« A Oslo, la gestion du système scolaire est comparable à celle d’une grande entreprise, où les résultats des élèves constituent l’objectif ultime à atteindre. L’objectif visé est une amélioration année après année. »
Tirée d’un article paru dans un journal en 2007, on doit cette citation - si je me souviens bien - à l’un des responsables du bureau du Recteur d’académie (probablement un directeur d’établissement scolaire). Il ne s’agissait non pas d’une critique mais bien d’un éloge. En dépit de leur nature extrême, ses propos reflètent une vision de l’éducation qui, hélas, découle en partie des politiques éducatives appliquées au cours de ces deux dernières décennies. Nous pouvons à bon droit affirmer que nous assistons à une évolution qui nous éloigne de cette approche de l’éducation sous-jacente à cette citation. Et fort heureusement. L’éducation n’est pas un terrain de compétition où doivent s’affronter les pays, les municipalités, les écoles et les élèves pour obtenir les meilleurs résultats aux tests sélectionnés. L’éducation est un espace propice à la libération, la formation (Bildung), l’apprentissage, le bien-être, l’esprit critique, le développement durable, et bien plus encore. L’éducation est un projet dont les composantes essentielles sont les valeurs, la construction de la collectivité, le développement de la confiance. Aujourd’hui, les responsables politiques norvégien(ne)s sont de plus en plus nombreux/ses à reconnaître que les politiques éducatives de ces 20 dernières années ont eu des effets indésirables. De sérieux effets indésirables. Nous devons lutter contre une vision instrumentaliste de l’éducation. Mais nous devons aussi veiller à ce que cette lutte ne soit pas perçue comme un choix entre bien-être et apprentissage, entre écoles du savoir (appellation étrange s’il en est — a-t-on jamais entendu parler d’« hôpitaux de la santé » ?) et écoles de loisirs, entre ce que l’on y investit et ce qui en résulte. Nous devons être capables de voir la complexité. Nous devons comprendre les interconnexions qui existent entre les différents éléments et adopter une approche holistique lors de l’élaboration des politiques éducatives. Et nous devons aussi admettre que l’éducation n’a pas le pouvoir de résoudre tous les problèmes de nos sociétés. En tant qu’enseignant(e)s, nous devons gérer les oppositions : le mesurable et le non mesurable, ce qui est exprimé précisément et ce qui doit être interprété, l’éducation en tant qu’investissement et l’éducation en tant que service, la nature expérimentale et la routine, le planifié et le non planifié. La liste est longue. Si nous, les enseignant(e)s ou la société au sens large, pensons qu’une « entreprise offrant des services d’éducation » peut fonctionner efficacement en ignorant ces tensions, nous faisons fausse route. Lorsque l’on accorde autant d’importance aux objectifs éducatifs mesurables, nul ne s’étonnera des conséquences que cela entraîne. Si nous croyons qu’il suffit de porter notre attention uniquement sur le bien-être de l’élève pour nous donner de bonnes écoles, nous nous trompons.
L’un des éléments les plus frappants dans le débat entourant les autorités éducatives d’Oslo est le degré d’arrogance de leurs déclarations. Je pense que c’est l’anthropologue social norvégien Thomas Hylland Eriksen qui a un jour déclaré que notre pays connaissait une
surenchère en matière d’arrogance. S’agissant de l’éducation, nous devons fuir l’arrogance comme la peste. Et les autorités éducatives d’Oslo devraient très sérieusement tenir compte de cette mise en garde. Au sein d’un système éducatif, nous devons cultiver le doute. Non seulement parce que notre travail est un projet normatif où nous risquons d’utiliser notre pouvoir d’enseignant(e)s à mauvais escient, mais aussi parce qu’il existe de nombreuses voies pour atteindre un même objectif. Et parce qu’il existe un nombre incalculable d’objectifs à atteindre pour une multitude de personnes différentes.
Le théoricien de la pédagogie allemand Klaus Mollenhauer disait à propos de la formation éducative :
« S’agissant de notre propre éducation, nous pouvons exprimer notre reconnaissance aux adultes qui nous l’ont offerte, tout comme nous pouvons leur adresser des reproches. Tout processus de formation est à la fois un élargissement et un enrichissement, mais aussi un rétrécissement et un appauvrissement en regard de qui aurait pu être possible. Les adultes ne sont pas uniquement les instigateurs du développement de l’esprit de l’enfant, ils constituent aussi de puissantes barrières qui circonscrivent sa formation ».
Ceci doit nous inviter à faire preuve d’humilité dans notre approche de l’éducation. Que nous considérions notre système éducatif comme une entreprise ou non.
Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.