Devant la montée de mouvements de contestations anarchiques et désordonnés d’enseignant·e·s, animés sur les réseaux sociaux, les syndicats de l’enseignement du Cameroun soulignent l’urgence d’un dialogue social de bonne foi. Ils ont demandé aux autorités publiques de répondre au plus vite aux nombreuses revendications enseignantes et de tenir les promesses.
Surenchère revendicative et pression sur les réseaux sociaux pour déborder les syndicats
« Nous avons vu récemment surgir dans les réseaux sociaux un mouvement dénommé ‘On a trop souffert’ (OTS). Celui-ci porte au départ les problèmes des jeunes enseignants et enseignantes qui font de trois à quatre ans sans salaire, puis 2/3 du salaire pendant des années, et ce, sans les différentes primes », a expliqué le secrétaire général de la Fédération camerounaise des syndicats de l'Éducation (FECASE), Thobie Emanuel Mbassi Ondoa.
Le collectif OTS a lancé un appel à une grève illimitée, exigeant le paiement de toutes les sommes dues, qui s’élèvent à près de 200 milliards de francs CFA (soit environ 305 millions d’euros). Mbassi Ondoua a noté que plus les jours passent, plus d’autres exigences s’ajoutent à la première liste. « C’est un groupe sans direction dont les leaders ne se connaissent pas, communiquent à travers Facebook. Ils refusent de sortir de l’anonymat parce que, disent-ils, ils évitent la répression et la corruption des gouvernants. Ils refusent donc tout dialogue, puisqu’ils veulent rester dans l’anonymat et exigent simplement que la solution soit immédiate et totale. Bien entendu, nous avons été réticents à suivre des anonymes qui nous font des injonctions à être avec eux ou contre eux », a dit le dirigeant syndical. « Prenant en compte le fait que ce mouvement avait vraiment mobilisé les enseignants et enseignantes et l’opinion, il nous fallait répondre aux appels de nos membres, tout en ne suivant pas le mouvement anonyme qui avait lancé une grève illimitée qui ne prendra fin qu’à la satisfaction de toutes les revendications. »
Respect des règles légales pour les démarches revendicatives
Au regard des lois et des conventions, les syndicats ont saisi le gouvernement le 21 février par un préavis de grève en bonne et due forme, lequel comportait plusieurs points communs avec les revendications du collectif. Lors de la réunion avec le Premier ministre le 1er mars, les syndicats se sont accordés sur un apurement échelonné et une autre réunion fut programmée pour le 4 mars afin d’arrêter le calendrier des paiements.
Le 3 mars, les syndicats ont invité les enseignant·e·s à retenir tous les documents administratifs en attendant de voir le début de l’application effective des mesures à la fin du mois en cours. Là encore, OTS a enjoint aux enseignant·e·s de refuser cette proposition. De nouvelles revendications sont nées, exigeant de nouvelles primes avec des montants surréalistes. Désormais, le paiement des revendications initiales, mais aussi la résolution des nouvelles revendications, conditionnent la reprise des cours.
Un régime de tolérance administrative pour les syndicats
Roger Kaffo, secrétaire général du Syndicat national autonome de l'enseignement secondaire (SNAES) et secrétaire général adjoint de la Fédération des syndicats de l'Enseignement et de la Recherche – une organisation membre de l’Internationale de l’Éducation et à laquelle le SNAES est affilié, a quant à lui fait observer que « nous sommes, depuis des années sans loi sur les syndicats. Les syndicats ont participé à l'élaboration d'un texte qui devait servir de projet pour cette loi, mais ce texte n'est jamais arrivé devant l’Assemblée nationale. Des syndicats qui avaient déposé une déclaration d'existence attendaient un récépissé et n'en ont pas reçu. Nous sommes donc dans un régime de tolérance administrative. »
Il a affirmé aussi que c’est la capacité des syndicats à mobiliser les enseignant·e·s qui contraint les autorités à les considérer de fait et à se mettre autour de la table.
Réclamations syndicales
Dans leur lettre commune du 17 février à l’adresse du Président Paul Biya, onze syndicats d’enseignants, dont les affiliés nationaux de l’Internationale de l’Éducation – le FESER, la FECASE et le Syndicat des travailleurs des établissements scolaires privés du Cameroun (SYNTESPRIC), avertissent qu’« au cours des dix dernières années, les conditions de vie et de travail des enseignants n’ont cessé de se détériorer, atteignant un seuil de dégradation désormais insupportable. Les enseignants, notamment ceux de la base et du secondaire, en sont aujourd’hui au stade du ras-le-bol, ils ont en effet déjà ‘trop supporté’. »
Ils demandent qu’une réunion soit organisée au plus tôt pour examiner et apporter des solutions appropriées aux revendications, dont :
- La prise en charge immédiate et totale des enseignant·e·s, aussi bien de la base que du secondaire dès leur recrutement, et l’apurement de la situation de ceux et celles qui végètent avec 2/3 de salaire, dont certains depuis plus de cinq ans ;
- Le paiement de la dette de l’Etat due aux enseignant·e·s en raison du retard systématique du paiement des primes ;
- La signature de la convention collective de l’enseignement privé prête depuis plus de trois années ainsi que la garantie du respect par les promoteurs de l’enseignement privé de la loi sur l’organisation et le fonctionnement de l’enseignement privé au Cameroun ;
- La nomination en tant que chef·fe·s de service adjoints de l’administration centrale des animateur·trice·s pédagogiques ; et
- Le recrutement des instituteur·trice·s de l’enseignement technique formés et mis au chômage, alors que les établissements souffrent de graves pénuries d’enseignant·e·s depuis des années.
Soutien de la communauté internationale enseignante
Pour le secrétaire général de l’Internationale de l’Éducation, David Edwards, « les syndicats sont porteurs de réclamations et de revendications légitimes. Ils sont les porte-voix de la profession. Ils recueillent les doléances, les organisent de manière à présenter aux autorités des demandes cohérentes et réalistes. Ils respectent les lois et des principes comme la transparence, la démocratie interne. Ils doivent être reconnus et respectés comme les interlocuteurs naturels privilégiés des autorités, conformément aux conventions internationales. »
L’Internationale de l’Éducation continuera à se tenir aux côtés de ses affiliés camerounais dans leur lutte pour une École de qualité pour tou·te·s et pour la défense des statuts et des conditions de travail des personnels d'éducation.