Enseignement de marché libre
Au-delà du débat sur les modèles de financement de l’éducation, les syndicats d’enseignants attirent l’attention sur le modèle social qui s’impose. Les défenseurs du secteur privé revendiquent le droit à la ‘liberté de choix’ des familles, alors que ses détracteurs soulignent que le principe d’égalité des chances est sacrifié.
Cette idée est parfaitement illustrée par le nouveau système d’évaluation, qui utilise les résultats scolaires comme le seul critère valable. Le ministère de l’Education a annoncé, en janvier, son intention de réaliser des examens obligatoires de réussite scolaire résultant en la création d’un système de classement des écoles.
Il n’est pas encore clair si ces résultats seront publiés, mais ils seront envoyés à toutes les familles afin de les aider à choisir une école. En outre, des mesures incitatives seront offertes aux « meilleurs » établissements scolaires, imposant le principe de marché libre de la compétitivité entre les écoles.
En Catalogne, un organisme indépendant doté de la pleine personnalité juridique a été créé pour diriger le processus d’évaluation, pouvant recevoir des dons d’entreprises publiques et privées. « Ces conditions jettent de sérieux doutes quant à la question de savoir si ses actions répondront aux intérêts politiques et privés ou aux besoins du système scolaire », a déclaré le syndicat USTEC-STEs.
Dans la Communauté de Valence, le Responsable de l’éducation, José Císcar, a annoncé, en janvier, que le dénommé modèle d’école-entreprise sera introduit en vue de lier tant l’enseignement supérieur que professionnel « directement au monde des entreprises ». À cette fin, il serait toutefois nécessaire de mettre sur pied une structure de formation dans les entreprises espagnoles, qui fait actuellement défaut, nécessitant dès lors un investissement significatif.
En résumé, l’importance de la rentabilité et de la productivité est actuellement mise en évidence dans l’éducation qui, à l’instar de nombreux autres secteurs, est à présent dictée par les exigences du marché.
« La tendance générale est au démantèlement de l’université publique comme espace de pensée critique et de créativité sociale », a affirmé A. Méndez Rubio, Professeur à l’Université de Valence, faisant référence à sa propre expérience en matière d’enseignement. « Pour survivre, nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour vaincre notre peur et s’en sortir. Ce n’est pas que rien ne peut être fait, c’est que tout est en jeu ».
Selon un rapport du département de la recherche du syndicat de l’enseignement FECCOO, le montant investi par étudiant(e) en Espagne sera réduit de 15% durant les trois prochaines années. Cette mesure est due aux réductions simultanées et à une hausse du nombre d’étudiant(e)s, dont la majorité sont des jeunes qui, face à l’absence de possibilités d’emploi, reprennent leurs études.
L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) estime que 44% des étudiants du pays peuvent être considérés comme ‘vulnérables’, c’est-à-dire provenant de familles à bas revenu et ayant un faible niveau d’éducation, ou de familles immigrantes de première ou de deuxième génération. Quatre-vingt-dix pour cent de ces étudiant(e)s sont inscrit(e)s dans des écoles publiques.
Selon les syndicats d’enseignants, un système éducatif égalitaire viserait à renforcer l’attention individualisée dont ces étudiant(e)s ont besoin. Toutefois, les coupes les plus drastiques dans le secteur de l’éducation ont justement été opérées dans les programmes destinés aux étudiant(e)s requérant une attention spéciale ainsi que dans les programmes en faveur de la diversité.
Une des principales critiques formulées par les syndicats d’enseignants, qui mobilisent actuellement une opposition massive aux coupes dans l’éducation, concerne la réduction des dépenses consacrées à l’éducation publique alors que l’éducation privée bénéficie d’avantages publics. Il est néanmoins difficile de parler d’une tendance uniforme dans la mesure où les normes éducatives sont établies par les Communautés autonomes et la situation peut varier considérablement d’une Communauté à l’autre.
Un accord déconcertant
La dénommée educación concertada, à savoir l’éducation privée subventionnée par l’Etat, prédomine dans l’enseignement obligatoire en Espagne. L’Église catholique romaine gère deux tiers de ces écoles.
Le Gouvernement actuel propose d’étendre ce modèle à l’enseignement préuniversitaire qui a, jusqu’à présent, été principalement géré par l’Etat. Juan Martínez, du département de la recherche de la FECCOO, a prévenu que cela impliquerait au moins « une augmentation de 10% de la charge de travail des enseignants, incompatible avec les coupes actuelles et le gel du nombre de postes d’enseignants ». La déréglementation et l’absence de négociation collective dans le secteur privé subventionné permettent, toutefois, d’engager du personnel enseignant sous-qualifié, disposé à travailler davantage d’heures pour un salaire inférieur.
Au moins quatre Communautés autonomes ont augmenté le financement destiné à ce secteur au détriment des écoles publiques au cours des deux dernières années, en fournissant des fonds pour créer de nouvelles écoles privées subventionnées.
Il existe actuellement un vide juridique dans le secteur privé subventionné. Le cadre législatif actuel est déterminé par l’arrêté royal des accords en matière d’éducation, un ensemble de directives, datant de 1985 et n’ayant jamais fait l’objet d’une réforme, qui offre aux gouvernements une marge de manoeuvre importante.
« Pourquoi le terrain public est-il cédé en temps de crise pour construire des écoles privées subventionnées et plus aucune école publique n’est-elle construite? » demande une enseignante exaspérée face à la cession-bail d’un terrain public, évalué à 15 millions d’euros, à l’Opus Dei, une institution catholique, en vue de la construction d’une école privée subventionnée dans la Communauté de Madrid en 2011.
La Présidente de la Communauté autonome de Madrid, Esperanza Aguirre, a également cédé un terrain public à deux entreprises privées, pour une période de 50-60 ans, au prix de 5.000 – 6.000 ¤ par an. Les médias semblent indiquer que le gouvernement a trouvé une sortie à la crise de l’immobilier en favorisant l’accès d’entreprises privées aux établissements scolaires.
Eduardo Sabina, de la section syndicale de la FETE-UGT à Madrid, explique la manière dont cette pratique devient une bonne affaire pour certains chefs d’entreprise: « Ils vous cèdent le terrain, presque gratuitement, ils vous fournissent les clients – grâce aux habitations construites récemment dans les environs – et paient le personnel enseignant avec des fonds publics. Les entreprises gèrent les écoles et prélèvent des frais aux familles afin que l’affaire soit rentable. Il s’agit d’un modèle pervers ».
Un autre aspect préoccupant pour le syndicat est la déduction fiscale qui est offerte à ces familles. Dans certaines Communautés comme Madrid, ces déductions sont appliquées depuis 2009 et sont en hausse , au profit des familles ayant les revenus les plus élevés.
Quoi qu’il en soit, l’éducation privée subventionnée n’est pas sortie indemne de la crise économique. Le solde global de son budget est négatif depuis 2010 et un grand nombre de ces écoles sont confrontées à de graves difficultés économiques.