Alors que les Nations Unies s'apprêtent à reconnaître l'éducation comme un objectif à part entière pour le développement durable, les 30 millions d'éducateurs/trices membres de l'Internationale de l'Education (IE) dans plus de 170 pays peuvent être fier(e)s du rôle qu'ils/elles ont joué dans les progrès accomplis à travers le monde.
Le nombre d'enfants inscrits à l'école primaire atteint aujourd'hui des niveaux sans précédent. Dans les régions en développement, la fréquentation scolaire au niveau de l'enseignement primaire est passée de 82 pour cent en 1999 à 90 pour cent en 2010. Parmi les jeunes, on observe également moins d'écarts entre le taux d'alphabétisation des filles et celui des garçons.
Adhérant au principe selon lequel une éducation de meilleure qualité pour tou(te)s constitue le pilier indispensable à l'édification d'un monde meilleur, durable, plus productif et plus juste, les affiliés de l'IE et leurs membres ont fait pression sur leurs gouvernements pour qu'ils s'engagent. Plus de 120 affiliés à travers le monde se sont mobilisés au niveau local et régional sous la bannière de la campagne Uni(e)s pour l'éducation de qualité. L'organisation a formé des partenariats avec divers gouvernements et organisations dans le monde afin d'accorder la priorité à l'objectif qui consiste à garantir à chaque étudiant(e) un accès à des enseignant(e)s de qualité, à des outils et des ressources de qualité, ainsi qu'à des environnements pédagogiques de qualité.
Le monde entier sait désormais que la communauté enseignante représente une force vitale qui s'est mobilisée et a pris la tête du mouvement en faveur de l'éducation de qualité pour tou(te)s.
Pourtant, près de 60 millions d'enfants en âge de fréquenter l'école primaire ne sont toujours pas scolarisés, soit 1 enfant sur 10. L'éducation pour tou(te)s reste l'objectif à atteindre, mais la route est semée d'embûches. Les prochaines étapes de notre campagne nous amènent à nous confronter en premier lieu au plus important de ces obstacles : les pressions permanentes prônant la commercialisation et la privatisation de l'éducation.
L'une des plus grandes menaces qui pèsent sur l'éducation de haute qualité est l'introduction de plus en plus répandue d'une logique de marché au sein de l'éducation par des sociétés et des entrepreneurs puissants et influents, actifs dans la commercialisation des services d'éducation à travers le monde.
Mouvement mondial pour la réforme de l'éducation - GERM
L'ambition de ce mouvement de privatisation, aussi appelé Mouvement mondial pour la réforme de l'éducation (GERM), est à la fois commerciale et idéologique.
En tant qu'entreprise commerciale, certaines opérations sont contrôlées par des individus considérant que les ressources éducatives sont littéralement « emprisonnées » dans le secteur public, soit des milliards de milliards de dollars à travers le monde qui ne demandent qu'à être libérés par le secteur privé en vue d'engranger des bénéfices. En tant qu'idéologie, ces puissants pôles de privatisation et d'exploitation commerciale nuisent à la vocation première du service public, tout en réclamant le droit de gérer les fonds publics.
Bien que chacun ait le droit d'exprimer ses opinions, un fait reste un fait. Il existe déjà un modèle efficace pour garantir l'éducation pour tou(te)s : un financement durable de l'éducation assuré principalement par les recettes fiscales nationales, ainsi que des politiques et des pratiques directement soumises à une responsabilité démocratique reflétant la pleine participation de la communauté enseignante, des familles et des communautés, de même que les priorités nationales.
On constate, en effet, que les plus grandes avancées dans l'élargissement de l'accès à l'éducation ont été réalisées en Asie et en Afrique, et que ces progrès sont dus à l'expansion de l'enseignement public suite à la suppression des frais de scolarité. L'accès à un enseignement public universel et gratuit demeure la clé pour réaliser l'éducation pour tou(te)s.
Mais nous observons aujourd'hui que cette tendance à la commercialisation de l'éducation offre bien trop souvent aux acteurs privés l'opportunité d'opérer dans le cadre de systèmes leur permettant de créer des écoles conçues sur le modèle des entreprises privées et utilisant, le plus souvent, des fonds publics. Autrement dit, ce sont leurs écoles, leurs règles, mais notre argent. Il est urgent de mettre un terme aux agissements de ces entreprises qui cherchent à engranger des bénéfices sur le dos de nos enfants.
Établissements scolaires « low-cost » à but lucratif
Les écoles privées dites « low-cost», c'est-à-dire peu coûteuses, sont présentées comme une solution pour instaurer l'éducation pour tou(te)s. Il s'agit d'un modèle d'enseignement vendu aux familles pauvres, leur faisant miroiter que ces écoles embauchent du personnel enseignant hautement motivé et que les résultats scolaires sont supérieurs à ceux enregistrés dans les écoles publiques.
En réalité, la qualité de ces établissements, leur caractère « bon marché » et leur incidence sur l'égalité et l'équité, restent fortement contestés. Ces écoles embauchent généralement du personnel enseignant non qualifié, sous-payé et engagé sous contrat temporaire, en vue de minimiser les coûts opérationnels. De même, afin d'augmenter leurs profits, plusieurs de ces écoles fonctionnent sur un modèle d'éducation « formaté », où enseignement et apprentissage sont normalisés. Même si elles prétendent cibler les communautés pauvres, ces écoles restent généralement inaccessibles aux familles les moins nanties, incapables de s'acquitter des frais journaliers. Pire encore, ces écoles sont susceptibles d'utiliser à leur profit les subventions et les aides publiques réservées aux écoles de l'Etat, affaiblissant ainsi les systèmes d'éducation publics, en particulier dans les pays où le financement public atteint déjà des niveaux très faibles.
Plusieurs recherches sur ce modèle d'enseignement révèlent que les établissements scolaires concernés ouvrent principalement leurs portes à des étudiant(e)s inscrit(e)s auparavant dans d'autres écoles, et non à ceux/celles n'ayant jamais eu l'occasion d'accéder à l'éducation. Par enfant, les frais de scolarité peuvent représenter jusqu'à 40 pour cent du revenu des ménages les plus pauvres. D'autre part, il apparaît clairement que, dans certains pays, les familles pauvres préfèrent payer des frais de scolarité aux garçons plutôt qu'aux filles, si un choix doit s'opérer.
Comme le souligne le Professeur Keith Lewin du Centre pour l'éducation internationale du l'Université du Sussex : « Chaque dollar que dépense une famille pour les frais de scolarité est un dollar de moins consacré à la santé, l'eau potable, l'alimentation et le logement. Par conséquent, les écoles privées payantes sont directement responsables d'un accroissement de la pauvreté. »
L'exploitation de l'éducation à des fins lucratives est moralement condamnable et inacceptable.
Malgré les nombreuses preuves démontrant que l'application des principes du marché aux services d'éducation engendre des conséquences négatives sur les résultats scolaires en renforçant la ségrégation et les inégalités, bon nombre de gouvernements cautionnent ce que l'on peut considérer de facto comme un « démantèlement de l'enseignement public ».
Le problème qui se pose à long terme lorsque des gouvernements externalisent des activités propres au secteur éducatif vers des entreprises commerciales est que les acteurs privés ont la possibilité de s'imposer dans les processus politiques et d'orienter les programmes scolaires dans une voie qui n'est pas toujours la plus avantageuse pour les étudiant(e)s, les enseignant(e)s et la société dans son ensemble. Par ailleurs, les activités déployées par les intervenants commerciaux privés dans le secteur de l'éducation détournent des ressources qui auraient pu servir à recruter des enseignant(e)s supplémentaires et du personnel de soutien à l'éducation ou financer des installations et des programmes destinés aux étudiant(e)s dans le secteur public.
A l'échelle mondiale, les systèmes d'éducation sont de plus en plus axés sur les résultats scolaires mesurables et sur l'évaluation de l'enseignant(e) au travers de tests, comme principaux indicateurs de la qualité. Cette tendance à se fier de plus en plus souvent aux tests normalisés et aux outils de collecte de données (dont les enjeux sont très importants) pour mesurer les résultats d'un système d'éducation, a ouvert grand les portes aux entreprises privées.
Les éducateurs/trices (et les familles) souhaitent un juste équilibre entre les évaluations et l'enseignement, mais les modèles de tests normalisés lucratifs développés et administrés par les entreprises, viennent rompre cet équilibre en privilégiant précisément les évaluations.
Les idéologies politiques prônant la liberté de choix de l'établissement scolaire, la concurrence, la responsabilité, ainsi que la standardisation des tests, des programmes, des méthodes pédagogiques et de l'évaluation des enseignant(e)s sont de plus en plus défendues et littéralement « vendues » aux gouvernements par les institutions internationales et les entreprises ou fondations spécialisées dans le commerce des services éducatifs. Phénomène particulièrement inquiétant pour ce qui est des conflits d'intérêt, les acteurs qui développent et assurent la gestion de ces programmes et instruments sont également les principaux défenseurs d'une extension à large échelle des tests normalisés et de la collecte de données.
Toutes les organisations membres sont invitées à intensifier et à multiplier leurs efforts pour répondre à la privatisation et à la commercialisation croissantes de l'éducation. Toutefois, nous n'y arriverons pas seul(e)s.
Nous sommes confronté(e)s à des acteurs mondiaux ayant atteint un niveau de pouvoir et d'influence inimaginable il y a quelques années. Certains estiment même que les enseignant(e)s ne doivent pas se syndicaliser, se mobiliser ou intervenir dans les politiques éducatives ou tout autre processus politique. Pourquoi ? Tout simplement parce que les enseignant(e)s sont les plus grand(e)s défenseurs/euses mondiaux/ales d'un enseignement public de haute qualité gratuit, accessible à tou(te)s au sein de toutes les communautés et bénéficiant d'un financement suffisant pour placer des effectifs qualifiés dans les classes et élaborer des programmes scolaires rigoureux, riches et valorisants, offrant à chaque enfant la possibilité de développer pleinement son potentiel.
A l'instar de la première phase de la campagne Uni(e)s pour l'éducation de qualité, l'IE ne travaille pas seule pour atteindre ses objectifs.
Le paysage politique mondial actuel nous engage, bien plus qu'auparavant, à créer de nouvelles alliances avec le personnel enseignant, les familles et les communautés.
Quel que soit le degré d'exhaustivité de nos recherches, quel que soit le nombre de nouveaux membres que nous recrutons chaque jour ou le nombre de militant(e)s que nous mobilisons à travers le monde, quel que soit le niveau de transparence que nous cherchons à imposer dans le cadre des transactions de fonds publics réalisées par les acteurs privés, le mouvement mené par l'IE devra toujours, pour être efficace, veiller à ce que les gouvernements de la planète remplissent leur obligation fondamentale de financer adéquatement une enseignement public de qualité pour tou(te)s. Et cette obligation ne peut être externalisée.
Il s'agit d'un moment clé pour l'avenir de l'éducation. A cet égard, l'IE se félicite du récent rapport présenté par le Rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l'éducation à l'Assemblée générale de l'organisation, lequel invite à se montrer vigilant face au développement inquiétant d'un enseignement privé non réglementé et aux menaces qu'il fait peser sur l'éducation de qualité pour tou(te)s.
L'enseignement public de qualité ne peut en aucun cas être écarté des priorités majeures des gouvernements, au risque de porter atteinte aux fondements mêmes de nos sociétés.
Les enjeux sont extrêmement importants ; voilà pourquoi la voix des enseignant(e)s compte aujourd'hui plus que jamais.
La Réponse mondiale à l'édu-business et à la commercialisation de l'éducation exprime la position de l'IE face à l'expansion rapide des activités mercantiles qui gangrènent le secteur de l'éducation à travers le monde. Ensemble, nous pouvons construire le mouvement qui nous permettra de réaliser ce rêve qui consiste à offrir à chaque enfant, quelle que soit sa situation économique et sociale, une éducation de qualité qui lui permettra d'atteindre pleinement son potentiel.
Pour de plus amples informations concernant la participation à notre Réponse mondiale, contactez-nous à l'adresse globalresponse@ei-ie.org
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Spécialisée dans les évaluations et les publications scolaires, la multinationale Pearson PLC figure parmi les entreprises les plus rentables sur le marché mondial de l'éducation. Au cours de cette dernière décennie, la société Pearson s'est lancée dans une restructuration importante afin de parfaire son image de « leader mondial des services d'éducation », détenant désormais une large part du marché des publications scolaires et des outils d'évaluation, ainsi qu'un portefeuille étendu de services éducatifs comprenant notamment des programmes de formation en ligne et toute une série de services intégrés et personnalisables dans plus de 90 pays.12.
Depuis 2010, Pearson s'intéresse plus particulièrement aux marchés émergents, dans le but d'élargir son portefeuille de services éducatifs et de multiplier ses investissements, notamment dans des domaines tels que l'enseignement privé à bas prix, le matériel pédagogique, la certification des enseignant(e)s, la formation en ligne, etc. La société a récemment annoncé son projet d'investir 50 millions de dollars supplémentaires dans des entreprises basées en Asie, en Afrique et en Amérique latine3:
A l'instar des autres entreprises de commercialisation des services éducatifs, Pearson a consolidé sa position stratégique en se définissant comme « le fournisseur de solutions basées sur la marché, capable de résoudre les problèmes auxquels se heurtent les politiques nationales pour établir des normes et améliorer les taux de réussite scolaire, face à la concurrence et aux multiples possibilités offertes dans le domaine de l'éducation ».4.
Leader sur le marché des services éducatifs, Pearson se distingue néanmoins des autres entreprises cherchant à décrocher des contrats avec les gouvernements. Au travers de son lobbying offensif, de ses campagnes et de ses relations publiques, Pearson exerce une forte influence sur les pouvoirs législatifs et l'élaboration des politiques dans bon nombre de pays. En dénonçant l'influence des entreprises spécialisées dans les évaluations, en soulignant que leur objectif n'est pas d'améliorer les écoles et en révélant la véritable nature des relations qu'entretiennent Pearson et d'autres entreprises du même acabit avec les gouvernements et d'autres acteurs souhaitant privatiser les écoles publiques, l'IE espère pouvoir orienter les stratégies mises en place pour l'éducation dans une direction nettement plus positive et productive.
Citation?
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« Dans le secteur des service éducatifs privés à vocation commerciale, il existe des marchés où l'environnement réglementaire se montre plus "ouvert" à l'influence du secteur privé, comme en témoigne le nombre d'écoles privées enregistrées ou non, fondées par Tooley (Université de Newcastle au Royaume-Uni - le Professeur James Tooley est le fondateur des écoles Omega au Ghana). Se référant du marché indien, Tooley affirme que "l'environnement réglementaire constitue un énorme problème". L'environnement réglementaire importe toujours lorsqu'il s'agit de commercialiser l'éducation. En Inde, ce dernier n'est pas propice au lancement d'une éducation censée produire des bénéfices. C'est pourquoi nous nous tournons désormais vers l'Afrique, où il est nettement plus facile de faire des affaires. (BBC, 2013) »
Ecoles Omega au Ghana : offrir une éducation « abordable » ou profiter des populations pauvres ? Chapitre de Curtis B. Riep dans Privatisation, Education and Social Justice Routledge 2015.
Barre latérale
« Les gouvernements doivent déployer tous leurs efforts pour renforcer leurs systèmes d'éducation publics, au lieu de soutenir ou de permettre l'implantation de prestataires privés. L'enseignement à vocation commerciale doit être banni afin de défendre la noble cause de l'éducation » - M. Singh (Kishore Singh, Rapporteur spécial des Nations Unies pour le droit à l'éducation) .
« Le Rapporteur spécial (dans sa présentation à l'Assemblée générale des Nations Unies) a souligné que les gouvernements devaient remplir leurs obligations au travers d'une réglementation, d'une surveillance et d'une législation rigoureuses des écoles privées dans les pays en développement où le système public est submergé par l'augmentation rapide des demandes et incapable d'y répondre.
« L'absence de prise de mesures dans ce domaine a laissé le champ libre aux écoles privées à bas prix, qui cherchent à prendre l'argent des parents sans pour autant offrir une éducation de qualité à leurs enfants. Ces pratiques particulièrement perverses ne réservent aux élèves les plus défavorisés qu'un avenir plus pauvre encore, malgré le sacrifice financier réalisé par leurs parents, a-t-il précisé en appelant les Etats à mettre un terme aux réformes de l'éducation guidées par des intérêts commerciaux et offrant des subventions aux écoles privées. »
Communiqué de presse du Commissaire des Nations Unies aux droits de l'homme, 27 octobre 2014.