Tableau 3. Quel degré de confiance accorderiez-vous à ...
Pour transmettre aux futures générations, autochtones comme immigrantes, ainsi qu'à leurs enfants, les pratiques culturelles qui leur permettront de contribuer efficacement à la sphère publique, nous ne devons pas nous cantonner à la promotion de l'éducation civique dans nos écoles. Nous sommes tenus de réévaluer quel type d'éducation civique contribue efficacement à développer la capacité de fédération des élèves, par-delà leurs différences, en prenant la responsabilité de concrétiser la démocratie dans les actes des citoyen(ne)s ordinaires. Il convient pour cela d'élargir l'approche académique de l'éducation civique pour inclure un apprentissage basé sur les projets et l'expérience, destiné à développer non seulement la connaissance mais aussi la disposition et la capacité à agir en se servant de ses propres connaissances. Nous devons autonomiser les élèves en les invitant à relever des défis civiques et développer les compétences qui leur permettront de venir à bout de ces défis tout au long du processus d'apprentissage. La conception de l'éducation civique au XXIe siècle nous impose de développer simultanément la compréhension cognitive, aux côtés de compétences interpersonnelles et intrapersonnelles, pour permettre aux individus d'agir sur la base de cette compréhension. En apprenant à être autonomes et à travailler avec, diriger et influencer les autres, nous allons préparer la prochaine génération à contribuer aux objectifs publics.
Un défi important de l'éducation civique au XXIe siècle consiste à soutenir le développement des compétences cognitives, interpersonnelles et intrapersonnelles, de sorte que les élèves soient en mesure non seulement de prendre part à la sphère publique, en engageant un débat critique autour des idées importantes pour la démocratie, à l'instar de la liberté religieuse, mais aussi de proposer des innovations sociales et de venir à bout des difficultés collectivement, aux côtés d'individus différents qui cultivent des identités à multiples facettes.
L'enseignement de qualité désigne le type d'enseignement qui concourt à la production de tout le panel de compétences et de résultats inclus dans cette ambitieuse vision – et pas uniquement de certaines compétences ou certains résultats. Assurer cet enseignement de qualité relève de la responsabilité du corps enseignant, qui doit guider la définition des mécanismes permettant les améliorations nécessaires afin de pérenniser cet enseignement.
Ces objectifs doivent en outre être considérés dans le cadre des politiques et des pratiques qui sont destinées à attirer les candidat(e)s vers la profession enseignante, qui appuient leur éducation et évaluent l'enseignement, en proposant aux enseignant(e)s un retour quant à leur efficacité à former des citoyens autonomisés. L'évaluation ainsi menée de la qualité de l'enseignement devrait s'opérer à plusieurs niveaux, afin de refléter dûment la nature multidimensionnelle de la qualité de l'enseignement, et elle impliquera la collecte de données à partir de sources d'informations et d'acteurs multiples.
Eu égard à la promotion du soutien aux enseignant(e)s dans le but d'éduquer des citoyen(ne)s autonomisé(e)s, des citoyen(ne)s qui puissent accorder leur confiance à d'autres afin de collaborer avec eux en faveur du progrès social, les éducateurs/trices et autres parties prenantes se doivent d'établir un processus de collaboration identique en renforçant la coopération en matière d'éducation. Si la confiance est un élément essentiel à la démocratie, elle est tout aussi indispensable à l'amélioration de l'éducation. L'amélioration de l'éducation repose sur l'apprentissage – l'apprentissage par les élèves, par les enseignant(e)s, par les administrateurs/trices et par les décideurs/euses politiques. L'apprentissage ne saurait être véritablement efficace si la crainte règne.
En coordonnant nos efforts afin de renforcer la profession enseignante avec la vision morale d'éduquer les citoyen(ne)s dans une perspective de tolérance et d'autonomisation, nous serons en phase avec les aspirations fondamentales de l'enseignement public et, de fait, avec les aspirations fondamentales de la gouvernance démocratique.
Tableau 2
Dans la même logique, les données tirées de World Values Survey révèlent qu'une minorité de la population est engagée activement auprès d'un parti politique, d'un syndicat, d'une organisation écologique ou d'une organisation humanitaire/caritative. Le tableau 3 montre que les individus n'accordent généralement qu'une confiance réduite à des personnes d'une autre religion ou nationalité. Ce manque de confiance limite la possibilité d'interaction sur un pied d'égalité dans la sphère publique, notamment à une époque où la mondialisation a considérablement accentué la migration ainsi que d'autres opportunités, et rendu nécessaire la collaboration entre des individus d'horizons culturels distincts. Il est particulièrement intéressant d'observer ce faible niveau de confiance également dans des pays où la réussite scolaire évaluée par des programmes tels que PISA est particulièrement élevée. Au Canada par exemple, ou en Finlande, près d'un quart de la population ferait très peu confiance, voire pas confiance du tout, à une personne de religion ou de nationalité différente.
Tableau 1
http://www.worldvaluessurvey.org/ Base de données de World Values Survey. 5 mai 2013.
Sur cette toile de fond, l'Enseignement public a émergé comme un moyen d'éduquer tous les individus afin de leur permettre de prendre part à la vie publique pour contribuer à l'amélioration de la société. Elle est née de cette interaction entre les différentes conceptions de l'école et les moyens imaginés pour permettre à l'instruction de remplir son rôle, associée à la mobilisation sociale et aux politiques visant à identifier des intérêts communs entre des groupes sociaux distincts. Aux Etats-Unis par exemple, Horace Mann (Massachusetts) a formé une coalition en faveur de l'éducation publique ancrée dans une vision morale de l'école: aider les personnes d'horizons culturels divers à développer une confiance mutuelle et à identifier des intérêts communs les uns par rapport aux autres. C'est ainsi que des personnes comme Horace Mann et d'autres encore dans le monde ont progressivement créé les bases institutionnelles permettant à chaque enfant d'avoir une chance d'acquérir des compétences pour accé
La profession enseignante doit refléter une vision morale d'éducation des citoyen(ne)s dans une perspective d'autonomisation. Eduqué(e)s selon une telle vision, les citoyen(ne)s contribuent à une gouvernance démocratique, ils comprennent et réduisent la pauvreté et les inégalités sociales, ils encouragent l'inclusion sociale, contribuent au développement économique, adoptent des formes durables d'interaction avec l'environnement et, en relevant ces défis en tant que citoyen(ne)s internationaux/ales aux côtés de leurs pairs, ils remédient aux clivages nationaux. Pourtant, à l'heure actuelle, rares sont les citoyen(ne)s qui fournissent une telle contribution. Les enseignant(e)s et l'enseignement public peuvent jouer un rôle pour pallier ces déficits.
L'harmonisation de la profession avec cette vision morale ambitieuse de l'enseignement public suppose que les chefs de gouvernements, les syndicats de l'enseignement et la société civile formulent, dans chaque pays, une définition concertée des résultats attendus de l'éducation. Selon moi, cette vision devrait mettre l'accent sur des résultats de nature cognitive, interpersonnelle et intrapersonnelle, en considérant les conséquences à court et à long terme de ces résultats. Toutes les politiques et toutes les initiatives en termes de programmes en faveur d'une amélioration de l'enseignement, en ce compris les démarches d'évaluation de la profession, devront refléter cette vision partagée.
Les conditions en présence permettent d'instaurer le dialogue social nécessaire au développement d'une telle vision. Plus tôt dans l'année, j'ai justement eu l'occasion de participer à deux réunions sur ce thème. La première s'est tenue en janvier à Londres et réunissait des dirigeants de syndicats d'enseignants de pays membres de l'OCDE. Organisée par l'IE, cette conférence a passé à la loupe la situation de l'éducation à travers le globe. La troisième édition du Sommet international sur la profession enseignante à Amsterdam a suivi quasi immédiatement. Ce sommet représente une occasion unique pour les syndicats d'enseignants de s'asseoir à la même table que les ministres des gouvernements et d'analyser, ensemble, la finalité publique générale de l'éducation qui doit orienter le processus de préparation et d'évaluation des enseignant(e)s. L'organisation conjointe du Sommet par l'IE, l'OCDE et le Gouvernement néerlandais a témoigné de la volonté de nombreux pays d'engager un dialogue avec le corps enseignant sur l'avenir de l'éducation en tant que bien public.
Cette vision morale s'appuie sur les fondements mêmes de la création de l'enseignement public. L'idée d'éducation universelle a émergé afin d'aider les individus à surmonter leurs différences de façon pacifique. Cette idée a germé il y a quatre cent ans dans l'esprit de Jan Amos Comenius, un ministre morave qui a traversé trente années d'intolérance religieuse (Guerre de Trente Ans). Comenius soutenait qu'une coexistence pacifique supposait l'éducation de tous les citoyens.
Cette idée, selon laquelle toute personne devait être éduquée, était également un principe fondamental du Siècle des Lumières, un mouvement intellectuel du XVIIIe siècle prônant le pouvoir de la raison humaine dans une perspective d'amélioration de la société, et qui encourageait le recours à la science pour comprendre le monde naturel et la place de l'Homme dans l'univers. Les idées phares du Siècle des Lumières, notamment la contestation du pouvoir abusif de l'Etat et de l'Eglise ainsi que la promotion de la tolérance et du progrès social comme résultante de la raison et de la liberté individuelle, ont influencé les mouvements révolutionnaires en faveur de l'Indépendance en Amérique du Nord et en Amérique du Sud ainsi que l'émergence de gouvernements démocratiques.
L'expérience démocratique requiert une société civile active, composée de citoyen(ne)s ordinaires qui se réunissent dans la sphère publique pour formuler, discuter et diffuser des idées politiques sur un pied d'égalité et pour concourir à l'amélioration de leurs communautés, en se fondant simplement sur la « raison éclairée » et sur les faits scientifiques. Pour collaborer sur un pied d'égalité dans la sphère publique, les individus doivent faire montre de tolérance envers ceux qui sont différents, et ils doivent avoir les moyens de prendre des responsabilités. Ces deux aspects sont largement mis en avant dans la plupart des pays du monde. A l'appui des données recueillies par World Values Survey, le tableau 1 révèle dans quelles proportions la tolérance et le respect vis-à-vis d'autrui ont été cités comme des qualités importantes chez l'enfant par les populations interrogées. Ces valeurs ont été retenues loin devant les autres propositions que sont l'indépendance, le travail assidu, l'imagination, le sens de l'économie, la détermination, la foi religieuse, la générosité ou l'obéissance.