Le FMI a 75 ans mais il lui reste encore beaucoup à apprendre. Il a besoin d’un·e enseignant·e professionnel·le qualifié·e pour lui expliquer certaines vérités fondamentales. On ne peut pas à la fois s’engager à poursuivre des objectifs ambitieux pour le développement et ensuite imposer l’austérité. On ne peut pas à la fois limiter la masse salariale du secteur public et ensuite s’inquiéter des pénuries de personnel enseignant, médical et infirmier dans un pays.
Au cours de ces quarante dernières années, le FMI a instauré des conditions de prêt et formulé des recommandations politiques contraignantes pour réduire les dépenses publiques dans les pays en développement. Face à la pandémie de Covid-19, il propose de libérer des dizaines de milliards de dollars sous la forme de prêts d’urgence, notamment pour augmenter les dépenses dans le secteur de la santé, mais, en filigrane, il s’attend clairement à ce que les pays reprennent rapidement leur assainissement budgétaire (le terme privilégié par le FMI pour désigner l’austérité). Il n’existe pas de priorité similaire pour l’éducation, même si l’on sait que la plupart des écoles (en particulier celles comptant des classes de grande taille) n’auront pas la possibilité de rouvrir leurs portes en respectant les mesures de sécurité telles que la distanciation sociale – à moins de recruter de toute urgence des enseignant·e·s supplémentaires.
Dans un rapport publié au mois d’avril, intitulé Who Cares for the Future: finance gender responsive public services!(Qui se soucie de l’avenir ? Financer les services publics sensibles à l’égalité des genres), ActionAid passe en revue les programmes du FMI dans 56 pays, révélant que ce dernier a conseillé à 78 % des pays à faible revenu pour lesquels des données sont disponibles de réduire ou geler la masse salariale du secteur public. Si certains d’entre eux ont pris des mesures pour protéger leurs systèmes de santé et d’éducation au niveau national, on constate que, dans la pratique, cela a conduit à un gel des dépenses salariales. En réalité, le personnel de l’éducation et de la santé forme le groupe le plus important de la masse salariale du secteur public, ce qui explique que si le montant total des dépenses salariales est réduit, il n’est plus possible d’augmenter le salaire des enseignant·e·s ou d’en recruter davantage.
L’UNESCO rappelle régulièrement au monde le besoin crucial de recruter plus de personnel enseignant, tandis que l’Organisation mondiale de la santé rappelle au monde les pénuries désespérantes de personnel infirmier et médical. Mais leurs voix n’ont que peu de poids face à la dure réalité à laquelle doivent faire face les ministères des Finances lorsqu’ils prennent des décisions économiques. En effet, le dogme macroéconomique du FMI et le fondamentalisme du marché prennent le pas sur les ministères des Finances lorsqu’il s’agit de réaliser des dépenses dans les services publics.
Pendant trois ans, de 2005 à 2007, ActionAid a critiqué le FMI pour avoir imposé des plafonds à la masse salariale du secteur public et nous avons travaillé avec l’Internationale de l’Éducation pour dénoncer les dommages causés aux gouvernements désireux d’atteindre des objectifs de développement. Et nous avons gagné. Le FMI a fait marche arrière et a déclaré qu’il n’utiliserait plus les plafonds comme conditions de prêt, où que ce soit dans le monde. Ce fut une grande victoire, qui a permis à plusieurs gouvernements de recruter des milliers, voire des dizaines de milliers, d’enseignant·e·s supplémentaires. À cette époque, le FMI était désarmé, son rôle devenu incertain.
Mais comme nous le savons, la crise financière a éclaté et un de ses effets secondaires inattendus a été de redonner vigueur au FMI. Progressivement, tout est redevenu comme avant. Même si les plafonds explicites ont été supprimés pour les conditions de prêt, le FMI a très fortement influencé les ministères des Finances en soulignant que le personnel de la fonction publique faisait partie du problème et non de la solution.
Au cours de ces derniers mois, nous avons eu des échanges avec des haut·e·s responsables du FMI, au cours desquels nous avons pu constater un degré inquiétant de préjugés ou de partialité inconsciente. Bien que cet exemple puisse paraître extrême, un·e très haut·e responsable a déclaré : « Le secteur public ne devrait intervenir que là où le secteur privé ne peut tirer aucun profit ».
Sur la base de nos conclusions, nous avons demandé au Bureau indépendant d’évaluation du FMI de procéder à un examen complet. Nous souhaitons entendre sa réponse aux questions suivantes :
- Dans quelle mesure les contraintes imposées à la masse salariale du secteur public au cours des années qui ont précédé la Covid-19 ont-elles permis aux systèmes de santé et à d’autres services publics de se préparer à faire face à la pandémie et à la crise économique qui a suivi ?
- Les pays qui investissent davantage dans leurs services publics ont-ils pu répondre plus efficacement à la crise sanitaire et à la crise économique qui a suivi que ceux où les investissements ont été réduits ?
- La crise sanitaire provoquée par la Covid-19 a-t-elle amené le personnel du FMI à reconsidérer le rôle que joue le secteur public dans la prestation des services de santé publique ou autres ?
- Peut-on tirer des leçons de la pandémie à propos de la valeur éthique du secteur public ?
- Les services de santé privés ont-ils été en mesure de répondre à la Covid-19 de manière suffisamment coordonnée et efficace ?
- Existe-t-il un préjugé inconscient ou une pensée collective au sein du FMI à propos du personnel du secteur public en général et des salaires du secteur public en particulier ?
- L’investissement dans le développement du travail décent au sein du secteur public peut-il se révéler un facteur essentiel à la fois pour la réalisation des ODD et le respect des droits humains et pour la croissance et la stabilité économiques ?
Nous poursuivrons notre tentative de donner quelques leçons élémentaires au FMI [1], mais ce dernier semble oublier assez vite et se montre plutôt réfractaire à l’apprentissage.
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Le 5 octobre, à l’occasion de la Journée mondiale des enseignant·e·s, l’Internationale de l’Éducation organise un évènement virtuel de 24 heures à travers le monde entier. Partout dans le monde, les enseignant·e·s se réunissent pour partager ce qu’il·elle·s ont appris en tant que profession et expliquer comment nous pouvons garantir et faire avancer l’éducation de qualité, inclusive et équitable pour tou·te·s.
Le programme complet, auquel participent des enseignant·e·s du monde entier, des chef·fe·s d’Etat, des Premier·ère·s ministres, des ministres de l’Éducation, des dirigeant·e·s d’organisations internationales, des journalistes et scientifiques célèbres, un lauréat du prix Nobel de la paix, ainsi que bon nombre d’autres personnalités, est disponible sur le site >www.5oct.org/programme/>.<>
L’événement est retransmis en direct sur toutes les plateformes de l’internationale de l’Éducation. Vous pouvez vous inscrire ici.
Tous les liens vers les retransmissions en direct sont disponibles sur le site >www.5oct.org/watch/>. Un service d’interprétation est assuré en anglais, français, espagnol, arabe, portugais, russe et japonais.<>
Rendez-vous en ligne !
[1] Unwebinaire mondial consacré à la masse salariale du secteur public sera organisé le 13 octobre prochain par ActionAid, l’Internationale de l’Éducation et l’Internationale des services publics, auquel participeront Haldis Holst, secrétaire générale adjointe de l’IE, et Rosa Pavanelli, secrétaire générale de l’ISP.
Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.