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Daniel Ceng Shou-Yi  / Zuma Press / ISOPIX
Daniel Ceng Shou-Yi / Zuma Press / ISOPIX

#16Jours | J’avais moins peur d’un missile russe que qu’un soldat russe : la violence sexuelle comme arme de guerre en Ukraine

Publié 29 novembre 2022 Mis à jour 13 mars 2024
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L’invasion de l’Ukraine en février 2022, a marqué le début d’un cauchemar collectif. Des attaques contre des civils, y compris des violences sexuelles sur des femmes et des jeunes filles, ont été utilisées dans le cadre de la campagne de terreur déployée pour intimider la population. Ce compte-rendu direct depuis l’Ukraine, expose les horreurs déclenchées par la guerre, mais aussi l’esprit indéfectible de lutte pour la liberté de la population ukrainienne.

La guerre totale en Ukraine dure depuis neuf mois. Les russes [1] devaient

soi-disant s’emparer de la majeure partie de notre pays en cinq jours. Ils ne s’attendaient pas à ce que la population ukrainienne adore son pays et sa liberté, et ont été surpris de ne pas être accueillis chaleureusement avec des fleurs.

Les premiers jours qui suivirent le 24 février, furent comme une autre réalité, un cauchemar pour l’ensemble de la population ukrainienne. Les gens ne pouvaient accepter qu’en un instant, à cinq heures du matin, tandis que les premiers retentissements de tirs de missiles et les explosions se faisaient entendre, toute leur vie bascule. On ne comprenait pas pourquoi ceci nous arrivait à nous, une nation pacifique, simplement désireuse d’être libre et indépendante.

J’ai deux fils, âgés de quatre ans et 12 mois. Ma famille et mes deux enfants ont passé de nombreuses semaines dans le sous-sol de notre maison avec nos voisins, après le début de l’invasion russe, en raison des bombardements incessants. Mon époux avait rejoint les forces armées locales. Le sous-sol était totalement inadapté à un séjour de longue durée : nous étions en février, il faisait froid, nous n’avions ni lits, ni cuisine pour préparer des repas. Les explosions à l’extérieur nous empêchaient de dormir, les enfants avaient peur et pleuraient tout le temps. C’était la pire période, ne sachant que faire, ne sachant pas ce que l’avenir nous réserverait, les projets s’envolaient en fumée. Voilà ce que ressentait chaque famille ukrainienne, chaque femme ukrainienne.

Mais ce qui m’a le plus effrayé, fut l’arrivée de l’armée russe à trois kilomètres de chez nous. Nous avions déjà entendu parler de leur cruauté. La peur ressentie pour mes enfants a sans doute été le sentiment le plus terrifiant et le plus incontrôlable de tous. Avec la libération de chaque nouvelle parcelle de terre ukrainienne, de chaque village ou ville d’Ukraine, apparait la joie débordante d’un peuple libéré, mais également la même vision effroyable de l’occupation. Les signes de destruction, de meurtre et de violence. Comme une cruelle évidence, il apparait que l’agresseur a eu recours à la violence contre des civils, en particulier à la violence sexuelle, comme arme de guerre. Le viol est devenu une pratique bien trop courante pour les occupants russes.

En juillet, après quatre mois de guerre, les Nations Unies ont rapporté avoir reçu plus de 150 plaintes pour violences sexuelles commises par des soldats russes en Ukraine, et ceci n’est que la partie visible de l’iceberg. La grande majorité des cas n’a pas encore été signalée, car les victimes de violence sexuelle refusent souvent de se confier aux instances chargées de faire appliquer les lois. Souffrant de traumatismes psychologiques graves, elles ne souhaitent pas revivre ces évènements abominables, certaines redoutent une éventuelle revanche de la part des occupants et craignent pour les membres de leur famille vivant encore en zone occupée.

N’importe qui peut être victime de viol dans des territoires occupés : hommes, femmes, voire enfants. Des récits font état de cas de viols sous la menace d’une arme, en présence de membres de la famille. De l’aveu d’une victime, un soldat russe a expliqué recourir à la violence sexuelle : « pour que les femmes ukrainiennes n’aient plus envie d’avoir des rapports sexuels avec aucun homme, pour les empêcher de donner naissance à des enfants ukrainiens ».

Pour nous, il ne s’agit pas uniquement d’une guerre, c’est un génocide. À vrai dire, après avoir vu des photos et des preuves de ce qu’avaient fait les russes dans la région de Kyiv au cours du premier mois, j’avais moins peur d’un missile russe que d’un soldat russe.

Après ce cauchemar, j’ai du mal à imaginer les blessures psychologiques infligées par la barbarie des russes, que nos enfants et notre peuple vont porter.

Mes collègues des régions situées à l’est m’ont parlé de la déportation forcée de personnes, notamment des enseignantes et des enseignants, et il existe des preuves officielles pour l’attester. Des milliers de personnes et d’enfants ont déjà été illégalement transféré·e·s vers des territoires russes contre leur gré, depuis des zones temporairement occupées. Il s’agit d’un acte de kidnapping orchestré par l’État. Tous ces crimes constituent des crimes contre l’humanité.

Les enseignantes et les enseignants sous occupation se trouvent dans une situation extrêmement compliquée. Dans ces territoires, le système éducatif ukrainien est en phase d’être détruit. Les « autorités d’occupation » obligent le personnel enseignant à appliquer le programme russe. Nos collègues sont menacé·e·s de torture et d’arrestation en cas de refus de coopérer avec les occupants. Les parents qui n’envoient pas leurs enfants à l’école sont menacés de se les voir retirés pour les placer dans des pensionnats. Il est difficile de croire que tout ceci se déroule au cœur de l’Europe, au 21e siècle.

Le syndicat des personnels de l’éducation et des sciences d’Ukraine, tout comme de nombreux autres syndicats dans le pays, soutient vivement les personnes déplacées à l’intérieur du pays, en apportant sa contribution en termes d’aide humanitaire et d’assistance, à ses membres dans le besoin.

Nous n’avons aucun doute sur le fait que l’Ukraine gagnera, et retrouvera la paix et la liberté. Cependant, les blessures sont profondes, et le traumatisme physique et psychologique ne disparaitra pas du jour au lendemain. Il faudra des années, voire des cycles entiers de vies, pour parvenir à composer avec les souffrances et les pertes que nous avons si injustement subies. Nous ne pouvons oublier les violences sexuelles à l’encontre des femmes et des jeunes filles, les attaques sur des civils, les actes de torture, et toutes ces vies innocentes perdues ou altérées à jamais. Les autorités ukrainiennes rassemblent des preuves de crimes de guerre dans presque tous les territoires récemment libérés. Nous appelons la communauté internationale à reconnaitre la russie comme un État terroriste, afin de garantir que de tels crimes ne restent pas impunis, et d’engager tous les efforts nécessaires pour poursuivre les auteurs et ceux qui ont déclenché cette guerre sanglante, dans le plein respect du droit international. Le fait de voir la justice rendue, constituera le premier pas vers la guérison et la reconstruction de nos vies et de notre pays.

1. ^

Cette orthographe, sans majuscule, a été choisie par l'auteure pour marquer son opposition à la guerre d'agression contre l'Ukraine.

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.