Le récent conflit au Liban a eu des conséquences dévastatrices sur la population civile, notamment les élèves et les personnels de l’éducation. Depuis septembre 2024, d’intenses bombardements israéliens ont touché plus de 50 000 élèves et plus de 45 000 enseignantes et enseignants, selon des données de l’UNESCO. Plus de 70 % des écoles publiques et d’autres établissements d’enseignement ne sont actuellement pas opérationnels et 43 % sont utilisés comme abris. L’éducation a été suspendue pour plus de 41 % d’élèves, 57 % d’enseignantes et d’enseignants et 40 % d’étudiantes et étudiants universitaires. Les pourparlers en vue d’un cessez-le-feu entre Israël et le Hezbollah ont relancé l’espoir pour une population épuisée par la guerre.
Nous avons demandé à Manal Hdaife de nous dire ce que la guerre a signifié pour les communautés éducatives à travers son pays. Manal est directrice d'école et membre de la Public Primary Schools Teachers League in Lebanon (PPSTLL) ; elle est également membre du Bureau exécutif de l’Internationale de l’Éducation et préside la Structure interrégionale des pays arabes de l’Internationale de l’Éducation.
Mondes de l’éducation : Manal, quelle est la situation sur le terrain?
Pour être honnête, il n’y a pas d’endroit où l’on soit en sécurité au Liban. Plus d’un million de personnes ont dû fuir leur maison en raison des bombes qui tombent du ciel. Il y a beaucoup de dégâts partout, des maisons détruites. Nous sommes vraiment en guerre et la guerre vous accompagne même quand vous partez. Le bruit d’un avion me terrifie, même quand je me trouve dans un pays sûr pendant quelques jours.
Dans mon école, même les élèves de quatre et cinq ans ont été affecté·es. L’un d’eux m’a dit : « Madame, n’ayez pas peur, ce bruit, c’est le tonnerre, pas un avion de guerre ». Comment pouvons-nous même concevoir qu’un si jeune élève aide son enseignante à ne pas avoir peur.
Je me souviens d’une réunion interrégionale en Jordanie, où nos membres étaient ému·es aux larmes en regardant une vidéo de nos collègues de Palestine ; à ce moment-là, je n’imaginais pas que nous nous trouverions dans la même situation dans mon pays.
Monde de l’éducation : Quel a été l’impact de la guerre sur les communautés éducatives au Liban ?
En tant que syndicaliste, j’ai visité de nombreuses écoles qui ont été transformées en abris et j’ai parlé avec de nombreux élèves et collègues déplacé·es. Et quand je demande à ces personnes quel est le message qu’elles souhaitent transmettre au monde, toutes répondent : nous voulons la paix et nous voulons retrouver notre école, nos classes et reprendre notre vie quotidienne.
L’impact a été dévastateur. En de nombreux endroits, il n’est tout simplement pas sûr de laisser les écoles ouvertes ou d’utiliser des bâtiments scolaires comme abris. Nous avons dû choisir entre tout fermer pendant une durée indéterminée ou tenter de trouver un moyen d’organiser l’enseignement tout en atténuant les risques.
Le ministère de l’Éducation a adopté une approche collaborative et les syndicats des personnels du primaire, du secondaire et de l’enseignement professionnel ont été pleinement consultés dans le cadre de l’élaboration d’une réponse d’urgence, afin de trouver de solutions qui soient à la fois réalistes et faisables pour le personnel. De manière générale, le ministère a fait preuve de flexibilité pour répondre aux besoins des élèves et du personnel traumatisé·es.
Il a été décidé de débuter l’année académique le 4 novembre plutôt que le 28 septembre afin de nous donner le temps de tout organiser. Dans les zones rouges, comme le sud du pays, à Beyrouth ou Baalbek, l’enseignement et l’apprentissage se sont déroulés en ligne pour assurer la sécurité des élèves et du personnel enseignant.
Dans les zones sécurisées, 638 établissements d’enseignement ont été transformés en abris. Cela représente environ 40 % des écoles publiques et des centres de formation professionnelle, qui ne peuvent plus être utilisés pour l’enseignement et l’apprentissage, parce qu’ils accueillent des personnes déplacées.
Dans les écoles qui n’ont pas été transformées en abris, une deuxième et, parfois, une troisième période de cours ont été organisées dans la même journée pour accueillir les élèves déplacé·es. Les chef·fes d’établissement disposent d’une certaine marge de manœuvre pour décider de passer à l’enseignement en ligne ou organiser des cours l’après-midi dans d’autres établissements situés dans des endroits plus sûrs.
Dans les pires moments, lorsque la situation était dangereuse partout, le ministère de l’Éducation a décidé que tous les cours se donneraient en ligne.
Mondes de l’éducation : Le Liban accueille des milliers de réfugié·es de Syrie. Quelle est la situation des élèves réfugié·es en ce moment ?
Les réfugié·es suivent des cours dans des écoles libanaises, mais pendant des périodes de la journée qui leur sont consacrées. A l’heure actuelle, il n’a pas encore été possible de reprendre les cours pour ces élèves réfugié·es. Nous espérons être en mesure de reprendre les cours bientôt. Le nombre d’élèves réfugié·es a diminué, car un grand nombre ont reflué vers la Syrie. Quelque 170 000 élèves réfugié·es étaient inscrits dans nos écoles, mais ils ne sont plus que 100 000 aujourd’hui, ce qui signifie que 100 écoles devraient suffire et que moins d’enseignantes et d’enseignants seront nécessaires pour leur donner cours. Avec la baisse du nombre d’élèves, un nombre significatif de ces personnels vont perdre leur emploi.
Nous commençons actuellement à inscrire les élèves réfugié·es pour la nouvelle année académique et de nombreux parents nous appellent, nous les chef·fes d’établissement, parce que leurs enfants veulent retourner à l’école. L’éducation est un droit pour ces enfants aussi.
Mondes de l’éducation : Quel a été l’impact sur les membres de votre syndicat et comment celui-ci a-t-il réagi à cette crise ?
Un grand nombre de nos membres ont été touché·es ; leurs maisons ont été endommagées ; certaines ont été totalement détruites. Un nombre important à été forcé de se déplacer. Nous comptons aussi des membres tué·es ou blessé·es. Nombreux sont celles et ceux qui ont perdu des élèves.
Les membres du syndicat se sont porté·es volontaires pour aider leurs collègues qui ont été déplacé·es. Les chef·fes d’établissement se sont transformé·es en responsables d’abris. Nous visitons les écoles transformées en abris pour comprendre les besoins des gens et notre syndicat s’efforce d’obtenir les noms et les numéros de téléphone des collègues déplacé·es auprès du ministère, de les trouver et de les aider.
Cela a été extrêmement traumatisant de voir nos écoles accueillir autant de gens qui ont tout perdu, de voir les salles de classe transformées en cuisines et en dortoirs. Les écoles sont faites pour que les élèves apprennent, s’amusent avec leurs enseignantes et enseignants. Ce ne sont pas des espaces destinés à ce que des gens y vivent.
Mondes de l’éducation : Que peuvent faire les syndicats d’autres pays pour aider ? Quel rôle la solidarité internationale peut-elle jouer pour vous aider à faire face à cette crise ?
Tout d’abord, je tiens à remercier l’Internationale de l’Éducation et tous les syndicats de l’éducation pour leur soutien et leur solidarité. Vos lettres de soutien, vos dons au fonds de solidarité et vos encouragements nous sont très précieux.
Ce dont nous avons besoin plus que tout aujourd’hui, c’est la paix. Lorsque je visite les écoles où les gens se sont installés, tout ce que veulent ces personnes, c’est la paix. Lorsque je parle à mes élèves, tout ce qu’ils ou elles veulent, c’est rentrer, retrouver leur école, leurs professeur·es et reprendre une vie normale. La paix est tout, la démocratie est tout. Nous avons le droit d’être en sécurité dans notre pays.
Je remercie tous les syndicats qui ont plaidé auprès de leur gouvernement pour qu’il adhère à l’appel mondial à un cessez-le-feu. Nous vous sommes reconnaissant·es de votre soutien, mais nous devons continuer à plaider pour un cessez-le-feu et une paix durable pour le peuple de Gaza et de Palestine. Leurs souffrances persistent.
Mondes de l’éducation : Alors que nous observons l’augmentation des conflits violents dans le monde, quel est, selon vous, le rôle de la profession enseignante et des syndicats de l’éducation pour mettre un terme au cycle de la violence ?
Nous en avons discuté lors de la réunion du Bureau exécutif et nous sommes tous et toutes d’accord pour dire qu’en tant qu’enseignantes, enseignants et syndicalistes, nous portons une grande responsabilité dans l’organisation du processus éducatif, dans le soutien aux élèves et aux personnels enseignants afin d’instaurer la paix dans nos sociétés. Cela doit devenir une priorité fondamentale pour notre mouvement syndical mondial.
Si vous souhaitez aider les communautés scolaires au Liban, lisez l’appel à la solidarité lancé par l’Internationale de l’Éducation, qui est disponible en suivant ce lien.
Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.