Références
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Dillon, S. (2010). In PISA Test, Top Scores From Shanghai Stun Experts. New York Times New York.
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Evers, J., et Kneyber, R. (2013). Het alternatief: weg met de afrekencultuur in het onderwijs! Amsterdam: Boom.
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Visser, A. (2013). Marktfilosofie en onderwijsutopie. In J. Evers et R. Kneyber (Eds.), Het Alternatief: weg met de afrekencultuur in het onderwijs(pp. 19–29). Amsterdam: Boom.
Mais comment cela avait-il pu se produire ? Comme nous n’avions plus aucun espoir de voir un jour un véritable changement se profiler à l’horizon, nous avons eu l’idée de rechercher une alternative aux politiques éducatives actuelles néfastes. Le livre s’est dès lors transformé en une collaboration avec les enseignant(e)s néerlandais(es) et des chercheurs internationaux comme Andy Hargreaves, Howard Gardner et Gert Biesta, pour n’en citer que quelques-uns. L’objectif était de savoir comment nous en étions arrivés à une telle situation, et comment la changer du mieux que nous pouvions.
Au cours de ces vingt dernières années, un profond glissement s’est opéré dans les politiques éducatives. Auparavant, l’éducation était perçue comme un bien public confié aux mains de professionnel(le)s dignes de confiance. Mais, peu à peu, les pouvoirs publics se sont tournés vers les politiques néolibérales pour réformer l’éducation. Selon ce paradigme, les écoles doivent être soumises aux principes du marché et, de même que les enseignant(e)s, rendre des comptes en regard de toute une panoplie d’indicateurs clés de performance (Visser, 2013).Introduits dans les années nonante au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, ces indicateurs sont depuis lors largement utilisés sous diverses formes, d’Europe occidentale au Chili. Pasi Sahlberg a surnommé ces politiques « Global Educational Reform Movement » (Mouvement mondial pour la réforme de l’éducation-GERM) (Sahlberg, 2011).Le lancement des rapports du «Programme international pour le suivi des acquis des élèves » (PISA) de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ont également une part de responsabilité dans le développement rapide de ces politiques. A chaque publication d’une nouvelle édition du rapport Regards sur l’éducation, les pays doivent jongler avec des montagnes de discours apocalyptiques tenus par des expert(e)s annonciateurs/trices d’une catastrophe imminente et d’un nouveau « Moment Spoutnik ». Une première fois ce sont les Finlandais(es) qui vous devancent, la suivante ce sont les petits génies de Shanghai (Dillon, 2010).Les classements internationaux sont désormais devenus la norme et les politiques en matière d’éducation se sont transformées en foire d’empoigne. Exemple particulièrement éclairant, le premier objectif du gouvernement néerlandais lorsqu’il s’agit de politique éducative est de figurer dans un hypothétique « Top 5 » des meilleurs systèmes d’éducation.
Bien que l’assaut fût plus tardif aux Pays-Bas, le pays n’a cependant pas été épargné par les politiques néolibérales. Les responsables politiques ont commencé à considérer leurs secteurs publics comme inefficaces et ont estimé qu’il fallait s’ouvrir aux politiques du marché. Les écoles se sont vu accorder plus d’autonomie financière et, dans un même temps, toute une série de mesures strictes en matière de responsabilité ont été mises en place - supervisées pas un inspecteur chargé de garantir le contrôle de la qualité. Auparavant, l’inspection était une alliée majeure, mais aujourd’hui, les protocoles et autres indicateurs dont la pertinence reste limitée ont insufflé dans le système éducatif néerlandais une « culture du blâme ». La responsabilité punitive était désormais devenue la norme.
Bien entendu, l’éducation n’est pas un marché, pas plus que les écoles ne sont des entreprises commerciales. Au mieux, l’éducation avait quasiment été transformée en marché. Tout était réduit à une vision purement utilitaire de l’éducation: quelle est la valeur ajoutée pour nos enfants?« Tout ce que vous mesurez incitera une personne à optimiser son score pour cette métrique; vous obtenez ce que vous mesurez », déclare Daniel Ariely dans un article sur la performance des entreprises et le salaire des PDG (Ariely, 2010).Dans le cas de l’éducation, il s’agissait des scores obtenus aux tests standardisés. Ces tests standardisés, dont les enjeux sont particulièrement importants, étaient donc devenus la norme, et les enseignant(e)s et les établissements scolaires ont commencé à enseigner uniquement les matières sur lesquelles portaient les évaluations. Il s’est avéré que tout cela n’était rien de plus qu’une question de statistiques et de gestion, comme ont pu le dire les enseignant(e)s et les directeurs/trices à leurs responsables politiques (van der Wateren, 2013).
Pas d’enfants laissés pour compte? Il s’est produit exactement le contraire; les enfants sont bel et bien laissés pour compte. Dans l’Alternative, nous n’avons pas uniquement identifié « le système » comme principal coupable. Les enseignant(e)s et les directeurs/trices ont également leur part de responsabilité. La responsabilité vis-à-vis des enfants a été externalisée, confiée à des tiers, au système, aux indicateurs. Dans cet état d’esprit, l’élève devenait un risque pour les résultats de l’école. Les écoles (les enseignant(e)s!) ont commencé à refuser d’accepter des élèves ou les ont dirigés vers des niveaux inférieurs. Au lieu de favoriser une culture de l’épanouissement et du savoir, nous nous sommes mis à éviter les risques. Pire encore, les écoles ont souvent été au-delà de ce qui leur était demandé. De ce point de vue, les enseignant(e)s se sont transformé(e)s en esclaves volontaires(Jansen, 2013).Une profession avec un profond souci de l’objectif moral et fière de son identité professionnelle n’aurait jamais accepté cela et aurait proposé une alternative.
L’éducation: tout est une question de risque. L’apprentissage d’un enfant n’est pas chose facile à mesurer. Chaque enfant est unique et les résultats sont imprévisibles. Dans une certaine mesure, cela rend vaine toute tentative de comparaison et de standardisation. Sans compter que l’éducation va bien au-delà d’une simple acquisition des connaissances et des compétences. Les bon(ne)s enseignant(e)s le savent. Ils savent que l’éducation s’inscrit également dans une perspective éthique et normative. Pourtant, au même moment, cette responsabilité externe résulte d’un problème de qualité de l’éducation.
Afin de pouvoir améliorer la qualité de l’éducation, nous devons tout d’abord nous demander à quoi sert l’éducation. Selon le philosophe Gert Biesta, une « bonne » éducation a trois fonctions, objectifs et domaines: qualification, socialisation et subjectivation. La qualification est la mission de l’éducation, qui consiste à enseigner aux enfants certaines compétences et connaissances. La socialisation consiste à apprendre aux enfants à s’adapter à l’ordre existant d’une société et la subjectivation est, à de nombreux égards, tout l’inverse de la socialisation: l’éducation a toujours une incidence sur le sujet, la personne, et au travers de la subjectivation, l’éducation tente de mettre en avant l’unicité de chaque personne (Biesta, 2010).
Le concept de Biesta s’oppose non seulement avec force à toute tentative de privatisation et de commercialisation de l’éducation, mais elle résonne également parmi les enseignant(e)s qui reconnaissent ce type de décision et de valeurs dans l’exercice de leur profession. Il offre, en outre, aux enseignant(e)s un langage leur permettant de se re-placer eux-mêmes au centre de l’éducation. En poussant la réflexion plus loin, on peut même affirmer qu’une bonne éducation est en réalité non gouvernable. Une bonne éducation présente toujours un risque, comme l’a décrit Biesta récemment dans The Beautiful Risk of Education(Biesta, 2012).
Pour autant, la question de la qualité de l’éducation est également en lien avec l’espace discrétionnaire des enseignant(e)s, puisque leurs agissements ne peuvent être prescrits et qu’ils/elles doivent disposer d’un certain espace pour prendre des décisions personnelles. Toutefois, cet espace ne peut être illimité. Les pratiques éducatives s’inscrivent toujours dans un espace sociétal défini et les enseignant(e)s doivent, dans le cadre de leur profession, être responsables des préoccupations sociales en lien avec la qualité. Au lieu de rester passifs, les enseignant(e)s doivent se montrer proactifs, bâtir un capital professionnel et gagner cette confiance (Hargreaves et Fullan, 2012).
Afin d’atteindre ce capital professionnel et permettre aux enseignant(e)s de créer un nouveau langage en matière d’éducation, le système doit intégrer des modèles de direction collégiale à tous les niveaux. Nous appelons cela Inverser le système. Au lieu de devoir rendre des comptes au système, c’est le système qui doit être tenu responsable de l’interaction dans les classes et les écoles. Mais simplement laisser les enseignant(e)s prendre tout en main ne suffit pas. Si un(e) enseignant(e) travaille seul(e) et dans l’isolement, cela ne signifie pas pour autant qu’il/elle assume ses responsabilités. Les enseignant(e)s et les écoles devraient assumer leurs responsabilités au travers de partenariats avec les directeurs/trices et les administrateurs/trices au sein des communautés d’apprentissage professionnelles.
La recherche consacrée aux écoles dirigées par les enseignant(e)s a montré que celles-ci enregistraient de bons résultats, un faible taux de rotation et un haut degré d’auto-efficacité du personnel enseignant. Plus important, les enseignant(e)s sont responsables de chaque enfant au sein de la communauté scolaire, car cette responsabilité ne peut être déléguée à personne d’autre (Dirkswager et Farris-Berg, 2012).Comme l’a affirmé Hargreaves, la responsabilité est ce qui reste, lorsque tout ce qui doit être assumé a été soustrait.
Inverser le système s’étend également à l’ensemble du système éducatif. L’expertise des enseignant(e)s doit être capitalisée et utilisée à bon escient. La réussite des systèmes comme ceux mis en place à Singapour est due en partie au fait que les enseignant(e)s interviennent à tous les niveaux, y compris dans les ministères. Un(e) enseignant(e) ne doit pas relayer les pensées d’autrui, il/elle doit être un(e) créateur/trice et un agent du changement. L’Alternative se termine par toute une série de recommandations:
1) Autonomie collective au sein des écoles
2) Encadrer plutôt que contrôler. Plus d’assistant(e)s, moins de directeurs/trices
3) Fonds pour l’innovation, destiné au personnel enseignant
4) Autonomie collective au sein d’un système
5) Un conseil d’enseignant(e)s indépendant
6) Différents rôles de direction pour les enseignant(e)s
7) Examen par les pairs comme moyen de prendre en charge le contrôle de la qualité
C’était également un appel à l’action. Si je ne suis pas pour moi, qui le sera? Et si je ne suis que pour moi, qui suis-je? Et si pas maintenant, quand? Si nous n’agissons pas, qui le fera? Dès le départ, l’Alternative a suscité beaucoup d’intérêt. Lors du lancement du livre, le secrétaire a accepté un exemplaire que nous lui avions remis et, un mois et demi plus tard, il se trouvait déjà sur la table du Parlement. Au cours de l’an dernier, plusieurs de nos idées ont évolué et ont abouti à une initiative menée avec les partis de la coalition au pouvoir, appelée Apprendre ensemble, dont le but est de mettre en œuvre une grande partie de nos recommandations. La profession se sent de plus en plus autonome, comme en témoignent nombreuses initiatives prises par les directions collégiales et les communautés d’apprentissage professionnelles, soutenues par les syndicats. L’Alternative est en train d’être mise en pratique. Les enseignant(e)s apprennent à parler un nouveau langage, ils s’engagent davantage et le système évolue en fonction de cette transformation.
Notre pensée a également évolué. Nous sommes arrivés à la conclusion que les enseignant(e)s devraient collaborer aussi au niveau mondial. Aux quatre coins de la planète, les enseignant(e)s sont confronté(e)s à la plupart des problèmes que nous avons identifiés. Par ailleurs, en y regardant de plus près, il n’est pas difficile de trouver des exemples inspirants, ainsi que des bonnes pratiques adoptées par des enseignant(e)s prenant les choses en main. Les politiques éducatives subissent l’influence toujours plus grande des tendances et des acteurs/trices mondiaux/ales, notamment celle des entreprises et des ONG. Parallèlement, des mouvements menés par la base voient le jour un peu partout dans le monde, exacerbés par les réseaux sociaux et soutenus par les syndicats et les organisations d’enseignant(e)s. Ensemble, ils forment un réseau embryonnaire au niveau mondial, regroupant des enseignant(e)s soucieux/euses de sauver et de façonner l’éducation.
Voilà pourquoi nous travaillons avec l’Internationale de l’Education à la rédaction du second opus de l’Alternative: Inverser le système. Enseignant(e)s et chercheurs/euses du monde entier travailleront ensemble pour réfléchir aux bonnes pratiques et aller de l’avant. Contribuent à cette initiative Andy Hargreaves, Ann Lieberman, John Bangs, Pak Tee Ng, Gert Biesta, Tom Bennet, Eva Hartel, pour ne citer qu’eux/elles. Nous espérons pouvoir publier l’ouvrage au printemps 2015; idéalement, à l’occasion du Sommet international sur la profession enseignante, au Canada. Les enseignant(e)s doivent être au centre et au premier plan de l’éducation partout dans le monde: inverser le système permettra déjà de franchir une petite étape pour que cela devienne une réalité.
Pour de plus amples informations, rendez-vous sur le site www.flip-the-system.org, www.unite4education.org et suivez @jelmerevers et @rkneyber sur Twitter.