Le gouvernement de centre-droit récemment mis en place en Uruguay cherche à procéder rapidement à l’examen parlementaire d’une série de réformes pro-marché. La tradition publique et démocratisante de l'éducation uruguayenne est menacée. Cet article offre un aperçu de ces phénomènes.
En Uruguay, le 1er mars 2020 a marqué la prise de pouvoir d’un gouvernement de coalition composé de cinq partis allant des positions de centre à l'extrême droite de la carte politique locale. Cette coalition a fait la promotion de transformations rapides dans divers domaines d'activité à travers la présentation au Parlement d'un projet de loi d'urgence (Ley de urgenteconsideración, LUC).
Ce recours, prévu par la Constitution pour traiter des problématiques spécifiques nécessitant une résolution rapide, est utilisé pour imposer des transformations relatives à des domaines aussi disparates que la sécurité publique, les relations de travail, l'éducation ou le secteur agricole, entre autres. Il se compose de onze sections avec 476 articles.
Le Parlement uruguayen dispose de 90 jours pour examiner l'ensemble de la loi dans ses deux chambres. La discussion se déroule également dans un contexte de restriction de la participation citoyenne en raison de la pandémie en cours. La procédure ne dispose pas des garanties démocratiques nécessaires à un débat approfondi sur des sujets si sensibles et stratégiques pour l'avenir du pays.
Un projet de loi qui incite la privatisation
Le domaine ayant le plus de poids dans la proposition est lié à la « Sécurité », avec 117 articles. La deuxième place est occupée par « l’Éducation », avec 78 articles.
Diverses organisations sociales et syndicales ainsi que l'opposition politique ont caractérisé l’ensemble de la loi comme étant anti-populaire et favorisant les processus de privatisation dans divers domaines de la vie publique.
Dans le cas spécifique de l'éducation, la proposition rejette la forte tradition de l'enseignement public qui caractérise le pays depuis la formation de son système éducatif durant les dernières décennies du XIXe siècle.
Au démantèlement du Système national d'enseignement public, envisagé comme le centre de la structure éducative selon la loi générale sur l'Éducation (n°18437) actuellement en vigueur, s'ajoutent divers articles qui restreignent la participation des acteurs sociaux et de l’enseignement dans les domaines de la conduite de la politique éducative.
D'un autre côté, cette proposition promeut diverses formes de privatisation de l'enseignement uruguayen. À titre indicatif, nous n'en citerons ici que trois qui nous semblent centrales :
1. L'article 14 de la loi actuellement en vigueur établit : « Aucun accord ou traité, bilatéral ou multilatéral, ne sera signé avec des États ou des organisations internationales qui visent directement ou indirectement à considérer l'éducation comme un service lucratif ou à encourager sa marchandisation ». Dans la première version qui a été présentée du projet de loi en janvier 2020, cet article a été supprimé. Suite aux pressions sociale, syndicale et politique exercées après la présentation de cette première version, le groupe parlementaire du gouvernement a accepté, lors du débat en cours au Sénat de la République, de réintégrer la première partie de l'article. En tout état de cause, l'exclusion de la référence à « encourager sa marchandisation » demeure.
2. Le projet de loi prévoit la possibilité d'approuver à l'avenir un nouveau cadre réglementaire (statut) pour la réglementation du travail d'enseignement dans l’enseignement public. Comme indiqué à l'article 193 de la proposition, ce nouveau règlement pourra conférer des pouvoirs aux directeur∙trice∙s de centres éducatifs afin de réaliser « l’organisation d’effectifs d’enseignants stables, avec la permanence des fonctionnaires et la concentration de la charge de travail dans un même centre éducatif ».
À ces fins, ces directeur∙trice∙s pourraient « disposer de conditions fonctionnelles (comme un engagement envers une méthodologie de travail ou un projet de centre éducatif) pour accéder ou rester dans un lieu de travail spécifique ». De cette façon, la mise en place d’un mécanisme managérial permet une gestion des effectifs d'enseignant·e·s dans les centres éducatifs, donnant forme à l'une des caractéristiques centrales que divers auteurs ont définies comme la « privatisation endogène ».
Dans le même sens, il est proposé que « des compensations ou des compléments de salaire et d'autres avantages puissent être établis, en tenant compte de circonstances telles que l’emplacement géographique du lieu de travail, le contexte socioculturel dans lequel l'établissement opère ou la réalisation des objectifs de politique publique ». Conditionner la rémunération des enseignant·e·s à la réalisation des objectifs de la politique éducative a été une composante principale des réformes pro-marché, avec les résultats négatifs habituels en termes d'équité et de développement du professionnalisme des enseignant·e·s qui ont déjà été largement documentés dans la recherche éducative.
3. L’article 171 du projet de loi prévoit un système de bourses pour les étudiant·e·s suivant une formation d’enseignant·e, accessible à ceux·celles « qui suivent des programmes universitaires de formation des enseignants ». Cela pourrait être une très bonne nouvelle si la formation publique des enseignant·e·s en Uruguay ne relevait pas de l’enseignement tertiaire, comme c’est le cas. Les seuls établissements qui forment des enseignant·e·s en milieu universitaire sont privés et couvrent un peu plus de 1 % du total des inscriptions.
Le projet de loi dans son ensemble nous place devant une offensive conservatrice et privatisante dans les domaines les plus divers de la société uruguayenne. En ce qui concerne l'éducation en particulier, c'est un pari visant à briser la tradition publique et démocratisante qui a caractérisé le pays.
Dans cette situation, des temps complexes et difficiles nous attendent. La défense de l'enseignement public devra relier la résistance face à l'offensive en cours à l’élaboration de propositions pour construire une éducation populaire permettant d'envisager des temps meilleurs pour les grandes majorités nationales.
Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.