Le fait que le Secrétaire général de l'OCDE, Angel Gurria, prenne lui-même la responsabilité de lancer l'édition 2020 de Regards sur l'éducation (EAG) témoigne de l’ampleur de la crise engendrée par la COVID-19. Si l’OCDE décrit EAG comme une publication phare, riche en données comparatives, celle-ci n’a normalement pas la portée politique de PISA ou TALIS. Cette année, cependant, la pandémie a tout changé. Les données d’EAG auraient pu être ignorées puisque la quasi-totalité d’entre elles ont été recueillies avant la pandémie. M. Gurria était néanmoins déterminé à utiliser ces données pour alerter sur le futur périlleux auquel l’éducation est confrontée.
Il a décrit la situation en allant droit au fait. Tous les pays, a-t-il dit, même s’ils étaient bien préparés à la pandémie, sont maintenant confrontés à une récession économique brutale. Les nations doivent placer l’éducation au centre de la planification de la reprise économique si elles veulent avoir le moindre espoir de réussite. Il a en effet exhorté les pays à renouveler leur engagement politique en faveur des objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies, en particulier envers l’ODD relatif à l’éducation, afin de soutenir la relance de l'économie mondiale.
Il a ainsi lancé un appel aux pays afin qu’ils prennent des mesures pour faire face à l’impact de la COVID-19 et redonnent de l’optimisme et de l’espoir aux jeunes. Il s’est aussi opposé de manière implicite à certains des pays membres de l’OCDE très peu enclins à continuer de financer les efforts de l’OCDE pour aider l’ONU et l’UNESCO dans leurs initiatives d'évaluation des progrès accomplis dans la réalisation des ODD.
Et, bien sûr, M. Gurria n’a pas tort. Se concentrer sur l’amélioration de l’apprentissage pour l’avenir est la seule façon pour les pays de s’équiper des outils nécessaires pour se remettre de l’impact de la pandémie. La COVID-19 a mis à l’épreuve tous les aspects de la société, et l’éducation n’a pas été épargnée. La description de la situation des systèmes éducatifs juste avant que la crise de la COVID-19 ne frappe nous permet également de voir où se trouvaient les failles des systèmes que la pandémie a révélé au grand jour.
Ainsi, la meilleure façon d’utiliser les données d’EAG est de repérer où se trouvent les plus grandes disparités, que ce soit les inégalités entre les pays, les inégalités en matière d’offre d’une éducation de qualité ou encore les différences entre les élèves au regard de leur milieu socio-économique, de leur genre ou de leur appartenance raciale.
Principales préoccupations
La publication souligne clairement les principales préoccupations dans le contexte actuel. L’enseignement à distance a ses limites et n'a manifestement pas compensé la fermeture des établissements d’enseignement dans de nombreux pays. Des recherches récentes, menées par exemple par la NFER, ont révélé que les écarts d'apprentissage entre les élèves riches et pauvres se sont creusés de 46 % en un an (voir article paru dans le Guardian le 31 août). Ce constat s’est avéré particulièrement évident dans le principal domaine abordé par EAG cette année, à savoir l'éducation et la formation professionnelles (EFP), où de nombreux étudiant·e·s sont issu·e·s de milieux relativement défavorisés. Prenez les formations professionnelles par exemple. La plupart de ces formations sont axées sur un volet pratique en entreprise. Or, avec la fermeture des entreprises, ce volet pratique a été quasi impossible à mettre en œuvre. Les formations en alternance dépendent fortement des employeurs qui les proposent.
Pourtant, comme le souligne EAG, les employeurs peuvent donner la priorité à la reprise des activités plutôt qu’à la formation d’apprenti·e·s. La pandémie est survenue à un moment où l’EFP souffrait déjà d'un manque de visibilité et de financement. En bref, de nombreuses formations professionnelles disparaissent et les formations en alternance sont menacées au moment même où le besoin de la société en travailleur·euse·s diplômé·e·s de l’EFP est le plus criant.
Et pourtant les travailleur·euse·s diplômé·e·s de l’EFP, tout comme les enseignant·e·s et les médecins, ont été essentiel·le·s au bon fonctionnement des services publics, en particulier pendant la crise, et il·elle·s continueront de l’être à l'avenir. Comme l'indique clairement EAG, l’éducation et la formation professionnelles doivent désormais être placées sur un pied d'égalité avec les formations proposées par les établissements d’enseignement et les universités dans un nouveau modèle post-pandémie pour l’éducation. Les syndicats de l’éducation ont un rôle essentiel à jouer à cet égard.
Il existe de nombreux autres exemples de domaines pour lesquels la crise de la COVID-19 a mis en évidence à la fois des dangers et des opportunités pour l’éducation. EAG rapporte que le nombre de jeunes âgé·e·s de 18 à 24 ans sans emploi qui ne sont ni scolarisé·e·s ni en formation (en anglais Neither employed nor in education or training, NEET) est tombé à son niveau le plus bas depuis l’année 2000. Avec le danger d'une augmentation drastique du chômage dans de nombreux pays, il est très probable que le nombre de NEET augmente maintenant de façon exponentielle. Là encore, les syndicats de l’éducation ont un rôle essentiel à jouer dans l’élaboration d'une stratégie visant à améliorer l’éducation et la formation des jeunes qui ont quitté l’enseignement obligatoire.
Dans les établissements d’enseignement, bien qu’EAG continue de refléter les doutes de l’OCDE quant à l’existence d’une corrélation entre la taille des classes et les résultats des élèves/étudiant·e·s, les efforts déployés pour assurer le retour en classe de ces dernier·e·s en toute sécurité ont mis en évidence le fait que les établissements avec des classes aux effectifs élevés auront d’autant plus de mal à assurer un retour à temps plein. En effet, EAG rapporte que 60 % des pays organisent désormais des systèmes de rotation pour réguler la fréquentation des élèves/étudiant·e·s. Comme le souligne la publication, « il est plus facile de respecter les règles de distanciation physique dans les pays où les classes sont moins denses. » En résumé, la preuve que des classes denses contribuent à l’épuisement professionnel des enseignant·e·s est désormais complétée par la nécessité de réduire la taille des classes pour des raisons de santé.
Une autre question abordée par EAG est celle du temps consacré par les enseignant·e·s à l’instruction/l’enseignement. Si le temps d’enseignement n'évolue guère d'une année à l’autre, l’essor de l’enseignement mixte à distance et en présentiel ainsi que le retour progressif en classe des élèves/étudiant·e·s pourraient bien imposer aux enseignant·e·s des exigences nouvelles et incertaines qui ne peuvent être quantifiées à l’aide des mesures du temps d’enseignement utilisées précédemment. Or, les exigences imposées aux enseignant·e·s ne se reflètent pas dans leur rémunération. Le fait que les salaires réels des enseignant·e·s sont compris entre 80 et 94 % des revenus des travailleur·euse·s d’autres secteurs ayant des qualifications équivalentes reflète à la fois l’écart global de rémunération entre les genres et le fait que les enseignant·e·s continuent d’être sous-payé·e·s.
Il y a, bien sûr, la question du financement des établissements d'enseignement. Si des mesures ne sont pas prises pour protéger le financement de l’éducation, la récession brutale prévue par l’OCDE l’affectera autant, sinon plus, que d'autres postes du budget public. En outre, s’il sera essentiel de mesurer l’évolution de la situation, EAG souligne clairement le déclin progressif de l’utilisation du produit intérieur brut comme indicateur de référence pour mesurer les dépenses des pays au titre de l'éducation. Les PIB sont susceptibles de diminuer, dans de nombreux cas de manière significative, et il sera tout à fait possible que les pays montrent qu’ils dépensent davantage pour l’éducation en pourcentage de leur PIB alors qu’en réalité ils ont réduit les financements au titre de l'éducation.
Ce ne sont là que quelques exemples car, comme toujours, le titre de la publication, Regards sur l'éducation, est lui-même trompeur puisque le rapport compte un peu moins de 500 pages ! Cependant, tout au long de la publication, des indications mettent en évidence les domaines de l’éducation qui sont menacés à la suite de la récession liée à la crise de la COVID-19. Enfin, EAG montre aussi que, malgré son départ imminent à la retraite en mai prochain, le Secrétaire général de l’OCDE ne quittera pas son poste l'esprit tranquille.
Note: Ce blog a été publié pour la première fois dans le Education Journal, numéro 423 (ISSN : 1364-4505).
Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.