IGLYO — L’International Lesbian, Gay, Bisexual, Trans, Queer and Intersex (LGBTQI) Youth and Student Organisation est l’organisation principale de développement et de leadership de la jeunesse, collaborant avec les jeunes activistes LGBTQI et comptant plus de 100 organisations membres de plus de 40 pays de la région du Conseil de l’Europe. IGLYO vient de publier son édition 2022 du rapport et de l’index sur l’éducation inclusive, évaluant les mesures visant à garantir une éducation inclusive des personnes LGBTQI dans la région du Conseil de l’Europe, sur la base de 10 indicateurs.
Dans cet article, le chargé de communication d’IGLYO, Jeremy Gobin, présente une vue d’ensemble des constatations principales du rapport et de l’index 2022, en mettant particulièrement l’accent sur l’indicateur de la formation obligatoire des enseignant·e·s, et donne des informations sur la manière dont les enseignant·e·s et le personnel scolaire peuvent jeter les bases d’environnements éducatifs plus inclusifs.
Que feriez-vous ?
Imaginez-vous à la fin d’une journée scolaire. Un étudiant qui a récemment cessé de se présenter en classe frappe à la porte. Il tremble. Quand vous demandez ce qui se passe, il explique qu’il vient d’être menacé physiquement par trois étudiants. Pour quelle raison ? lui demandez-vous. Parce qu’il est homosexuel et que quelqu’un l'a outé, ce qui signifie que son orientation sexuelle a été révélée sans son consentement préalable. C’est la troisième fois cette semaine et la énième ce semestre. Dans les couloirs, les toilettes, le vestiaire, à l’extérieur de l’école, par texto, courriel, sur les réseaux sociaux. Il n’a personne d’autre vers qui se tourner et il dit que vous êtes son dernier recours avant… avant...
Comment réagissez-vous ? Que dites-vous ? Allez-vous même faire quelque chose ? Appeler ses parents ou tuteurs ? Connaissent-ils l’orientation sexuelle de leur enfant ? La leur dire ne pourrait-il pas mettre votre apprenant encore plus en danger ? N’avez-vous jamais parlé d’orientation sexuelle à vos étudiant·e·s ? Quid de l’identité de genre et des droits des personnes transgenres ? Des caractéristiques sexuelles et des droits des personnes intersexes ? Êtes-vous vous-même bien au fait de ces termes ? Qu'en est-il de vos collègues ? De votre école ?
Si vous avez répondu par la négative à certaines de ces questions, cet article vous apprendra qu’il existe des mesures faciles que vous pouvez prendre pour jeter les bases d’un système éducatif plus inclusif.
Plus à risque de faire l’objet de violence
Comme le montre le rapport Au grand jour de l’UNESCO, les enfants et les ados qui sont ou qui sont perçus comme lesbiennes, homosexuel·le·s, bisexuel·le·s, transgenres, queers ou intersexes (LGBTQI) sont bien plus à risque de faire l’objet d’intimidation et de harcèlement sur la base de leur orientation sexuelle (réelle ou perçue), de leur identité de genre, de leur expression de genre ou de leurs variations des caractétistiques sexuelles (ou ce que nous appelons la violence fondée sur l’OSIGEGCS).
Je peux en témoigner pour l’avoir vécu moi-même en tant qu’enfant et ado, principalement à l’école primaire. Mon expérience coïncide avec les données de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, ou de notre propre recherche avec des étudiant·e·s LGBTQI, montrant que la plupart des étudiant·e·s ne reçoivent aucune information sur l’OSIGEGSC, et que la plupart des enseignant·e·s n’interviennent pas dans les cas de harcèlement scolaire fondé sur l’OSIGEGSC, parce qu’il·elle·s ne savent pas comment faire. Néanmoins, la violence que j’ai subie était proportionnelle à mon privilège : J’étais homosexuel, blanc et je ne remettais pas encore en question mon genre. On ne peut pas en dire autant de bon nombre d’étudiant·e·s transgenres, non binaires et intersexes fréquentant actuellement l’école, qui sont encore bien plus absent·e·s du discours public et des matériels pédagogiques – ou négativement représenté·e·s quand ils·elles le sont – et sont ainsi bien plus à risque de faire l’objet de violence à l’école.
La violence fondée sur l’OSIGEGCS dans les écoles, qui se traduit le plus souvent par du harcèlement et de l’intimidation, mais peut être amplifiée par le manque de représentation positive des personnes LGBTQI dans les matériels pédagogiques, un personnel scolaire peu compréhensif ou des environnements scolaires hostiles, augmente la probabilité que les ados LGBTQI soient davantage absent·e·s de l’école, présentent des problèmes de santé graves tels qu’une faible estime de soi, une dépression sévère, ou des pensées autodestructrices ou suicidaires, ou aillent jusqu’à cacher ou dissimuler leur orientation sexuelle, leur identité de genre ou leurs variations des caractéristiques sexuelles par crainte de faire l’objet de violence.
L’éducation inclusive est une clef que quasiment personne n’utilise
Il a été démontré qu’une approche scolaire globale de l’éducation inclusive constituait le moyen le plus efficace pour prévenir la violence fondée sur l’OSIGEGCS à l’école et y répondre (voir le rapport de l’UNESCO Au-delà des chiffres et notre article d’orientation conjoint Ne détournez pas le regard).
En partant de ce principe, nous chez IGLYO, venons de publier la deuxième édition de notre Index et Rapport sur l’éducation inclusive. Quatre ans après la première édition, sortie en 2018, nous réévaluons dans cette deuxième édition les mesures concrètes que tous les États membres du Conseil de l’Europe ainsi que le Bélarus et le Kosovo ont prises en vue de garantir une éducation inclusive des personnes LGBTQI sur la base de 10 indicateurs.
Pour vous donner une idée générale de la gravité de la situation, la principale constatation que nous avons faite dans le cadre de ce processus de réévaluation est qu’en quatre ans, il y a eu une complète stagnation de tous les indicateurs. Seuls six pays ont mis en œuvre la plupart des mesures au niveau européen pour l’instant, tandis que dix pays n’ont pas réussi à mettre en œuvre la moindre mesure au moment de la rédaction du rapport. Certains pays ont effectivement adopté une législation antidiscriminatoire et des plans d’action (32 sur 49 actuellement), mais l’existence de ces politiques ne se traduit pas dans d’autres mesures telles que des programmes inclusifs, des systèmes de soutien ou une formation des enseignant·e·s. En outre, lorsqu’il y a un progrès, il concerne principalement l’orientation sexuelle, mais globalement, il y a très peu de progrès en ce qui concerne l’identité de genre, l’expression de genre et les caractéristiques sexuelles.
Et pour couronner le tout, nous avons dû constater une opposition dans certains des indicateurs en raison de la réaction violente actuelle à l’égard des droits des personnes LGBTQI, en particulier concernant les personnes transgenres, non binaires et intersexes. Actuellement, 6 pays ont mis en œuvre des lois anti-propagande, qui rendent impossible la diffusion de contenus LGBTQI dans les écoles.
Enseigner aux enseignant·e·s
D’après nos constatations, les principaux domaines à améliorer sont les programmes d’éducation inclusive obligatoires, la surveillance de l’intimidation et du harcèlement fondés sur l’OSIGEGCS, ainsi que – et c’est sur cet aspect que je voudrais attirer en particulier l’attention – la formation des enseignant·e·s.
Bien que les enseignant·e·s soient les acteur·trice·s essentiel·le·s dans la création d’un environnement inclusif et sûr pour tous les apprenant·e·s, bon nombre d’entre eux·elles signalent qu’il·elle·s manquent de confiance et de connaissance pour aborder les thématiques LGBTQI ou apporter leur soutien aux apprenant·e·s LGBTQI. Un·e enseignant·e peut parfois constituer l’unique ressource pour les apprenant·e·s LGBTQI qui pourraient avoir peur de parler à leurs pair·e·s ou à leurs parents. Les enseignant·e·s assument donc la responsabilité d’acquérir les compétences pour apporter leur soutien aux apprenant·e·s LGBTQI. Pourtant, la plupart des apprenant·e·s LGBTQI victimes de violence déclarent que leurs enseignant·e·s interviennent rarement en cas de harcèlement verbal.
La meilleure manière d’appliquer concrètement les politiques consisterait à mettre en place des programmes de formation pour les enseignant·e·s et les autres membres du personnel scolaire en matière de sensibilisation aux thématiques LGBTQI et d’inclusion. Toutefois, nos constatations montrent que seulement 26 États membres du Conseil de l’Europe ont mis en place une formation des enseignant·e·s, mais le plus souvent sur une base volontaire et de manière non systématique. C’est loin d’être suffisant. Et c’est là que vous, les enseignant·e·s et les professionnel·le·s des services d’éducation, entrez en scène.
Conseils pour les enseignant·e·s et le personnel scolaire
La mise en place de l’éducation inclusive est un processus qui, bien qu’il implique des acteur·trice·s à différents niveaux, peut être initié par vous ou par n’importe quel·le enseignant·e ou membre du personnel scolaire [1]. Vous ne devez pas attendre que la formation des enseignant·e·s devienne obligatoire pour mettre en œuvre des stratégies et de petites actions au niveau individuel afin, à terme, de jeter les bases d’un environnement éducatif plus inclusif. Vous vous rendrez vite compte que votre marge de manœuvre est plus large que vous ne l’imaginiez.
Bon nombre de jeunes LGBTQI se souviennent d’un·e enseignant·e qui les a soutenu·e·s et les a fait se sentir en sécurité ; vous pouvez être cet·te enseignant·e. Même dans un environnement hostile, vous pouvez créer une sphère de sécurité pour vos étudiant·e·s quelle que soit la manière dont il·elle·s s’identifient.
Pour commencer, informez-vous sur les identités LGBTQI et nouez le dialogue avec les organisations LGBTQI locales et nationales, qui peuvent apporter de l’aide (voyez notre liste de membres complète, par exemple). Bon nombre d’organisations sont actuellement en train de former des personnels scolaires sur la manière de mieux protéger et promouvoir les droits de leurs étudiant·e·s LGBTQI. Entrez en contact avec elles et voyez si elles peuvent vous soutenir, vous et votre école. S’il y a d’autres enseignant·e·s intéressé·e·s dans votre école ou syndicat, vous pouvez faire une demande de formation. Ensuite, consultez les politiques de votre école ; examinez si des protections sont incluses ou font défaut. Plus important encore, existe-t-il une tolérance zéro pour le harcèlement fondé sur l’OSIGEGCS dans votre salle de classe ?
Ce que vous enseignez et la manière dont vous l’enseignez sont également d’autant plus importants que les expériences de tou·te·s les apprenant·e·s devraient se refléter dans votre programme, de manière qu’il·elle·s se sentent représenté·e·s et valorisé·e·s. Cela peut se faire en incorporant diverses identités dans vos matériels pédagogiques et en adoptant une approche intersectionnelle en tout temps (une approche qui associe l’OSIGEGCS avec d’autres traits identitaires tels que le statut socioéconomique, la capacité (l’incapacité), la race, l’appartenance ethnique, l’âge, la religion et les croyances, etc.). Tous les sujets enseignés à l’école peuvent favoriser l’inclusion : si vous êtes professeur·e d’histoire, mettez en relief les identités de personnages historiques (LGBTQI ou non). Si vous êtes professeur·e de maths, incluez diverses identités dans vos problèmes mathématiques.
Continuez dans cette veine !
Ces recommandations ne sont qu’une fraction de ce que vous pouvez faire pour favoriser l’éducation inclusive au sein de votre environnement éducatif. Vous pourrez trouver d’autres informations, lignes directrices et exercices sur l’éducation inclusive et sur la manière de prévenir la violence fondée sur l’OSIGEGCS et d’y répondre sur notre page Ressources pour les enseignant·e·s.
En tant que leaders de la salle de classe, vous, les enseignant·e·s, possédez un pouvoir immense de doter les apprenant·e·s des bons outils pour construire des sociétés plus inclusives. Mais être la première étape vers un changement positif, ne peut être réalisé que si vous, vous-même, continuez à remettre en question vos connaissances et à vous instruire. Et je voudrais profiter de l’occasion pour vous remercier d’assumer des responsabilités aussi importantes, en particulier à une époque où la COVID-19 a aggravé les pressions multiples qui reposent sur vos épaules.
Les conseils aux enseignant·e·s et aux membres du personnel scolaire prodigués dans cet article sont fortement dépendants des législations et politiques nationales, et je suis bien conscient que les enseignant·e·s qui sont en poste dans des pays ayant mis en œuvre des législations antipropagande ou d’autres mesures anti-LGBTQI ne sont pas en situation de prôner une éducation inclusive des personnes LGBTQI en toute sécurité. N’hésitez jamais à demander conseil aux organisations et aux professionnel·le·s spécialis·é·s en matière de droits et de thématiques LGBTQI de votre pays sur la manière d’aborder ces questions dans votre situation et votre réalité locales.
Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.