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« Préparer l’après-COVID-19 et lutter contre l’abandon scolaire : les bonnes pratiques syndicales concernant la lutte contre le travail des enfants », par Samuel Grumiau et Pedi Anawi.

Publié 12 juin 2020 Mis à jour 12 juin 2020
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Selon l’OIT, plus de 150 millions d’enfants travaillent dans le monde. Conscients de ce défi et soucieux de promouvoir le droit à une éducation de qualité pour tous, des affiliés de l’IE dans treize pays ont initié des programmes d’éradication du travail des enfants avec le soutien de l’IE et de ses partenaires. Alors que les conséquences de la pandémie du covid-19 risquent d’engendrer une hausse de l’abandon scolaire et du travail des enfants, les bonnes pratiques identifiées dans ces programmes peuvent être des pistes de solutions.

Dans le cadre de ces programmes [i], des « zones libres de tout travail d’enfant » sont développées dans une communauté ou un groupe de villages. Tous les acteurs coopèrent pour la suppression systématique du travail des enfants et leur (ré)intégration dans des établissements scolaires formels et à temps plein. Ces acteurs incluent les enseignants, les parents, les syndicats, les ONG et associations locales, les autorités locales, les responsables religieux et les employeurs. Dans ce type de projet, aucune distinction n’est faite entre les différentes formes de travail des enfants : le but est que toute la population s’imprègne de la norme selon laquelle la scolarité d’un enfant ne peut être compromise.

L’implication des syndicats d’enseignants commence généralement par une formation des personnels de la zone concernée: expliquer aux enseignantes et enseignants les législations liées au travail des enfants, la différence entre le travail des enfants (qui est interdit) et le travail socialisant (qui n’entrave pas la scolarité, mais contribue plutôt à l’acquisition de compétences) ; privilégier une pédagogie centrée sur l’enfant ; les aider à communiquer avec les enfants, les parents et la communauté sur les dangers liés au travail des enfants [ii]... Dans certains pays, comme le Burkina Faso et le Nicaragua, des cercles pédagogiques sont formés entre les enseignants qui ont suivi ces formations syndicales et les autres afin d’améliorer la qualité de l'éducation dans chaque école inclue dans les projets.

A l’issue des formations, unenseignant point focal est désigné au sein de chaque école de la zone pour coordonner les actions à mettre en œuvre pour prévenir l’abandon scolaire et attirer et retenir à l’école les enfants travailleurs. Dans plusieurs pays, cela passe par l’implication des élèves, par exemple via la création ou le renforcement de clubs scolaires de lutte contre le travail des enfants.Au moyen d’activités culturelles telles que la danse, le théâtre de rue et les chants, les membres de ces clubs mènent des activités de sensibilisation sur les conséquences du travail des enfants et l'importance de l'éducation. Ils renseignent les écoles sur les enfants qui ne sont pas scolarisés, afin que les enseignants entrent en contact avec les parents.

« Avant le projet, nous avions peu de communication avec les parents, et même avec les élèves, explique Gela Maria Cardenas, enseignante à La Dalia, au Nicaragua, où le syndicat CGTEN-Anden développe son projet. Nous avons appris à parler aux parents, nous leur rendons visite à leur domicile, ce qui a renforcé leur confiance. Il y a un changement de mentalité au sein de la communauté. L es parents pensaient que le travail des enfants était normal, mais ils comprennent désormais qu'envoyer un e enfant au travail est pénalisant.»

Des écoles plus attrayantes

Rendre l’école plus attrayante est au cœur des projets de lutte contre le travail des enfants de l’IE. Cela passe par l’abandon des punitions corporelles, comme en Ouganda, où le syndicat UNATU propose l’apprentissage de mesures disciplinaires alternatives aux enseignants de la zone d’Erussi (sous-région du Nil occidental). De nombreux projets accordent aussi une grande importance à la célébration de la culture traditionnelle (musique, danse et jeux). « Ces activités sont un facteur important pour lutter contre le décrochage scolaire, souligne Nahass Hamid, coordinateur du projet de lutte contre le travail des enfants du syndicat SNE-FDT au Maroc. L’élève ne s’ennuie pas et c'est une autre façon d'apprendre et de motiver les élèves».

Les syndicats impliquent toute la communauté et les personnes les plus influentes sont invitées à participer aux formations syndicales. C’est le cas, par exemple, des chefs traditionnels et religieux, des collaborateurs des maires, des représentants locaux des ministères de l’Education, parfois de policiers. Des formations sont aussi données aux associations de parents et aux comités de gestion scolaire. Chacun prend conscience du rôle qu’il ou elle peut jouer, par exemple en accompagnant les enseignants lors des visites aux parents pour convaincre en faveur d’un retour à l’école. Des associations de mères d’élèves ont été créées par le syndicat SNEC au Mali pour renforcer ses projets, compte tenu du rôle clé joué par les mères dans l’éducation des enfants.

La sensibilisation aux questions de genre est aussi cruciale, car la scolarité des filles est trop souvent considérée comme secondaire. En Ouganda, le syndicat UNATU met en œuvre une stratégie à multiples facettes comprenant la garantie de la présence d'au moins une enseignante référente dans chaque école, des cours de développement professionnel sur les relations entre les genres et un plaidoyer pour construire des toilettes séparées pour les filles. Les projets se sont aussi attaqués aux obstacles pratiques auxquels les filles peuvent se heurter, par exemple en formant les adolescentes à la fabrication de serviettes hygiéniques réutilisables ou en veillant à ce que les trajets pour se rendre à l'école soient sûrs. Dans plusieurs pays, comme le Zimbabwe, le Malawi et le Mali, l’accent est aussi mis sur la lutte contre la tradition des mariages précoces et l'incidence élevée des grossesses précoces chez les adolescentes.

Des résultats rapides et encourageants

Le développement de ces projets concrétise plusieurs résolutions adoptées par les Congrès de l’IE en lien avec l’élimination du travail des enfants [iii]. Ils aboutissent àdes résultats rapides très encourageants. « Dans la zone de Ouroun, en 2013-2014, nous comptions 1.555 abandons par an dans les 11 écoles inclues dans notre projet. En 2019, il n’y avait plus aucun abandon dans ces écoles», souligne Soumeïla H Maiga, coordinateur des projets de lutte contre le travail des enfants au sein du SNEC. En Ouganda, les effectifs scolaires ont augmenté de 28% entre 2015 et 2019 dans les 15 écoles inclues dans le projet Erussi, tandis que les taux d'abandon scolaire ont très fortement diminué. Au Malawi, sur une période de 8 mois en 2019, 285 enfants (138 garçons, 147 filles) ont été retirés du travail des enfants et inscrits dans les 10 écoles inclues dans un projet des syndicats TUM et PSEUM, à Kawbinja.

La pandémie de la COVID-19 et ses conséquences économiques risquent d’avoir un impact sur la scolarité et la résurgence du travail des enfants. Lorsque les écoles rouvriront leurs portes après de longues périodes de fermeture, les taux de fréquentation risquent de diminuer, à l’image de ce qui a été constaté en Guinée après l’épidémie Ebola en 2014, où certains enfants ne sont pas revenus à l’école lorsque les cours ont repris après l’interruption de plusieurs mois [iv]. Les bonnes pratiques mises en œuvre par les syndicats de l’éducation dans les zones libres de tout travail d’enfant devraient limiter les conséquences négatives. Elles pourraient également inspirer des actions similaires dans d’autres pays pour limiter la résurgence du travail des enfants.

[i] Une recherche sur ces bonnes pratiques est publiée par l’Internationale de l’Education : « Projets contre le travail des enfants de l’IE et AOb: Meilleures pratiques transnationales et leurs impacts sur les syndicats», recherche menée par Nora Wintour, juin 2020.

[ii] Voir l’article de Nora Wintour, « Ramener les enfants à l’école après les fermetures dues à la COVID-19 : comment les projets de l’IE sur le travail des enfants ont autonomisé les enseignant∙e∙s et leurs syndicats», pour plus de détails sur le contenu des formations professionnelles.

[iii] Voir par exemple les résolutions « L’action continue contre le travail des enfants en luttant contre le décrochage scolaire et en œuvrant pour une éducation inclusive de qualité pour tou·te·s» et « Le travail des enfants » adoptées lors du 8è Congrès de l’IE à Bangkok.

[iv] Voir « En Afrique, mettre à profit l’expérience de l’épidémie EBOLA pour combattre le Coronavirus », par Kadiatou Bah et Salifou Camara.

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.