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Voix de l’éducation | Arlene Inouye, lauréate du Prix de l’éducation Albert Shanker 2024

Publié 19 août 2024 Mis à jour 20 août 2024
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À l’occasion du 10e Congrès mondial de l’Internationale de l’Éducation, Arlene Inouye s’est vue décerner le Prix de l’éducation Albert Shanker 2024. Dans cet article, Arlène revient sur son parcours de militante syndicale active dans la défense des droits des populations Asiatiques et insulaires du Pacifique, au sein de l'éducation et de la société américaine.

Lutter sans relâche pour la justice sociale et l’éducation publique

C’est avec humilité que je reçois le Prix de l’éducation Albert Shanker. J’apprécie ce témoignage de reconnaissance de mon parcours de ces 50 dernières années, de mon travail au sein de l’éducation publique et du soutien apporté aux communautés asio-américaines et insulaires du Pacifique.

Deux expériences formatrices me viennent à l'esprit. Dans les années 1990, je vivais dans un quartier défavorisé de Los Angeles, où je faisais partie d’une organisation à but non lucratif fournissant des services à la communauté. À la suite de l’arrivée soudaine de familles cambodgiennes et vietnamiennes ayant fui la guerre d’Indochine, des populations réfugiées s’étaient installées dans le quartier latino de Los Angeles. J’avais élaboré un programme parascolaire pour aider les enfants de 8 à 12 ans à s’adapter à la vie américaine.

Ces jeunes m’avaient décrit l’expérience éprouvante qu’avait représenté la fuite de leur pays et m’avaient fait part de la détermination et de la résilience de leurs familles, face à l’assassinat de leurs proches, au déracinement et à l’immersion dans une culture et un pays étrangers. Les liens que j’ai noués avec ces familles, toujours présents aujourd’hui, sont précieux à mes yeux et je leur suis reconnaissante de m’avoir ouvert le cœur et élargi ma vision du monde.

Américano-Japonaise de troisième génération, je suis née et j’ai grandi à Los Angeles, mais je n’avais jamais entendu parler de l’histoire des réfugié·es asiatiques, ni des communautés asio-américaines ou insulaires du Pacifique (Asian American and Pacific Islander − AAPI) durant mes années d’études. Bien que ma famille ait été incarcérée durant la Seconde Guerre mondiale, j’ignorais également l’ampleur du traumatisme que pouvaient causer la perte d’un proche, une maladie mentale, la honte ou de lourdes pertes financières. Apprendre l’histoire des communautés AAPI m’a permis de contextualiser mon travail et de l’inscrire dans la perspective d’une contribution plus large : la défense des AAPI et la volonté d’apporter des changements. Cela m’a également amenée à resserrer les liens avec ma propre famille et d’être fière de notre histoire. Aujourd’hui, mon travail vise en grande partie à offrir aux élèves de demain la possibilité d’apprendre à se connaître et à connaître leurs camarades de classe. J’ai eu l’honneur de pouvoir participer à la coordination des activités de sensibilisation des élèves et des personnels enseignants en prévision de la sortie du manuel multimédia du Centre d’études asio-américaines de l’UCLA dédié aux communautés asio-américaines et aux insulaires du Pacifique. Intitulée « Fondements et futurs », cette ressource numérique gratuite constituera le recueil le plus complet des histoires et perspectives des AAPI disponible. Ce manuel, dont le lancement est prévu en 2025, sera composé de 50 chapitres rédigés par des universitaires et des membres de la recherche communautaire, comprenant plus de 200 plans de cours préparés par des enseignantes et des enseignants.

Au travers de ce projet, j’espère que mes petites-filles et les générations futures n’auront plus à dire « l’école ne m’apprend rien sur les AAPI » et que ces témoignages de résilience, d’autonomisation et de solidarité détruiront le mythe de la minorité modèle et pousseront les jeunes à imaginer des alternatives porteuses d’espoir pour l’avenir, plus larges et plus radicales. Les personnels éducatifs jouent un rôle crucial dans la construction de l’Amérique future, au travers de leur enseignement mais aussi de leurs méthodes pédagogiques, du choix des figures historiques représentées dans leurs cours et des compétences en matière d’esprit critique et d’apprentissage qui transforment la vie des élèves.

Une autre expérience inattendue et transformatrice pour moi a été mon élection au poste de responsable et directrice de la United Teacher Los Angeles (UTLA), le deuxième plus grand syndicat du pays de 2012 à 2023. Je n’avais aucune expérience syndicale à ce moment-là, mais j’ai pris la décision de me lancer parce que les femmes dirigeantes de l’UTLA m’ont encouragée, soutenue et fait confiance. J’ai découvert les synergies qui se mettent en place lorsque l’on fait partie d’une équipe de responsables capables de diriger un syndicat tout en ayant la volonté délibérée de le rendre plus démocratique. L’année 2012 a été difficile en raison de la récession économique et des attaques des milliardaires cherchant à privatiser l’enseignement public. Les personnels éducatifs étaient démoralisés et s’interrogeaient quant au motif de ces attaques. Il a fallu leur rappeler les ambitions plus larges des entreprises visant à privatiser l’un des derniers bastions de nos sociétés démocratiques, mais aussi souligner le pouvoir de la communauté éducative et des parents à travers le pays pour leur résister. Les enseignantes et les enseignants façonnent également la vie des élèves en leur apprenant à faire preuve d’esprit critique et à prendre des décisions profitables à la société pour le bien commun. La volonté de museler la communauté éducative se poursuit et peut aujourd’hui s’observer dans les lois et résolutions, les atteintes portées aux programmes d’études, à la diversité, à l’équité et à l’inclusion, et les interdictions frappant certains manuels scolaires.

En 2012, nous n’avions pas beaucoup d’exemples nous montrant ce que pouvaient être les syndicats. Ces derniers avaient principalement une fonction administrative et étaient dirigés d’amont en aval, proposant des services types pour traiter les problèmes survenant sur les lieux de travail. Depuis la Seconde Guerre mondiale, le nombre de syndicats n’a cessé de diminuer, affaiblissant ainsi le mouvement ouvrier. Cette situation a eu des conséquences néfastes pour les travailleurs et les travailleuses : accentuation des inégalités salariales, stagnation des salaires, mondialisation de la main-d’œuvre, avancées technologiques et politiques privilégiant davantage les entreprises et les donateurs fortunés. Le Chicago Teachers Union (CTU), un proche allié de l’UTLA, s’est imposé comme un modèle pour les travailleurs et les travailleuses, les encourageant à organiser la mobilisation collective et à lutter contre la fermeture des écoles et les inégalités éducatives. Dirigé par des réformateurs et réformatrices progressistes, le CTU a permis de remettre en question le statu quo et de démocratiser le syndicat.

En 2014, la direction progressiste de l’UTLA a proposé un plan intitulé « Les écoles que les élèves de Los Angeles méritent », centré sur la justice sociale, raciale et éducative. Notre vision consiste notamment à nouer des partenariats égalitaires avec les parents et la communauté, à renforcer le soutien académique et social aux élèves, à impliquer la totalité de nos membres et à lutter avec force contre la privatisation de l’enseignement public. Ensemble, les 35 000 membres de l’UTLA, son équipe de direction et son personnel ont transformé et mis en place une infrastructure d’organisation collective qui nous a servi de préparation à la grève que nous allions mener en 2019. Notre plateforme répertoriait notamment les revendications concernant les biens communs (écoles communautaires, fonds de défense des communautés migrantes, justice climatique, ressources complémentaires pour les élèves de race noire, historiquement privé·e·s de leurs droits), ainsi que les rémunérations et conditions de travail décentes, la réduction de la taille des classes et l’augmentation du nombre d’effectifs dans les services de consultance et les services infirmiers. Les enseignantes et enseignants de l’UTLA relatent l’histoire de la grève menée par leur syndicat telle que nous l’avons vécue, dans le documentaire « When We Fight », traduit en plusieurs langues et servant de levier pour l’organisation collective. Une suite est prévue cette année.

L’UTLA a continué d’évoluer. En 2020, pour la toute première fois, une femme de couleur a été élue à la présidence de l’UTLA et, en 2023, nous avons décroché un contrat fantastique après notre première grève de solidarité menée avec SEIU Local 99, le syndicat des personnels de soutien à l’éducation du Unified School District de Los Angeles qui représente les services d’assistance de l’enseignement spécialisé, les services de transport scolaire, les personnels des cafétérias et les gardiens et gardiennes. Nos membres ont participé à cette grève de trois jours, qui aura permis de relever leurs salaires au-dessus du seuil de pauvreté et d’affirmer leur dignité. Je suis fière que nos membres aient accepté de prendre un risque personnel en participant à cette grève organisée avec SEIU 99, alors que nous n’avions jamais travaillé ensemble et que, souvent, nous avions soutenu d’autres candidats et candidates aux postes des conseils scolaires.

Au cours de ces sept dernières années, le militantisme des syndicats américains s’est étendu à tout le pays, à commencer par le mouvement Red for Ed, à travers lequel la communauté enseignante des États conservateurs républicains de Virginie-Occidentale, de l’Oklahoma et de l’Arizona a entamé des grèves illégales pour protester contre la situation des soins de santé et des salaires et leurs conditions de travail oppressantes. Labor Notes, un réseau médiatique et organisationnel créé en 1979, a contribué à amplifier la voix des militantes et militants du monde syndical souhaitant rallier ce mouvement au mouvement syndical. Les réseaux regroupant des syndicalistes, des responsables de syndicats locaux et des militantes et militants à travers les États-Unis et dans le monde ont permis de nouer des relations avec les travailleurs et travailleuses dans différents syndicats, centres ouvriers, communautés et secteurs industriels pour renforcer le mouvement depuis la base. UCORE (United Caucus of Rank and File Educators) est le réseau national des personnels éducatifs qui transforment leurs syndicats à travers le pays.

Plusieurs syndicats américains représentant des secteurs industriels sans tradition syndicale ont créé de nouvelles organisations et mené des grèves pour améliorer les salaires et les conditions de travail. Les personnels d’Amazon, de Starbucks, de United Postal Service, de l’hôtellerie et de la restauration, du secteur automobile, ainsi que les jeunes diplômé·e·s du système universitaire, et d’autres encore, continuent de se battre et de remporter des victoires. Ce fut un privilège pour moi de travailler bénévolement pour le réseau Labor Notes au cours de ces dix dernières années, pour soutenir la communauté éducative aux États-Unis et les directions syndicales en Asie, confrontées à une répression sans cesse croissante.

L’expérience m’a démontré que ce ne sont pas les responsables politiques ou les individus en tant que tels qui ont le pouvoir de nous sauver. En revanche, les 60 000 membres, parents, syndicalistes et personnes de diverses communautés qui ont participé à notre grève de l’UTLA en 2019 m’ont appris la solidarité, comment exploiter notre force et obtenir gain de cause dans le cadre de nos revendications contractuelles. Et j’ai aussi appris que transformer les syndicats, c’est aussi transformer les personnes. Et c’est à cela que ressemble le pouvoir.

En tant qu’enseignantes et enseignants au sein de l’Internationale de l’Éducation, représentant de pays des quatre coins de la planète, nous avons la responsabilité d’apporter le changement que nous souhaitons voir dans notre monde. Les enjeux n’ont jamais été aussi importants et urgents. Au fil des ans, la plupart des syndicats ont gaspillé leur potentiel en cherchant à maintenir un statu quo et les structures hiérarchiques habituelles. Soyons vulnérables, ouvrons notre cœur et notre esprit, recentrons-nous sur nos élèves et nos valeurs. Poursuivons notre lutte sans relâche pour la justice sociale et l’enseignement public.

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.