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À l’approche du 10e Congrès mondial de l’Internationale de l’Éducation, nous avons invité des membres du Bureau exécutif à partager leurs réflexions concernant le thème du congrès : « Développer nos syndicats, valoriser nos professions, défendre la démocratie ».

Lorsque j’étudiais pour devenir enseignante il y a plusieurs dizaines d’années, on pouvait percevoir l’enthousiasme que suscitait l’enseignement. Au Canada, dans ma province, les conditions d’obtention d’un diplôme pour enseigner sont passées de trois ans d’université à quatre ans de licence en sciences de l’éducation. Mon syndicat avait négocié avec le gouvernement provincial une nouvelle structure de négociation collective qui commençait déjà à porter ses fruits. Les salaires des personnels enseignants de l’enseignement primaire, majoritairement des femmes, ne seraient plus inférieurs à ceux de leurs homologues de l’enseignement secondaire, où les hommes sont plus nombreux. Tous les personnels enseignants seraient désormais rémunérés sur la base de leurs qualifications et de leurs années d’expérience, une belle victoire pour les femmes et la profession. Une relation de travail solide entre le syndicat et le gouvernement avait permis d’examiner les problèmes et préoccupations. L’enseignement était une profession enviée et le bien commun était valorisé. Bien entendu, la direction de notre syndicat a agi avec détermination et a investi le temps et les efforts nécessaires pour parvenir à un accord sur les questions litigieuses. Ce que je veux dire, c’est que j’ai trouvé cela passionnant de vivre ces changements qui ont véritablement valorisé la profession enseignante.

Un des thèmes principaux du 10e Congrès mondial de l’Internationale de l’Éducation cet été est « Valoriser nos professions ». Lorsque j’étais une jeune étudiante en éducation, j’aurais pu me demander pourquoi nous devions aborder cette question, au vu des progrès que je constatais. Malheureusement, au cours de ces vingt dernières années, les personnels enseignants et les systèmes d’éducation publics ont été soumis à des « réformes » d’une tout autre nature. Par exemple, avec l’entrée en vigueur de la Nouvelle gestion publique, il a été expliqué aux personnels enseignants que leurs élèves seraient désormais des « clientes et des clients ». Les enseignantes et enseignants devaient se montrer plus efficaces, faire preuve d’un plus grand « esprit d’entreprise » dans leurs classes, alors que les enfants souffrant de la faim, réfugié·e·s, en apprentissage d’une nouvelle langue ou à risque − et tous les enfants, en définitive − avaient besoin de bien plus qu’une simple « efficacité ». Lorsque les gouvernements ont autorisé la privatisation des services publics, le financement de l’enseignement public a commencé à diminuer.

Le mouvement pour la responsabilisation ( accountability en anglais) a laissé entendre aux personnels enseignants et à la population que les tests standardisés à grande échelle étaient plus efficaces pour mesurer les progrès des élèves que les enseignantes et enseignants qui travaillent quotidiennement à leurs côtés. Les nombreuses formalités administratives se sont avérées plus que problématiques pour les personnels enseignants. Les entreprises de technologies de l’éducation ont laissé entendre que la technologie pouvait enseigner aux enfants plus efficacement que leurs enseignantes et enseignants. Si la pandémie a montré les limites d’un enseignement entièrement confié à la technologie, elle a également mis en évidence l’augmentation considérable de la charge de travail des personnels enseignants.

Aujourd’hui, l’irrépressible avancée de la privatisation est le résultat d’un effort concerté entre idéologues de droite, acteurs commerciaux et bon nombre de gouvernements qui, agissant de concert avec des entreprises multinationales de l’éducation et certaines institutions mondiales, cherchent à exploiter à des fins lucratives les apprenantes et apprenants, ainsi que leurs éducatrices et éducateurs. Et tout cela s’accompagne d’une stratégie intentionnelle. Les gouvernements dévalorisent la communauté éducative et déprofessionnalisent l’enseignement en recrutant des effectifs peu ou pas qualifiés. Ils précarisent les emplois des personnels enseignants, abandonnent le dialogue social, subvertissent la négociation collective, s’en prennent aux syndicats de l'éducation et à leurs responsables, réduisent le financement des systèmes d’éducation publics et les confient parfois directement à des entreprises prestataires de services. Le bien commun semble ne plus être inscrit au rang des priorités des gouvernements, malgré les engagements qu’ils ont pris en faveur des Objectifs de développement durable des Nations Unies en 2015, notamment l’ODD 4 dédié à l’éducation. Les entreprises ont pour seule préoccupation le « rendement pour leurs actionnaires ».

Clairement, la communauté enseignante et les syndicats de l’éducation doivent agir. Dans la mesure où nous travaillons au niveau local dans le monde entier, nous disposons de la marge de manœuvre nécessaire pour agir et apporter un changement. Nous disposons également d’un nouveau levier très performant pour proposer une nouvelle manière d’aborder l’éducation publique au niveau mondial. En février, le Groupe de haut niveau des Nations Unies sur la profession enseignante a publié son rapport. Sa première recommandation porte sur l’importance cruciale pour les gouvernements de garantir que « la profession enseignante jouit d’un statut élevé et d’un soutien fort ». Le rapport rappelle à la communauté internationale que l’éducation est une activité humaine et que la dimension relationnelle est le fondement même de l’enseignement et de l’apprentissage. Considérées dans leur ensemble, les 59 recommandations définissent un cadre, une feuille de route en quelque sorte, pour revaloriser et revitaliser la profession enseignante et l’enseignement public. Les syndicats de l’éducation sont de puissants agents du changement pour faire progresser le secteur. Le Congrès mondial nous offrira l’occasion d’examiner en profondeur ces recommandations et de tracer la voie à suivre pour remédier à la pénurie de personnels enseignants et revaloriser, une nouvelle fois, notre profession.

Le bien-être et l’apprentissage des enfants sont primordiaux pour l’avenir de nos sociétés. Élever la profession enseignante signifie améliorer la qualité de l’enseignement public dispensé aux enfants. Les gouvernements, les institutions mondiales, les entreprises et la société en général doivent tenir compte de ces vérités, afin que les nouvelles générations d’enseignantes et enseignants puissent, elles aussi, connaître l’enthousiasme que suscite une profession enseignante dynamique, qui fait la différence pour les enfants, leurs communautés et notre monde.

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.