et 7,1 % sont au chômage. Le revenu mensuel moyen des femmes actives, regroupant celles qui vivent dans les zones rurales et urbaines, atteint à peine 1 862 641 ₲ (286,5 $), contre 2 462 508 ₲ (378,8 $) pour les hommes. « Le travail indépendant non rémunéré, en tant que membre de la famille, et l'emploi domestique occupent 57,1 % des femmes, un chiffre qui atteint 78,3 % dans les zones rurales. Les jeunes femmes sont employées comme travailleuses non rémunérées, ce qui les affecte doublement. D'une part, elles ne disposent pas de leurs propres ressources et, d'autre part, la culture patriarcale et centrée sur les adultes au sein des familles génère des conflits poussant à la migration dans le cas des jeunes femmes des zones rurales. »
Le Paraguay a mis en œuvre l'isolement social comme principale mesure sanitaire en réponse à la pandémie de COVID-19, une mesure très pertinente qui, cependant, a conduit à une augmentation de la violence contre les filles, les adolescentes et les femmes. Par rapport à l'année précédente, la violence a augmenté de plus de 87 %. Les 39 victimes de fémicides dénombrées cette année confirment cette tendance.
Notre lutte face à cette situation
L'idéologie patriarcale a des racines très profondes dans notre culture et est utilisée par les secteurs les plus conservateurs de la société contre toute manifestation qui remet en question les fondements de l'ordre établi. Elle affecte les secteurs majoritaires de la population et se propage aux organisations des secteurs populaires. Il est particulièrement difficile de travailler pour développer une prise de conscience des droits sur les questions de genre.
Il y a des années, des groupes catholiques et évangéliques, en alliance avec les institutions étatiques, ont lancé une véritable croisade contre « l'idéologie de genre », remettant en question même les accords internationaux signés par le Paraguay. Ainsi, ils ont réussi à empêcher la mise en œuvre de l'éducation sexuelle dans le système éducatif public, et un ministre de l'Éducation s'est même porté volontaire pour « brûler des livres sur les places publiques ».
L’opposition au sein des organisations syndicales se manifeste également par de l'hostilité dans de nombreux cas, et la simple mention des questions de genre peut générer de graves divisions. Nous devons donc être particulièrement vigilant·e·s lorsque nous soulevons ces problématiques.
Avec grandes difficultés dans notre organisation, nous avons réussi à avancer au moins sur certains aspects : l'instauration de l'équipe féminine ; la formation systématique aux questions de genre ; le lien avec les organisations de la société civile qui œuvrent dans ce domaine ; et la dénonciation publique systématique des cas et des situations d'abus ou de violations des droits des femmes.Aujourd'hui, nous sommes plus que jamais déterminé·e·s à former les enseignantes en tant que véritables sujets politiques du changement urgent dans notre pays et notre éducation, essayant de regagner le terrain perdu en raison de la pandémie.
En tant qu'organisation syndicale de l’OTEP auténtica sindicato nacional (Organisation des travailleur·euse·s de l'éducation-authentique), nous avons présenté des propositions de politiques publiques, notamment un plus grand investissement dans l'éducation et une prise en compte du contexte d'exception actuel en termes de protection de la santé sous toutes ses formes, principalement la santé mentale de chacun·e des membres de la communauté éducative face aux conséquences de la pandémie.L'investissement dans l'éducation représente à peine 3,4 % du PIB et, dans ces conditions, le droit à un enseignement public de qualité pour les secteurs sociaux appauvris par le modèle néolibéral ne peut être sérieusement soutenu. Nous travaillons sur le plan organisationnel pour parvenir à une position syndicale exigeant l’affectation d’au moins 7 % du PIB à l'investissement dans l'éducation et le respect de la loi en matière de droits du travail et professionnels des enseignant·e·s.
Il reste très difficile d'organiser le débat sur les filets de protection et le développement de stratégies pour faire face aux conséquences de la violence sur les filles, les adolescentes et les femmes adultes. Bien que nous sachions que la violence transcende les classes sociales, il convient de noter que la population appauvrie est la moins protégée. Cet état de fait est d’autant plus important s’il s'inscrit dans le cadre de l'enseignement public, non seulement parce que l'éducation elle-même est la base de la connaissance des droits fondamentaux et des mécanismes de défense possibles pour ceux-ci, mais aussi parce que l'école continuera d’être la seconde structure sociale et culturelle fondamentale de référence pour les enfants et les adolescent·e·s, et donc ce défi devient finalement une politique de l’État.
Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.