Dans cet article de blog, je voudrais partager mon expérience des partenariats public-privé (PPP) en tant qu’enseignante dans une zone rurale du Brésil et j’aimerais engager toutes les parties prenantes à réfléchir sans tarder aux problèmes que de tels partenariats impliquent dans le monde de l’enseignement. Par ailleurs, je m’interroge ici sur la manière dont de tels partenariats public-privé (PPP) peuvent être le résultat d’un manque de financement de l’éducation et j’explique combien il est important que toutes les parties prenantes profitent du contexte qu’offre le Sommet sur la transformation de l’éducation pour militer en faveur de l’augmentation des budgets alloués au secteur de l’enseignement.
Après la pandémie, de nombreuses difficultés qu’affrontaient déjà les enseignantes et enseignants se sont retrouvées accrues [1]. Le Sommet sur la transformation de l’éducation nous offre l’occasion d’intensifier notre pression auprès des États membres à propos d'importantes questions sur l'enseignement. Dans cet article, je voudrais vous inviter à considérer le fait que mon expérience personnelle d’enseignante au Brésil n’est qu’un exemple parmi une multitude d’autres de la nécessité pour tout gouvernement de s’engager à allouer des budgets plus conséquents à l’enseignement.
Au Brésil, il est courant que les parents évitent de placer leurs enfants dans une école publique, surtout s’ils ont les moyens financiers de faire autrement. On entend souvent les personnes âgées dire que « l’éducation n’est plus ce qu’elle était dans le bon vieux temps… ». Le « bon vieux temps » renvoie le plus souvent à l’époque où le Brésil était sous la dictature militaire (1964-1985) et aux années qui l’ont précédée, un temps où les médias de masse étaient forcés de donner une image favorable des services d’État (comme l’éducation) afin d’assurer la promotion de ce régime autoritaire [2].
Quand la période de la démocratie a commencé, l’État a été confronté à la responsabilité de fournir un enseignement libre et gratuit à toutes et tous [3] et, bien que l’accès universel à l’éducation ait été l’un des acquis majeurs qu’ait apporté la démocratie nouvellement établie, la demande accrue de services d’enseignement a été suivie de restrictions budgétaires dans le secteur [4]. En outre, les pressions constantes exercées par des organismes internationaux sur les états-nations (surtout sur ceux du Sud) pour que ces derniers adoptent des PPP pour améliorer les résultats de leur système d’enseignement [5] ont également influé sur l’enseignement public au Brésil.
En tant qu’enseignante, j’ai fait l’expérience de certains des effets qu’ont les acteurs privés dans l’enseignement. Quand l’école où je travaillais a annoncé la mise en place d’un partenariat avec l’un des principaux instituts privés du Brésil, la plupart des enseignantes et enseignants ont été très enthousiastes à l’idée… et j’étais de leur nombre. Nous voyions là une possibilité d’apporter des perspectives nouvelles, modernes à notre école et d’améliorer les processus d’enseignement et d’apprentissage.
Peu à peu, il est devenu clair que cela ne serait pas forcément le cas. Du fait de l’influence de cette fondation privée, les enseignantes et enseignants ont perdu leur autonomie pédagogique : nous devions suivre des programmes de cours préétablis (fournis par l’institut en question), accepter des heures supplémentaires pour pouvoir remplir des pages de tableaux et de rapports rassemblant les données sur la performance des élèves, tout cela ayant pour justification l’amélioration de l’« apprentissage ». Le problème est que l’apprentissage n’était jamais aux centres de cette « amélioration ». Apprendre y était confondu avec obtenir de meilleurs résultats en termes d’évaluations et d’indicateurs. Tout ce dont nous entendions parler dans les sessions de formation pédagogique était d’initiatives que nous devions prendre pour diminuer le taux de redoublement, réduire l’absentéisme, l’hétérogénéité des âges dans une même classe et, bien sûr, l’amélioration des notes obtenues par nos élèves dans les évaluations nationales (et internationales).
D’un seul coup, la question des processus d’apprentissage (les besoins pédagogiques et les centres d’intérêt des élèves ou la manière de s’assurer qu’ils deviendraient à part entière des membres indépendants de la société) était tombée dans l’oubli. Les enseignantes et enseignants qui osaient remettre en cause cette situation recevaient un traitement hostile de la part de la direction. De plus, nous étions constamment mis en concurrence avec d’autres écoles et d’autres enseignantes et enseignants, dont les performances étaient meilleures. On nous rappelait régulièrement le besoin d’agir vite et de façon efficace afin que les élèves ne perdent pas de vue les points donnés comme prioritaires.
Je me demande ce que cela aurait changé si nous avions eu davantage de liberté pour enseigner aux élèves ce qui les intéressait (et ce qu’ils avaient besoin d’apprendre). Parfois, certains de mes élèves se sont mis à rire devant les activités que je proposais en classe (et qui faisaient partie des programmes préétablis du plan d’action) tellement ils les trouvaient ridicules. Et le pire, c’est que j’étais d’accord avec eux… Mais je les réalisais quand même, pour pouvoir respecter le plan d’action établi. J’étais une enseignante débutante et j’avais peur de perdre mon travail si je ne faisais pas ce qu’on me demandait.
Je ne voudrais pas que cette histoire décourage ceux qui ont envie de choisir le métier d'enseignant. Non, ce que je souhaite, c’est profiter de cette tribune pour engager instamment les enseignantes et enseignants, les parties prenantes du secteur et la société dans son ensemble à militer pour une éducation gratuite et publique et à poser la question suivante : de quelle manière et pour quelle raison des intervenants non-étatiques continuent-ils à fournir l’enseignement de 350 millions d’enfants dans le monde [6] ? En outre, je veux que nous nous demandions comment l’augmentation du budget alloué à l’enseignement pourrait contribuer à faire machine arrière et à remettre les États devant leur responsabilité, celle d’offrir une éducation de qualité, au lieu de livrer l’enseignement au secteur privé.
Comme le montrent plusieurs études, mieux financer l’enseignement permet d’offrir aux professionnels de l’éducation des salaires décents et donc incite davantage de personnes à choisir cette filière (et à y rester durablement) [7]. Cela pourrait permettre à ceux et celles qui travaillent dans ce secteur de n’avoir qu’une seule activité professionnelle, et non pas jongler entre deux ou trois, comme la plupart des enseignantes et enseignants sont obligés de le faire pour atteindre l'autonomie financière. Cela permettrait aux éducatrices et éducateurs d’avoir le temps de réfléchir à leur propre approche pédagogique, aux besoins de leurs élèves et d’utiliser leurs connaissances et leur imagination pour améliorer leur pratique. Cela permettrait aux élèves de trouver dans l’école un bon point d’ancrage au sein de la société. Cela offrirait aux écoles la possibilité de mieux s’équiper, d’avoir de meilleures conditions de sécurité et d’être prêtes pour accueillir les élèves et la population dans ce qui est censé être un processus enthousiasmant d’enseignement et d’apprentissage.
Et surtout, accroître le budget de l’enseignement offre aux écoles la liberté de choisir. Aujourd’hui, bien qu’il n’existe pour les écoles aucune obligation formelle d’adhérer à un PPP, le manque de ressources rend les PPP extrêmement tentants. Les fondations privées font la promotion des PPP comme d’autant de solutions peu onéreuses (ou « à coût zéro ») à tous les problèmes de l’école, qui favoriseront la « qualité » de l’enseignement grâce aux ressources et aux compétences que ces fondations fourniront [8]. Mais le coût des PPP n’est jamais zéro. Ils coûtent aux professionnelles et professionnels de l’éducation leur autonomie pédagogique et ils profitent aux institutions privées de diverses façons : financièrement (à travers les détractions fiscales, par exemple) et politiquement, en gagnant plus de place et davantage de pouvoir au sein de la sphère publique [9]. De plus, les PPP n’ont jusqu’ici jamais montré de manière probante qu’ils avaient des effets positifs sur les systèmes d’éducation développés, bien que des recherches approfondies soient nécessaires sur ce sujet [10]. Il apparaît donc que les États devraient augmenter le budget de l’enseignement pour s’assurer que les écoles peuvent faire des choix indépendants et se concentrer sur la pédagogie et le bien-être des équipes et des élèves.
Les établissements d’enseignements, les étudiantes et étudiants et les enseignantes et enseignants du monde ne peuvent pas et ne devraient pas avoir à se sacrifier pour que l’enseignement continue à vivre et il est juste qu’ils s’y refusent catégoriquement.
Bittar, M., & Bittar, M. (2012). « História da Educação no Brasil: a escola pública no processo de democratização da sociedade. » Acta Scientiarum. Education, 34 (2), p. 157-168.
Bittar, M., & Bittar, M. (2012). « História da Educação no Brasil: a escola pública no processo de democratização da sociedade. » Acta Scientiarum. Education, 34 (2), p. 157-168.
Verger, A., Altinyelken, H. K., & Novelli, M. (Ed.). (2018). Global education policy and international development: New agendas, issues and policies. Bloomsbury Publishing.
Crawfurd, L., & Hares, S. (2021). The Impact of Private Schools, School Chains, and Public-Private Partnerships in Developing Countries. CGD Working Paper (décembre 2021).
Pinto, J. M. D. R. (2018). « O financiamento da educação na Constituição Federal de 1988: 30 anos de mobilização social. » Educação & Sociedade, 39, p. 846-869.
Verger, A. (2016). Public-private partnerships in education: Exploring different models and policy options.
Avelar, M. (2018). Advocacy as core business: new philanthropy strategies in Brazilian education policy-making. In The State, Business and Education. Edward Elgar Publishing.
Verger, A., Moschetti, M. C., & Fontdevila, C. (2020). How and why policy design matters: understanding the diverging effects of public-private partnerships in education. Comparative Education, 56(2), 278-303.
Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.