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Image: FG Trade
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« - Levez la main si vous avez déjà été victime de racisme. » C'est la première phrase que j’ai lancée à mes élèves, dans une classe au lycée, afin d'aborder le sujet du racisme et de ses ramifications sociales.

Beaucoup ont levé la main, y compris moi-même. Les garçons et les filles à la peau blanche également. Je leur ai demandé de s'exprimer.

« - On m'a dit que j’étais trop grosse, traitée de baleine », m’a dit une fille.

« - Et moi aussi, on m’a traitée de Pinocchio, à cause de mon nez », déclara une autre étudiante.

« - On m'a appelé Casper, le fantôme. Ça arrive tout le temps. Moi, je subis le racisme tout le temps parce que je suis très blanche, voilà », a décrit l'élève en frottant sa peau pour souligner sa blancheur.

« - Nous ne pouvons pas confondre les choses. Je vous parle du racisme, pas du harcèlement. », interrompis-je, provoquant des regards confus ou circonspects.

Le racisme est différent du harcèlement scolaire, des insultes lancées par d’autres élèves. Il est vrai qu’une fine ligne les distingue : après tout, tous deux attaquent la personne physiquement et psychologiquement, c'est-à-dire qu'ils offensent, humilient, violentent. C'est pourquoi nous les confondons généralement. D’ailleurs, les discours au sein de l’institution scolaire ont tendance à considérer ces deux éléments ensemble, à les confondre dans un seul "contenu".

"En ce qui concerne le racisme, cette logique de rejet, d'exclusion, d'aversion, d'humiliation dépasse le champ subjectif et envahit le champ objectif, c'est-à-dire le champ de la norme, en se normalisant et en devenant naturelle, puisqu'elle est ensemencée par le champ politique, juridique, économique, culturel et social."

J'insiste : « Le harcèlement est un phénomène différent du racisme. Levez la main si vous avez déjà été suivi·e au supermarché par la personne en charge de la sécurité ou dans la rue par la police ? Qui, ici, a peur de la police ou qui a déjà été humilié·e, maltraité·e, sans savoir pourquoi, par la police ? »

Soudain, un étudiant noir prend la parole : « Il y a quelques jours, j'étais dans une pharmacie, j’attendais pour acheter des médicaments. Il n'y avait personne à servir. Personne. Seulement moi. Mais personne ne voulait s'occuper de moi. Quand j'ai demandé à l'employée : - Vous ne me voyez pas? Je suis ici, fatigué d'attendre, ne voulez-vous pas vous occuper de moi? La pharmacienne a répondu : - Arrête! Votre race est habituée à attendre! ».

« - Ce n'est pas du racisme », est intervenu un élève. « Je crois que ce serait raciste si elle t’avait comparé à un singe, ou traité de gorille. »

Expliciter les spécificités du phénomène raciste dans le cadre scolaire

Au Brésil, un jeune noir âgé de 15 à 29 ans a jusqu'à 147% plus de risques d'être assassiné qu'un jeune blanc [1]. 73,3% des bénéficiaires de la Bolsa Família [2] sont des Noir·e·s, dont plus de 50% ont moins de 24 ans et 60% n'ont qu'une éducation élémentaire incomplète [3]. 96% des présentateurs et présentatrices de journaux télévisés et 94% des journalistes sont blancs [4]. Au Brésil, les travailleuses et travailleurs noir·e·s perçoivent seulement 57% (R$ 1.374,79 [5]) de la rémunération perçue par leurs homologues blancs (R$ 2.396,74 [6]). Enfin, 86,5% des magistrates et magistrats sont blancs [7].

Afin de combattre le racisme dans le cadre scolaire, il est nécessaire d'expliciter les séquelles laissées par le racisme, en ce qu’elles sont beaucoup plus profondes et subtiles que dans le cas du harcèlement, qui est une violence physique ou psychologique considérée comme hors norme ou anormale, autrement dit en dehors de ce qui est accepté, et donc à combattre.

"Parler de racisme en classe implique de démonter le mythe de la démocratie raciale et de montrer que le problème racial au Brésil n'est pas lié au domaine individuel ou à une variation de préjugés de nature subjective."

Le racisme n'est pas une déformation du comportement, c'est-à-dire qu'il ne s’inscrit pas dans le champ subjectif, comme c'est le cas pour le harcèlement, qui est totalement lié à l'idée de préjugé (un jugement anticipé, qui ne passe pas par le crible de la raison, mais qui existe dans la tête d'un individu ou d'un groupe d'individus, qui rejette ou n'accepte pas l'autre).

En ce qui concerne le racisme, cette logique de rejet, d'exclusion, d'aversion, d'humiliation dépasse le champ subjectif et envahit le champ objectif, c'est-à-dire le champ de la norme, en se normalisant et en devenant naturelle, puisqu'elle est ensemencée par le champ politique, juridique, économique, culturel et social. Le racisme est dans la norme ou la normalité, puisqu'il est assuré par la structure même de la société et de l'Etat.

Les racines historiques du phénomène raciste dans la société brésilienne

Par ailleurs, il est nécessaire de souligner que le racisme est dans l'ADN du Brésil, un outil dans la genèse-même de la nation brésilienne, qui a été structurellement consolidé, permettant au Brésil d'abolir les esclaves sans briser les hiérarchies sociales engendrées pendant la période de l'esclavage.

La citoyenneté tant désirée pendant la période coloniale et esclavagiste n'a pas été pleinement accordée aux Noir·e·s. Il suffit de regarder de près le paysage social pour constater que les hommes et les femmes noir·e·s restent défavorisé·e·s, continuent de subir les pires conditions de travail et d’être traité·e·s comme des citoyennes et des citoyens de deuxième catégorie.

Certes, l'abolition de l’esclavage a permis aux Noir·e·s de sortir de leur condition d'objets, de choses, de marchandises, mais elle n'a pas totalement pulvérisé leur condition subalterne, héritée de la période coloniale.

Parler de racisme en classe implique de démonter le mythe de la démocratie raciale et de montrer que le problème racial au Brésil n'est pas lié au domaine individuel ou à une variation de préjugés de nature subjective. Bien sûr, les actions individuelles doivent être combattues et dénoncées, mais il faut aussi parler dans les écoles de l'idéologie raciste utilisée pour perpétuer des privilèges de plus en plus inaccessibles à la majorité de la population. A ce titre, il est nécessaire d'élucider les questions plus structurelles du capitalisme brésilien qui soutient le racisme, en alimentant la fracture existante entre les populations noires et blanches.

En d'autres termes, être raciste ne signifie pas seulement rejeter, humilier, offenser, dégrader physiquement et psychologiquement quelqu'un, mais aussi approuver la fonction meurtrière et excluante de l'État qui ôte la vie à celles et ceux qui sont considéré·e·s comme des dégénéré·e·s, des superflu·e·s ou des citoyennes et citoyens de seconde zone. Et ici, pour paraphraser Foucault, prendre la vie ne signifie pas nécessairement le meurtre direct, mais aussi tout ce qui peut être un meurtre indirect: le fait d'exposer à la mort, de multiplier pour certains le risque de mort ou, purement et simplement, la mort politique, l'expulsion, le rejet.

Si l'école est le premier espace où le racisme doit être discuté et combattu, il est urgent de parler des racines du racisme au Brésil et de son développement et de sa consolidation dans le néolibéralisme d'aujourd'hui. Nous ne pourrons vaincre le racisme que le jour où les personnes noires jouiront de la même citoyenneté universelle et des mêmes droits que les personnes blanches, à travers un accès égal à la politique, à un travail digne et aux instances économiques, sociales et juridiques.

1. ^

Selon les données de l'Institut de recherche économique appliquée (Ipea) 2016 - Atlas de la violence. Brésil, 2016.

2. ^

Il s'agit d'un programme gouvernemental qui bénéficie la population que vit dans la pauvreté l'extrême.

3. ^

Selon le rapport du Ministère du Développement Social. Brésil, 2011.

4. ^

D’après une étude de la Fondation Culturelle Palmares, Ministère de la Culture.

5. ^

En moyenne 272 dollars américains.

6. ^

L'enquête mensuelle sur l'emploi de l'IBGE (L’Institut Brésilien de Géographie et de Statistique).

7. ^

L’enquête a été réalisée en 2005 par l'association des magistrats brésilien.

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.