Dans un contexte mondial de pénurie d’enseignant·e·s, où la privatisation et la commercialisation de l’éducation érodent la valeur du public, la campagne de l’Internationale de l’Éducation « La force du public : Ensemble on fait école ! », se positionne comme un mouvement essentiel porté par la profession enseignante pour protéger et renforcer l’éducation publique en Amérique latine et de par le monde.
Cette campagne vise non seulement à donner une visibilité accrue aux menaces qu’affronte l’éducation publique, mais aussi et surtout à articuler une réponse collective autour de la revendication du droit à une éducation gratuite, inclusive et de qualité pour toutes et tous. En centrant le débat sur l’égalité des chances et la justice sociale, la campagne « La force du public : Ensemble on fait école ! », fait valoir que l’éducation ne peut être réduite à une simple marchandise subordonnée à la logique du marché mais qu’elle doit, au contraire, être garantie par l’État en tant que droit social.
Que défendons-nous?
Dans le cadre de la campagne, deux journées d’action ont été organisées à Montevideo, Uruguay, les 19 et 20 septembre. Celles-ci ont permis de mettre en exergue les défis à relever, tout en ouvrant un espace de réflexion, de débat et de planification d’actions concrètes visant à accroître les investissements de l’État dans l’enseignement public et à revaloriser la profession enseignante.
L’événement a également servi de plateforme pour réaffirmer l’Engagement 6+1, qui fait partie des propositions clés de la campagne en Uruguay. Cet engagement vise à garantir un plancher budgétaire de 6 % du produit intérieur brut (PIB) pour l’éducation publique, plus 1 % supplémentaire destiné à la recherche et à l’innovation. Il s’agit pour les affiliés de l’Internationale de l’Éducation (IE) en Uruguay d’un appel urgent, pour s’assurer que le système éducatif public puisse satisfaire les besoins réels du pays.
« La campagne mondiale “La force du public” est fondamentale pour réaliser nos quatre priorités : défendre et promouvoir le statut de notre profession, garantir une éducation publique de qualité pour toutes et tous, protéger la démocratie et les droits humains et syndicaux et enseigner pour la planète. Nous pouvons y parvenir en renforçant nos syndicats avec plus d’organisation, plus d’unité dans l’action, plus de membres et plus de femmes aux postes de direction », a déclaré Angelo Gavrielatos, directeur de campagne de l’IE, lors de la cérémonie d’ouverture.
À l’issue d’une série de sessions d’évaluation des politiques où il a été question, notamment, des dimensions pédagogique et politique de la campagne, il est apparu clairement que l’éducation publique ne devait pas seulement être un service « accessible », mais qu’elle devait aussi constituer un cadre de référence pour des politiques publiques qui œuvrent activement à l’élimination des inégalités sociales.
En ce sens, l’appel à la résistance contre la privatisation et la marchandisation croissantes de l’éducation a été entendu haut et fort. Gabriela Bonilla, de l’Observatorio Latinoamericano de Politicas Educativas (OLPE), a révélé comment les acteurs privés et les réseaux d’entreprises accèdent aux fonds publics en tirant parti de l’absence de réglementation pour réaliser des bénéfices, mettant ainsi en péril le droit social à l’éducation. « Nous devons concentrer nos efforts sur la lutte autour du modèle de financement de l’éducation publique et des fonds publics pour l’éducation publique. Comme nous le savons déjà, il existe une pratique consistant à utiliser les deniers publics pour l’acquisition systématique de services auprès du secteur privé, une pratique qui s’est désormais normalisée », a indiqué Mme Bonilla.
Un agenda proactif : pour un financement public accru de l’éducation
L’événement comprenait une table ronde organisée le 19 septembre par la Coordination des syndicats de l’enseignement d’Uruguay (Coordinadora de Sindicatos de la Enseñanza del Uruguay, CSEU), à la Faculté d’information et de communication de l’Université de la République, à Montevideo. Y ont participé des représentant·e·s de 16 organisations syndicales, ainsi que des représentant·e·s de partis politiques, d’autorités éducatives et d’organisations sociales.
Deux documents clés ont été présentés lors de la table ronde : le premier, à portée mondiale, reprend les récentes recommandations du Groupe de haut niveau des Nations Unies sur la profession enseignante. Le second, préparé par la CSEU, contient neuf propositions de programmes concrets pour le prochain cycle politique en Uruguay. Les deux documents ont en commun l’appel urgent à renforcer le financement public de l’éducation, à protéger les droits du travail du personnel enseignant et à garantir une éducation publique inclusive de qualité sociale et axée sur l’équité.
José Olivera, vice-président de la Fédération nationale des professeur·e·s de l’enseignement secondaire (Federación Nacional de Profesores de Enseñanza Secundaria, FENAPES), a souligné l’importance d’un dialogue large et inclusif entre tous les secteurs de la société pour construire une politique publique de l’éducation tournée vers le long terme. « L’Uruguay ne peut plus se permettre d’élaborer des politiques éducatives sans la participation active des enseignant·e·s, des élèves et des familles », a-t-il souligné.
Sonia Alesso, présidente du Comité régional de l’Internationale de l’Éducation pour l’Amérique latine, a passé en revue les recommandations du Groupe de haut niveau et a réitéré la nécessité d’accroître l’investissement de l’État dans l’éducation publique au niveau mondial. Elle a souligné que « le monde se trouve confronté à un déficit de 44 millions d’enseignant·e·s », un chiffre alarmant qui nécessite des mesures structurelles urgentes. « Dans de nombreux pays, la précarisation de l’emploi des enseignant·e·s et les coupes budgétaires dans l’éducation nuisent gravement à l’accessibilité et à la qualité des systèmes d’enseignement public. Outre le manque d’investissements publics, on constate également un manque de reconnaissance de l’importance d’assurer aux enseignant·e·s des conditions de travail décentes. »
Elvia Pereira, secrétaire générale de la Fédération uruguayenne des enseignant·e·s de l’enseignement primaire (FUM-TEC) et de la centrale syndicale PIT-CNT, a rappelé l’importance de l’éducation publique en tant que droit humain fondamental et outil de lutte contre les inégalités sociales. Mme Pereira a souligné que « l’enseignement public doit garantir l’égalité des chances, indépendamment du contexte socioéconomique de chaque élève ».
« L’école publique est l’un des rares endroits où un véritable espace est créé autour du bien commun et où l’égalité est cultivée en ces temps d’inégalité croissante », a ajouté l’universitaire uruguayenne Eloisa Bordoli, soulignant le rôle crucial de l’éducation publique dans la construction d’une société plus équitable et plus juste.
Gabriel Delacoste, politologue et journaliste, a souligné pour sa part que « la politique de l’éducation ne peut en aucun cas être assimilée à la politique économique. L’éducation doit être considérée comme un espace de construction de la citoyenneté et de l’égalité, et non comme un instrument subordonné à la logique du marché ou aux intérêts économiques ».
La journée a conclu par un appel à l’action pour continuer à travailler à la construction d’un système d’éducation publique plus juste et plus démocratique, avec une attention particulière à la situation des enseignant·e·s et aux conditions d’enseignement dans le pays. Cet appel revêt une signification encore plus grande en cette période de campagne électorale, alors que les élections présidentielles et législatives sont prévues pour le 27 octobre, et souligne l’urgence pour le prochain gouvernement uruguayen d’assumer la responsabilité de faire de l’éducation de qualité une priorité en tant que droit social pour toutes et tous.