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Photo: Lorianne DiSabato / Flickr
Photo: Lorianne DiSabato / Flickr

« L’apprentissage des étudiant·e·s doit-il se poursuivre durant la pandémie de COVID-19 ? Maslow avant Bloom ? », par Armand Doucet.

Publié 26 mars 2020 Mis à jour 31 mars 2020
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L’apprentissage des étudiant·e·s doit-il se poursuivre durant la pandémie de COVID-19 ? Une question profonde à examiner en cette période exceptionnelle. Les enseignant·e·s doivent se poser la question suivante : « Mes étudiant·e·s sont-il·elle·s prêt·e·s à apprendre aujourd’hui ? » Il s’agit d’une question fondamentale omniprésente dans l’éducation formelle, l’éléphant dans le magasin de porcelaine, raison pour laquelle « Maslow avant Bloom » doit être notre mission pour avancer.

La hiérarchie des besoins de Maslow est une théorie de la motivation appliquée en psychologie, présentant un modèle pyramidal des besoins humains à cinq niveaux. Les principaux niveaux qui nous intéressent dans le cadre de cet article sont les besoins physiologiques (air, eau, nourriture, abri, sommeil, vêtements), les besoins de sécurité (sécurité individuelle, emploi, ressources, santé) et le besoin d’appartenance et d’amour (amitié, famille, sentiment d’être en relation).

Source : Wikimedia commons/ Antimuonium.

La taxonomie de Bloom est un ensemble de trois modèles hiérarchiques utilisés pour classer les objectifs d’apprentissage éducatif selon leur niveau de complexité et de spécificité.

En temps normal, les enseignant·e·s et les établissements scolaires à travers le monde ont beaucoup de mal à atteindre les objectifs d’apprentissage éducatif de la taxonomie de Bloom si la hiérarchie de Maslow n’est pas respectée. Mais cette pandémie rend leur tâche encore plus difficile. Aussi une mission du type « Maslow avant Bloom » est-elle d’une importance capitale pour concevoir les expériences d’apprentissage dans ce contexte particulier.

Stefania Giannini, Sous-directrice générale pour l’éducation auprès de l’UNESCO déclarait récemment dans un article(en anglais) que « les difficultés augmenteront de manière exponentielle si les fermetures d’écoles se prolongent ». Ces problèmes varient fortement entre les pays industrialisés et les pays en développement, entre les grands centres urbains et les zones rurales, entre les riches et les pauvres. Le contexte est réellement important et ce dernier peut, lui aussi, varier au sein d’une même école ou d’une même classe. Une première sélection nous amènerait à considérer le problème de la nourriture, de la protection, de l’isolement social, du degré de soutien, de l’accès à la technologie, de la présence des parents/tuteur·rice·s, du contenu, de l’impact économique, de la santé mentale, etc. D’autre part, j’ajouterais que cette pandémie mettra également en évidence plusieurs problèmes majeurs rencontrés dans nos systèmes éducatifs formels à travers le monde ainsi que leurs liens étroits avec les inégalités sociales. Il va sans dire qu’une approche unique de l’éducation et de l’apprentissage ne fonctionnera pas durant cette pandémie.

Les dernières statistiques indiquent que près d’un milliard d’enfants ne sont désormais plus scolarisés, ce chiffre risquant d’augmenter considérablement à l’heure où la pandémie touche l’Amérique du Sud et l’Afrique. Contextualiser ce que cela signifie pour nos étudiant·e·s est extrêmement « bizarre » pour la majorité d’entre nous, mais nous disposons néanmoins de cadres dans lesquels travailler pour essayer de comprendre, comme le Réseau inter-agences pour l’éducation en situations d’urgence et le Manuel des situations d’urgences du HCR.

Le Manuel des situations d’urgence du HCR pour les réfugié·e·s(en anglais) nous offre un excellent point de départ pour réfléchir à la question qui nous occupe. Bien qu’une crise des réfugié·e·s soit très différente, elle peut néanmoins nous apporter un éclairage intéressant lorsqu’il s’agit de réfléchir à la façon d’aborder l’éducation en présence d’étudiant·e·s projeté·e·s dans un monde très différent de celui qu’il·elle·s connaissent.

Primo, l’éducation en situation d’urgence permet d’assurer une protection physique et psychosociale immédiate (normalisation pas la scolarisation, les horaires, les procédures, etc.). Secundo, le Réseau inter-agences pour l’éducation en situations d’urgence (INEE) soutient que garantir une éducation sûre et de qualité pendant et après une situation d’urgence permettra aux jeunes d’être moins souvent exposé·e·s à des activités qui les mettent en danger (dans ce cas-ci, la distance physique pour le COVID-19). Tertio, l’éducation apporte un sentiment de continuité lorsque tout le reste est en évolution permanente, elle offre un ordinaire stable, sûr et sous contrôle, qui tient compte de leurs besoins scolaires et psychosociaux.

À partir de ces recommandations, il apparaît clairement que nous devrions poursuivre une forme d’apprentissage, mais il ne sera pas possible d’assurer une éducation formelle alignée sur les programmes d’études actuels. Raison pour laquelle, nous devons actuellement privilégier l’apprentissage et non l’éducation formelle.

Souvent, les écoles sont le ciment social de nos communautés, la seule référence stable dans la vie de nos enfants. Elles peuvent être le lieu du seul repas chaud, de l’interaction sociale positive, celui où l’on se sent en sécurité. Mais tout cela a disparu. Cette pandémie nécessite définitivement de tenir compte de ces facteurs lorsque nous envisageons l’apprentissage durant une période de fermeture prolongée des écoles.

Pourtant, aborder cette problématique du seul point de vue de l’enfant reviendrait à passer à côté d’une grande partie de l’équation. Qu’en est-il des parents/tuteur·rice·s ? Certains parents ont perdu leur emploi et leurs revenus, et sont inquiets quant à leur logement et leur nourriture. Certains travaillent désormais de longues heures à domicile. D’autres doivent trouver des services de garde pour leurs enfants s’il·elle·s font partie des personnels de première ligne, indispensables durant cette crise. Lorsque nous privilégions Maslow par rapport à Bloom dans le cadre de l’apprentissage de nos étudiant·e·s, nous devons également voir cela au travers des yeux des parents qui, outre les nombreux autres défis auxquels ils se heurtent, ne sont pas formés pour assurer une éducation formelle.

Inégalités face aux technologies et aux évaluations

Les inégalités auxquelles nous devons réfléchir lorsque nous souhaitons aider nos étudiant·e·s et leurs parents sont innombrables. Les deux derniers points que j’aborderai concernent l’apprentissage et l’évaluation en ligne en période de pandémie.

Les inégalités face aux technologies peuvent notamment se traduire par le fait de ne pas avoir accès à l’apprentissage en ligne, aux logiciels, au matériel informatique, à la bande passante, aux formations pour le personnel et les étudiant·e·s. Trouver des solutions dans ce cadre est un tout autre problème qui sera développé dans un autre article. Les questions majeures consistent à déterminer quelle part de l’apprentissage en ligne doit être réservée à chaque catégorie d’âge et quel doit être le soutien apporté pour remédier à ces inégalités. Les exemples varient fortement entre les régions : en Afrique, la norme est le téléphone portable et non l’ordinateur portable, certaines familles possèdent un seul appareil réservé à un adulte pour lui permettre de travailler à distance, d’autres en possèdent plusieurs et ont facilement accès à Internet. On pourrait se demander pourquoi ne pas simplement diffuser en masse une éducation formelle via la télévision ou la radio nationale. Bien que cela puisse aider à l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et du calcul, l’utilité resterait limitée. Chaque contexte, chaque école variera en fonction de la démographie, des ressources technologiques et des pratiques/procédures pédagogiques.

Si nous considérons ce que chaque étudiant·e sera capable de produire de façon réaliste depuis son domicile, je pense que la question de l’évaluation devient évidente. Aucune évaluation récapitulative ne peut être organisée pour l’instant, mais une rétroaction constructive reste possible.

Alors, que faire ?

Maslow avant Bloom. Lorsque nous avons la certitude que les plus vulnérables ont à manger, que leurs besoins de base sont satisfaits (dans ce cas-ci du savon et des lieux de repos sûrs), alors il est possible de faire prévaloir la solidarité sociale sur la distanciation sociale. Trouver les moyens de maintenir la cohésion sociale qu’apportent les écoles, comme permettre aux étudiant·e·s de garder le contact via les vidéo-conférences ou les services de messagerie. Consacrer ces moments à l’apprentissage et non à l’éducation formelle. L’enseignement à distance ne doit pas forcément inclure une composante en ligne. Collaborer avec les parents, mais sans leur dicter ce qu’ils doivent faire, car leurs réalités peuvent être très différentes des vôtres. Se rendre disponible pour répondre aux questions. Partager avec les parents toutes les idées pouvant les aider dans l’apprentissage de leurs enfants, comme des expériences scientifiques faciles et amusantes à réaliser à la maison par les plus jeunes, en se concentrant sur le questionnement scientifique plutôt que sur les résultats.

Enfin, se rappeler que la priorité doit être accordée à la santé. Je parle de la santé dans un contexte holistique qui inclut la santé mentale, mise évidemment à rude épreuve en cette période. Il n’y a pas de mal à déclarer que « aujourd’hui nous prenons un jour de congé ». Les parents doivent soutenir l’apprentissage de leurs enfants, mais sans se laisser submerger par les réalités de la pandémie. Cela ne fera qu’effacer le sentiment de normalité que leur aura permis d’atteindre leur nouvel enseignement à distance. Cela vaut également pour les enseignant·e·s, à la fois pères et mères de famille. Donnez le meilleur de vous-mêmes, faites preuve d’honnêteté et de transparence dans vos messages. Veillez à la sécurité de chacun∙e et rappelez-vous que la distance physique doit s’accompagner de la solidarité sociale.

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Remarque : cet article est basé sur le rapport indépendant « Thinking about pedagogy in an unfolding pandemic», préparé par Armand Doucet, Deborah Netolicky, Koen Timmers et Francis Jim Tuscano pour documenter les travaux de l’UNESCO et de l’Internationale de l’Éducation.

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.