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A l’issue des élections allemandes, une autre Allemagne est-elle possible?

Publié 24 novembre 2017 Mis à jour 11 janvier 2022
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Réflexions de la Conférence GEW sur « Une éducation de qualité pour les réfugié(e)s », Brême, 20 septembre 2017

Les résultats des élections fédérales allemandes du 24 septembre dernier soulèveront des préoccupations chez un grand nombre de nos collègues et ami(e)s en dehors de l’Allemagne. A l’heure où, à peine 70 ans après la chute du nazisme en Europe, on assiste à la montée de l’AfD – un parti politique qui a obtenu plus de 10 % des voix et qui compte parmi ses dirigeant(e)s des personnes qui souhaitent rendre honneur à l’armée allemande pour ses exploits lors de la Seconde Guerre mondiale et qui encouragent la population à engendrer plus de nouveaux/elles « Allemand(e)s » à travers des affiches montrant une femme enceinte sans visage et qui s’apparente à une machine à faire des bébés –, les préoccupations, mais également l’indignation et l’action, sont de mise.

Toutefois, un examen plus approfondi des résultats révèle que, même si les politiques de l’AfD sont ouvertement anti-islam et anti-migrant(e)s, les contacts avec les migrant(e)s et les musulman(e)s restent relativement limités. Les nouveaux Etats fédéraux de l’Allemagne de l’Est ont accueilli très peu de migrant(e)s jusqu’en 2015. Or, des sociétés multiculturelles bien établies – comme c’est le cas en Allemagne de l’Ouest – sont bien souvent le meilleur rempart face au populisme d’extrême droite.

Quels sont néanmoins les risques lorsque les migrations ont lieu dans un contexte de manque de financement et de lutte pour des ressources limitées parmi la classe ouvrière et les plus démunis ?

En 2015, quelque 12 000 réfugié(e)s, y compris un grand nombre de jeunes de moins de 18 ans non accompagnés, sont arrivé(e)s dans l’Etat de Brême, qui compte 670 000 habitant(e)s. Au même moment, de nombreux/ses migrant(e)s des régions plus pauvres de l’UE ont été attiré(e)s par la perspective d’obtenir un emploi et un logement abordable. Le système éducatif, qui était déjà confronté aux niveaux de pauvreté chez les enfants, parmi les plus élevés d’Allemagne et à de faibles niveaux de financement (par rapport à d’autres grandes villes), a eu du mal à gérer la situation.

En 2016 et 2017, malgré une diminution des nouvelles arrivées, la migration interne de réfugié(e)s autorisé(e)s à se déplacer en Allemagne combinée au regroupement familial approuvé par le gouvernement fédéral a entraîné une forte demande permanente pour des cours d’allemand à destination des migrant(e)s et des réfugié(e)s récemment arrivé(e)s.

D’après les chiffres cités lors d’une réponse à une question parlementaire du parti « La gauche » (Die Linke), le nombre de jeunes ayant suivi des cours s’élevait à 2 723 en 2016 et à 2 622 en 2017. Point positif, nous avons assisté à une diminution claire du nombre de jeunes n’ayant pas obtenu de place à l’école : ces chiffres sont passés de plus de 1 000 début 2016 à 750 fin 2016, et à environ 320 en 2017.

Toutefois, les fonds supplémentaires apportés par les autorités municipales pour les cours d’allemand s’arrêteront en décembre 2017. Aucun programme prévoyant un financement supplémentaire n’a été annoncé pour soutenir les enfants qui ont terminé ces cours et qui sont désormais scolarisé(e)s dans des établissements ordinaires, qui ne comptent, malgré tout, que peu de cours d’allemand. La pression ne cessera d’augmenter.

C’est dans ce contexte que l’antenne du GEW à Brême a organisé, avec le soutien de l’Internationale de l’Education, une conférence d’un jour sur « Une éducation de qualité pour les réfugié(e)s ».

Une centaine de personnes y ont participé ; un chiffre qui, hors contexte, peut sembler dérisoire. Le gouvernement fédéral a poliment décliné notre proposition d’autoriser les enseignant(e)s à y assister. Presque tou(te)s enseignant(e)s qui ont pu y participer avec le soutien de la direction de leur école ont été remplacé(e)s par des collègues, qui ont assuré leurs cours, le plus souvent dans le cadre d’heures supplémentaires obligatoires non rémunérées, qui sont censées n’être utilisées « qu’en cas d’urgence ». Mais, de nos jours, presque chaque jour est une « urgence ».

Jusqu’à cette conférence, nous avions uniquement réussi à mobiliser le personnel chargé des cours préparatoires dans le cadre relativement limité et protégé par la loi des réunions du personnel convoquées par les comités officiels des délégué(e)s du personnel ( Personal Versammlungen convoquées par le Betriebsrat ou le Personalrat-Schule). Dès lors, pour notre antenne, chaque inscription représentait une victoire.

Notre syndicat s’est par ailleurs félicité de la participation d’une trentaine de collègues qui ne sont pas affilié(e)s à notre syndicat. Un grand nombre des enseignant(e)s chargé(e)s des cours préparatoires sont des « sous-traitant(e)s » ou travaillent sous contrat temporaire. Avec un taux d’adhésion syndicale d’environ 15 % parmi les sous-traitant(e), il nous reste encore un long chemin à parcourir, même si ce taux a augmenté de 50 % ces deux dernières années. Si les actions revendicatives concernant les salaires et les conditions de travail nous permettront d’attirer certain(e)s membres, une grande partie des membres du GEW restent fidèles à notre syndicat pour nos politiques d’éducation et le soutien que nous apportons aux travailleurs/euses de l’éducation en tant que professionnel(le)s. La conférence nous a permis d’interagir avec ces collègues à ce niveau-là également.

Résumer une conférence d’un jour dans un court article n’est pas un exercice aisé. Je vais donc tenter de décrire quelques-uns des temps forts du point de vue de l’équipe organisatrice.

Le représentant d’une sénatrice est intervenu au début de la journée. La sénatrice n’avait pas pu participer, mais M. Husemann a fait part de ses préoccupations quant au maintien d’un système d’éducation inclusive pour les enfants réfugiés. Les écoles sont pleines ; au terme de leur cours préparatoire, les jeunes n’ont donc nulle part où aller. M. Husemann a par ailleurs mentionné la forte demande permanente et a insisté sur le fait que le système éducatif avait plus ou moins réussi à surmonter un choc en 2015, mais qu’il ne survivrait pas à des pressions constantes. Il a remercié le personnel présent qui a, selon lui, sauvé les départements de l’éducation en 2015 et 2016. Il a en outre proposé une solution pour la qualification et la reconnaissance des nombreux/euses enseignant(e)s dans ce secteur qui sont considéré(e)s (et payé(e)s !) comme des enseignant(e)s « non qualifié(e)s », soit parce que leur formation à l’étranger n’est pas reconnue, soit parce que leur diplôme ne respecte pas le modèle des diplômes traditionnels allemands dans l’enseignement.

C’est le professeur Fantini qui a prononcé le discours principal. Dans le cadre de son travail avec des enseignant(e)s stagiaires à l’université de Brême, il enseigne notamment l’éducation interculturelle à la faculté des sciences pédagogiques et de l’éducation.

En résumé, le professeur Fantini a souligné l’importance pour les systèmes scolaires et les enseignant(e)s de se concentrer sur ce que les jeunes peuvent apporter à leur éducation (valoriser les ressources) plutôt que sur ce qu’ils/elles ne peuvent pas faire (souligner leurs lacunes). Il a également mentionné le concept de « compétences interculturelles réflexives », qui s’appuie sur l’autoévaluation culturelle et sur une attitude réflexive à l’égard de ce qui est étranger.

Les ateliers organisés avant le déjeuner ont couvert un large éventail de sujets, notamment le partage des expériences des réfugié(e)s dans les écoles ordinaires et le recours aux nouveaux médias pour travailler avec les jeunes migrant(e)s.

J’ai participé à un atelier présidé par Dirk Troué, qui représentait le Conseil des guildes des entrepreneurs de Brême. De nombreux petits et moyens employeurs dans le secteur des services et de la fabrication envisagent de recruter des stagiaires refugié(e)s. Les jeunes font en effet preuve d’un engagement que les employeurs apprécient. Certains des problèmes concrets rencontrés par les apprenti(e)s ont en outre été abordés lors de cet atelier. La partie de l’apprentissage qui se déroule dans un établissement d’enseignement technique et professionnel supérieur (en Allemagne, les apprentissages ont lieu en partie dans l’entreprise et en partie dans ces écoles) nécessite des compétences linguistiques qui représentent souvent un défi pour les étudiant(e)s qui possèdent des lacunes au niveau de leur langue maternelle, et constituent un obstacle important pour les nouveaux/elles arrivant(e)s qui apprennent l’allemand. Le niveau « B1 » requis pour entamer un apprentissage n’a apparemment pas doté les élèves des compétences suffisantes en allemand pour suivre une formation. Un grand nombre de participant(e)s ont souligné la nécessité de proposer une année supplémentaire d’apprentissage de la langue en contexte pour soutenir ces stagiaires.

Claudia Brockmann a présidé un autre atelier sur les compétences interculturelles. Quand on sait que les salles de professeurs en Allemagne ne sont guère différentes des classes de l’enseignement secondaire supérieur d’il y a 10 ou 30 ans – moins de 10 % du personnel est issu de l’immigration –, la discussion relative aux changements que doit faire la « majorité » est essentielle. S’en tenir à « C’est comme cela que ça se passe en Allemagne » ne suffit pas.

Après le déjeuner, deux études de cas ont été présentées.

Mariam Leithe-Alkhazan – qui a apporté une aide précieuse pour l’organisation de la journée (merci !) – a évoqué le recours, dans son école, à des soirées interculturelles afin de briser la glace entre les nouveaux et les anciens élèves. Ces événements permettent de montrer aux communautés récemment arrivées que l’école les apprécie.

Lars Kaempf a montré le site Web trilingue que l’association sans but lucratif« Welcome to Bremen »(« Bienvenue à Brême ») a mis en place en 2016. Le site fournit des informations sur différents aspects de la vie à Brême pour les réfugié(e)s et les migrant(e)s. Pour de plus amples informations, veuillez consulter le site à l’adresse : https://welcometobremen.de/.

La journée s’est terminée par la dégustation de quelques gâteaux et une séance de travail « Café du monde », lors de laquelle les participant(e)s ont pu contribuer au développement de politiques syndicales en préparation de notre conférence prévue en novembre 2017.

Katharina Lenuck est une étudiante de Brême qui a aidé le GEW à organiser la conférence (merci !!) et à mettre en œuvre le projet. Elle a souligné l’importance des contributions de la conférence dans la poursuite du projet visant à soutenir et à améliorer l’éducation des réfugié(e)s à Brême. Bernd Winkelmann, porte-parole de l’antenne du GEW à Brême, a ajouté que la conférence avait confirmé, une fois de plus, que l’un des principaux problèmes liés à l’intégration des réfugié(e)s et des migrant(e)s dans le système éducatif provenait du manque d’investissement.

Un grand nombre de citoyen(ne)s vivant en Allemagne ont exprimé leurs craintes lorsqu’ils/elles se sont rendu(e)s aux urnes le 24 septembre. Le GEW est convaincu que l’AfD ne répond pas aux problèmes rencontrés par les travailleurs/euses allemand(e)s. Certaines des réponses à ces problèmes ont été ébauchées lors de la conférence du GEW.

Un système éducatif équitable et dynamique offrant des opportunités pour tous les jeunes vivant en Allemagne est l’un des éléments clés de la solution au problème des inégalités économiques et de la non-durabilité des économies allemande et européenne sur le plan écologique. Les travailleurs/euses du système éducatif sont des acteurs essentiels – wir schaffen das.

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.