En septembre 2010, Mireille de Koning, de l’unité recherche de l’IE, a visité quatre Etats en Inde afin de rédiger une étude sur la formation des enseignants non- et sous-qualifiés (sous contrat) du niveau primaire. C’est ainsi qu’elle a rencontré des responsables politiques et des instituteurs afin de connaître les principaux défis en matière de formation de qualité des enseignants. Dans son rapport, elle nous fait partager certaines réflexions sur sa visite, durant laquelle la All India Primary Teachers Federationlui a fourni tout le support organisationnel nécessaire. L’étude complète sera publiée dans le courant de cette année.
En entrant dans la salle de classe, je lançai un joyeux « Namaste…! »
Quarante élèves tout excités, âgés de 9-10 ans, se levèrent bruyamment. Les regards allèrent de moi au professeur et revinrent à nouveau vers moi, avant que les enfants n’entonnent avec une parfaite harmonie : « nam-mas-ste-e-e!! »
En me pointant du doigt, je prononçai en hésitant : « Meranama Mireille hai » (Je m’appelle Mireille). Des rangées d’enfants, souriant timidement, m’observèrent d’un air interrogateur. Quelques gloussements. Je jetai un coup d’œil au professeur qui, rassurant, me salua de la tête, avant de demander aux enfants de se rasseoir.
Les mêmes scènes se déroulèrent dans presque toutes les écoles et salles de classe visitées en Inde: dans les écoles privées de Delhi, les petites écoles de village autour de Lucknow, des districts ruraux près de Bhopal et les faubourgs sans cesse en expansion de Calcutta où, ayant oublié que les enfants ne parlaient pas hindi, mes salutations d’usage provoquèrent des gloussements déconcertés.
Rencontrer les responsables et les exécutants de la politique éducative dans leurs bureaux encombrés de Delhi et de la capitale des Etats constitue une expérience éloignée de la routine quotidienne d’une école de village rural de l’Uttar Pradesh, de Madhya Pradesh et du Bengale occidental. Ce fossé qui existe entre les hauts dirigeants politiques et la réalité de la salle de classe illustre les difficultés d’organisation et coordination d’un système d’enseignement public sans cesse en expansion, dans le but de satisfaire aux besoins d’une société caractérisée par de très importants clivages socioculturels, religieux, linguistiques et économiques. Assurer 'l’Education pour Tous' n’est pas tâche aisée dans le sous-continent indien de plus de 1,1 milliard d’habitants, où l’on estime que des millions d’enfants ne bénéficient pas d’un accès adéquat à l’école.
Les para-enseignants ne sont pas la solution
Garantir que le recrutement et le maintien des enseignants suivent le rythme de l’évolution en matière d’éducation représente un défi majeur. Durant les dernières décennies, beaucoup de gouvernements des Etats ont eu recours au recrutement d’enseignants sur base d’un maigre salaire et possédant peu ou pas de formation. On estime qu’environ 500.000 « para-enseignants » travaillent dans des écoles à travers le pays, un nombre en augmentation. Cette solution considérée à court terme est aujourd’hui bien établie dans le système éducatif indien. Présenter des solutions pragmatiques pour un recrutement et une formation de qualité des enseignants devient de plus en plus urgent pour les syndicats d’enseignants et le secteur plus large de l’Education et il n’existe pas de solution facile.
L’équité reste un vœu pieux
Les grèves massives organisées par des « para-enseignants » demandant des salaires plus élevés, les contrastes dans la situation des écoles, de la salle de cours complètement décorée à la salle de classe unique où les enfants sont présents mais pas le professeur, et les entretiens avec les professeurs d’université déclarant que les profondes réformes gouvernementales dans l’éducation ne mèneront pas à de vrais changements dans la salle de classe m’ont dressé le portrait d’un système éducatif qui n’a pas peur de l’innovation, mais où l’équité reste difficile à atteindre.
Entreprend-t-on suffisamment pour concilier théorie et pratique afin de combler le fossé qualitatif en matière d’éducation? Les syndicats d’enseignants réussissent-ils à faire entendre leur voix dans le débat sur l’Education ou peut-on faire plus? Quelles solutions réalistes et aujourd’hui économiquement viables existent concernant la formation de l’enseignant? Les problèmes sont-ils simplement trop complexes dans un système éducatif et une société déjà très fracturés, où près de la moitié de la population vit dans la pauvreté?
L’éducation malgré des conditions difficiles
Dans chaque école que je visite, je ressens la même impression: les conditions peuvent être miséreuses, les ressources peu nombreuses, les enfants assis sur un revêtement de simple ciment, dans des salles de classe surpeuplées, aux murs nus, partageant les mêmes livres, et les enseignants peuvent gagner un salaire bien en dessous d’une rémunération décente, mais personne n’abandonne. Presque chaque jour, des articles de journaux et des blogues débattent de la toute récente loi sur le droit à l’Education, tandis que les militants syndicaux parlent avec passion des besoins supplémentaires pour offrir à chaque enfant la chance d’accéder à la meilleure éducation possible grâce à des enseignants formés professionnellement.
Il est six heures du matin et je suis dans un taxi en route pour l’aéroport. Calcutta s’éveille tandis que nous roulons à travers les rues grouillantes où vivent des familles dans des constructions en forme de tente. Des femmes se penchent sur des petits poêles pour préparer le repas, des hommes s’accroupissent dans des caniveaux et se lavent, des jeunes hommes portent sur la tête des paniers chargés de biens à vendre et les omniprésents conducteurs de rickshaws, des tricycles de transport, attendent les clients.
Une tente installée sur le trottoir s’ouvre, d’où émerge une jeune mère en sari coloré. Elle pousse devant elle deux petits enfants bien soignés et en uniforme, portant des sacs à dos, les cheveux mouillés agrémentés d’une raie sur le côté. Je les observe marchant dans la direction opposée. Ils se dirigent vers l’école.
Par Mireille de Koning, Internationale de l’Education