Jan Eastman est Secrétaire générale adjointe de l’IE, en charge des droits humains et syndicaux et des questions d'égalité. Originaire de Tasmanie, elle a enseigné l'anglais et les sciences sociales au Canada, et s'est spécialisée dans l'enseignement aux élèves ayant des difficultés d'apprentissage. Jan a présidé le Comité de la promotion des femmes de l'IE et s'est faite la championne de la lutte pour l'égalité des genres pendant de nombreuses années. Elle répond dans cet entretien à des questions concernant les défis et les opportunités qui seront débattus lors de la première Conférence des femmes de l’IE à Bangkok, en Thaïlande, du 23 au 23 janvier 2011.
Sommes-nous dans les temps pour réaliser le troisième Objectif du Millénaire pour le développement (l'égalité des genres)?
Nous pouvons constater que des progrès ont été réalisés dans le domaine de l'égalité des genres, mais ils restent inégalement répartis au niveau mondial. Certains pays régressent même. Si vous comparez les données similaires, au niveau international, que ce soit pour l'éducation, l'activité économique ou l'émancipation politique, comme l'a fait l'organisation Social Watch, l'indice nous montre que l'inégalité des genres ne diminue pas dans nombre de pays. Les progrès sont ralentis par des problèmes systémiques, tels que l'attitude des gens et la discrimination. Disposer d'un cadre de droits législatif ou inclure l'égalité des genres dans la constitution n'est pas suffisant. Par exemple, malgré la législation, aucun pays n'a réellement mis en œuvre l'équité des salaires entre hommes et femmes, bien que la Convention n°100 de l'Organisation internationale du Travail (OIT) concernant l'équité de rémunération ait été ratifiée par la quasi-totalité des Etats membres de l'OIT. Nous avons besoin non seulement d'augmenter considérablement l'intérêt que les politiciens portent à ce problème, mais aussi d'attirer plus d'investissements et d'avoir une action coordonnée; ceci est d'autant plus vrai de nos jours, car la crise économique qui sévit actuellement ne fait qu'empirer la situation. Nous espérons sincèrement que la nouvelle organisation, ONU Femmes, sera efficace.
Y a-t-il eu des progrès dans l'accès des jeunes filles à l'éducation au plan mondial ?
Nous avons fait des progrès car l'égalité des genres s'installe progressivement dans les régions en développement. A l'école primaire, pour chaque groupe de 100 garçons scolarisés, on trouve près de 96 filles et le rapport est de 95 filles pour 100 garçons au niveau secondaire. Ceci dit, il reste encore beaucoup à faire et je doute que l'objectif de l'Education pour Tous soit atteint en 2015 ; l'accès des jeunes filles à l'éducation est moins élevé en Océanie, en Afrique subsaharienne, en Asie du Sud et occidentale. Un grand nombre d'obstacles s'opposent à leur accès au système éducatif, notamment la culture et les traditions de leurs pays, le manque de sécurité à l'école, ainsi que le nombre restreint d'établissements scolaires en milieu rural. Le travail des enfants, qui emprunte souvent pour les jeunes filles des formes cachées comme le travail domestique, et les situations de conflit ou de post-conflit sont des obstacles majeurs. Le travail des enseignants est vital, car c'est la qualité de l'enseignement prodigué, elle-même dépendant des enseignants, qui encourage les parents à envoyer leurs filles à l'école et à les y laisser.
L'IE a tenu un rôle majeur pour montrer les liens entre le manque d'éducation l'inégalité et les injustices. L'éducation peut-elle aider à éradiquer ces problèmes ?
L'IE pense que la mise en place de systèmes scolaires publics de qualité est le principal facteur qui permettra de réduire les inégalités et les injustices dans le monde. Le droit à l'éduction est un droit humain en lui-même, ainsi qu'une obligation morale essentielle. Cependant, les indices tendent à prouver que le meilleur outil de développement existant se trouve être l'éducation des jeunes filles. Les femmes éduquées se marient plus tard et ont moins d'enfants. Ces derniers sont en meilleure santé, mieux nourris et ont plus de chances d'aller à l'école plutôt que de travailler. De plus, les femmes éduquées sont mieux informées: elles savent se protéger des maladies, tel que le VIH, et s'adresser à des services publics de qualité, notamment en matière de santé. Leurs salaires sont plus élevés, ce qui leur permet d'utiliser une plus grande partie de l'argent qu'elles gagnent pour soutenir leurs familles et leurs communautés. Les femmes n'ayant pas accès à une éducation restent souvent enfermées dans un cercle vicieux : mariage prématuré, taux de mortalité infantile plus élevé, mauvaise santé. Elles sont davantage sujettes aux maladies et à la pauvreté.
Les réseaux de l'IE forment la partie la plus visible de l'organisation dans la communauté mondiale. Quel impact ont-ils ?
Depuis 2007, les réseaux régionaux et sous-régionaux de l'IE se sont grandement développés et renforcés. Je pense que les réseaux sont très importants et je considère que notre rôle est de les soutenir et de les encourager à tous les niveaux. Nous les considérons comme des outils essentiels car ils permettent d'identifier les problèmes rencontrés par les femmes, à tous les niveaux et sont un véhicule efficace dans la mise en œuvre de nouvelles politiques, des réformes s'ils sont exploités et font partie des objectifs des syndicats. L'un des objectifs clés de la première Conférence mondiale des femmes de l'IE est de donner l'occasion aux réseaux de se rassembler et de créer un réseau mondial axé sur la planification d'actions stratégiques, afin de pouvoir cibler les problèmes et les difficultés communs. Ces réseaux seront en mesure d'attirer l'attention des syndicats sur ces problèmes. Ensemble, ils pourront alors accroître leurs efforts pour changer les attitudes, faire la place à une nouvelle façon de penser, encourager fortement l'autonomisation économique et politique, et, bien sûr, permettre aux jeunes filles et aux femmes de recevoir un enseignement et une formation tout au long de leur vie, afin qu'elles trouvent des emplois à temps plein et décents.
Tant de choses semblent dépendre de la personne qui fait classe et de ce qui est enseigné. Qu'est-ce qui est le plus important ?
En tant qu'enseignante, et au nom de l'IE, je pense qu'il est juste d'affirmer qu'il nous faut garantir à tous les enfants l'accès à une éducation de qualité. Par conséquent, nous avons besoin de plus d'enseignants qualifiés et soutenus pour créer un environnement d'apprentissage accueillant, positif et sûr, pour les garçons comme pour les filles. Il est essentiel d'employer plus d'enseignantes, à tous les niveaux et dans toutes les matières, en particulier en mathématiques, en sciences et en technologie, car elles sont une référence à laquelle les jeunes filles peuvent s'identifier. Nous devons aussi sensibiliser plus aux questions liées aux genres lors de la formation des enseignants, avoir des programmes scolaires et les matériaux utilisés en cours qui célèbrent la diversité et incluent une perspective sur le genre. Investir dans le secteur de l'éducation doit comprendre l’élaboration de programmes de formation des enseignants de bonne qualité, l’encadrement des enseignants débutants et la mise en place d’une formation professionnelle continue, sans oublier une rémunération équitable et des conditions de travail décentes. L’engagement et e développement de systèmes éducatifs, d'écoles et de programmes inclusifs est complexe et ardu. L’engagement et les investissements dans ce domaine doivent être considérables, mais peuvent être remboursés au centuple si nos enfants et nos jeunes, sur toute la planète, peuvent apprendre à vivre et travailler ensemble, à l'intérieur de la salle de classe, comme à l’extérieur au sein de la communauté. Faire que les générations futures considèrent l'égalité des genres comme une réalité de tous les jours serait un beau legs, et il semble bel et bien que la salle de classe, la salle de classe à l'échelle mondiale, soit l'endroit le plus important pour y parvenir.
Par Steve Snider et Leona Hiraoka, National Education Association (NEA)