Ei-iE

« L'impact de la pandémie sur les travailleur·euse·s universitaires et leur travail – l'expérience canadienne », par Brenda Austin-Smith.

Publié 18 décembre 2020 Mis à jour 18 décembre 2020
Écrit par:
Abonnez-vous à nos newsletters

Presque du jour au lendemain, à la mi-mars 2019, les membres du personnel académique des universités et des collèges a répondu à l'appel leur demandant de rester à la maison et de s'isoler. Il·elle·s sont passé·e·s à l'enseignement à distance pour assurer la continuité de l'éducation de millions d'étudiant·e·s durant cette période d’urgence pour la santé publique. Les campus ont été fermés, ce qui a causé la fermeture des laboratoires et bloqué la recherche. Certaines bibliothèques sont initialement restées ouvertes, puis ont également été fermées pour des raisons de santé et de sécurité.

Une myriade de problèmes relatifs au lieu de travail ont surgi et les questions ont afflué dans les associations du personnel académique. Comment enseigner mes cours appliqués, pratiques, collaboratifs ou en laboratoire ? Comment évaluer mes étudiant·e·s dans un environnement en ligne ? Puis-je renégocier les conditions de ma subvention de recherche ? Dois-je euthanasier les animaux du laboratoire ? Vais-je être rémunéré·e pour le travail supplémentaire fourni afin de donner tous mes cours en ligne ? Cette question est particulièrement aiguë pour celles et ceux qui ont des nominations par cours, le plus souvent des femmes et/ou des membres du personnel autochtone et appartenant à des minorités raciales.

Si certaines questions ont été résolues en quelques semaines, la pandémie a créé un ensemble de nouveaux défis uniques, qui demandent à être compris et résolus. L'une des questions les plus importantes concernait la facilitation d'un retour en toute sécurité sur les campus – quel que soit le moment où cela produirait – et les impacts à court, moyen et long terme de la pandémie sur l'éducation postsecondaire (EPS) et la vie professionnelle du personnel académique

L’Association canadienne des professeures et professeurs d’université (ACPPU) est la voix nationale du personnel académique qui représente 72.000 enseignant·e·s, bibliothécaires, chercheur·euse·s, membres du personnel général et autres professionnel·le·s universitaires dans quelque 125 universités et collèges du Canada. Pour mieux comprendre l'impact de la pandémie sur le personnel académique et son travail, nous avons sondé nos membres. En tant qu’éminent défenseur des libertés académiques et des droits des travailleur·euse·s, l’ACPPU a pour objectif d’obtenir un aperçu de l’impact de la pandémie sur la charge de travail, l’enseignement, la recherche et la santé mentale.

Nous avons posé des questions sur les soutiens et les ressources nécessaires pour aider le personnel à traverser la crise et sur ses sentiments quant à l'avenir, ainsi que sur les questions d'identité, de contrat et de type d'emploi pour voir si ces facteurs peuvent faire diverger les points de vue. Plus de 4.300 membres du personnel académique des dix provinces du Canada ont participé à l'enquête. Comme pour toute donnée participative, les résultats ne peuvent pas être appliqués à l'ensemble du personnel de l’enseignement postsecondaire du pays. Cependant, les résultats offrent des informations précieuses sur les expériences vécues par les participant·e·s.

Sans surprise, ce que nous avons appris était à la fois éclairant, et pas vraiment étonnant : les principales préoccupations incluent les défis de l'enseignement à distance, la charge de travail, la santé, la sécurité et la sécurité de l'emploi. Plus précisément :

  • Le passage rapide à l'enseignement à distance a entraîné une augmentation de la charge de travail pour beaucoup de participant·e·s. La majorité travaille plus qu'avant la COVID-19 et près d'un tiers travaillent 10 heures supplémentaires ou plus par semaine.
  • Le travail a été réduit ou supprimé pour environ un∙e membre du personnel académique sur dix. Les femmes et les membres du personnel issus de minorités raciales sont plus susceptibles de travailler moins ou de ne plus travailler parce qu'il·elle·s sont plus représenté·e·s parmi le personnel à temps partiel ou parce qu'il·elle·s sont plus susceptibles de s'occuper de personnes à leur charge.
  • Il y a des aspects positifs et négatifs associés à l'enseignement à distance via des plateformes en ligne. Les plus grands défis identifiés étaient le manque d'interactions en face à face avec les étudiant·e·s, suivi de difficultés avec la technologie. Soixante-huit pour cent s'inquiètent de l'impact de la COVID sur la qualité de l'enseignement, mais une majorité estime également que l'apprentissage à distance pourrait conduire à des innovations.
  • La recherche a été fortement impactée. Deux professeur·eure·s et enseignant·e·s sur trois font moins ou pas du tout de recherche. Les cinq principales raisons : l'incapacité de tenir ou d'assister à des conférences, les soins aux personnes à charge, l'incapacité d'accéder aux laboratoires ou aux bureaux, l'impossibilité de mener des recherches en personne et les exigences de l’enseignement. Le fait que les femmes et le personnel issu des minorités raciales étaient plus susceptibles d'avoir des personnes à charge est considéré comme l'une des raisons de l'impact négatif sur la recherche.
  • La précarité de l'emploi est élevée - en particulier pour les travailleur·euse·s à temps partiel. Seul un·e travailleur·euse à temps partiel sur cinq pense que son emploi est garanti et plus d'un·e travailleur·euse sur trois craint d'être licencié·e au cours des 12 prochains mois.
  • Le personnel se sent exclu du processus décisionnel. Seulement une personne sur quatre a l'impression d'être consultée avant que les décisions qui la concerne ne soient prises, malgré les structures de gouvernance bipartites ou communes dans la plupart des établissements postsecondaires.
  • Les niveaux de stress et d'anxiété sont beaucoup plus élevés. Quatre-vingt-quatre pour cent des participant·e·s ont signalé un stress un peu ou beaucoup plus élevé en raison de l'anxiété face à la pandémie, de l'équilibre entre le travail et les soins aux personnes à leur charge, les défis liés à l'enseignement et à la recherche et l'insécurité de l'emploi. Les femmes sont plus susceptibles que les hommes de déclarer des niveaux de stress et d'anxiété un peu plus élevés/beaucoup plus élevés et des préoccupations concernant l'équilibre entre la vie professionnelle et la vie privée.
  • Des services de garde d'enfants sûrs, l'accès aux services de santé mentale, l'assistance technologique et les ressources pédagogiques sont parmi les principaux soutiens identifiés comme nécessaires par les participant·e·s. Nombre d’entre eux∙elles ont réclamé des effectifs et une charge d'enseignement réduits, plus d'auxiliaires pédagogiques et des soutiens administratifs supplémentaires.

En réponse aux nombreuses préoccupations mises en lumière dans notre sondage, l'ACPPU a élaboré des recommandations à l’intention des établissements de l’EPS et des gouvernements, pour aider à résoudre les problèmes auxquels font face les enseignant·e·s et le personnel du postsecondaire, qui ont été exacerbés par la COVID-19. Reconnaissant que la pandémie a amplifié les inégalités existantes dans le milieu universitaire, nous avons mis en évidence dix actions que les associations et les syndicats regroupant les membres du personnel académique devraient prendre pour poursuivre les efforts visant à faire progresser l'équité pendant la pandémie.

Nous demandons aux administrateur·trice·s d’établissement de travailler en étroite collaboration avec les associations du personnel académique, les autres syndicats du campus et les Comités mixtes de santé et de sécurité sur un plan complet de sécurité au travail jusqu'à ce que les risques d'exposition à la COVID-19 soient contenus; de prévoir des congés de maladie payés et des prestations de santé complémentaires pour tout le personnel académique contractuel ; et d’améliorer les prestations de santé mentale pour tout le personnel. En outre, le personnel académique, et en particulier le personnel académique contractuel, devrait être correctement rémunéré pour une préparation ou un temps d'enseignement supplémentaire ; les personnes en situation de handicap et/ou ayant des responsabilités de soins à des personnes dont elles ont la charge devraient soutenues ; et les libertés académiques et la gouvernance collégiale devraient être solidement protégées.

On a pu observer quelques succès au Canada avec des associations engrangeant des progrès pour leurs membres, que ce soit la suspension des sondages d'évaluation des étudiant·e·s ou une compensation supplémentaire pour les travailleur·euse·s universitaires sous contrat. Il ne fait aucun doute, cependant, que nous traversons des temps difficiles. Nous devons nous rassembler en tant que communauté, à distance, pour trouver des moyens de survivre à ce moment et pour mettre en mouvement les changements que nous voulons observer dans notre institution après la pandémie.

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.