Alors qu’ un·e enseignant·e belge francophone sur trois envisage de quitter la profession, comme le révèle une recherche menée par l’Université de Mons, les syndicats de l’enseignement ont appelé à l’action le 10 février, pas seulement en raison de la pandémie de COVID-19 qui désorganise le système scolaire, mais aussi parce que de nombreux dossiers concernant l’enseignement et ses travailleur·euse·s restent en suspens. Environ 10.000 personnes ont répondu à l'appel et se sont réunies devant le siège du Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles.
Il ne s'agit toutefois pas d'un appel formel à la grève, mais les enseignant·e·s qui participeront à l'action, un rassemblement devant le siège du gouvernement du Gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, seront couvert·e·s par leur organisation syndicale. Les personnels administratifs et ouvriers des écoles sont également invités à y participer. Une mobilisation d'une telle ampleur est exceptionnelle, la dernière de ce type ayant eu lieu il y a 11 ans.
Ces personnels de l’éducation francophones ont reçu le soutien de leurs homologues flamands et germanophones belges.
En amont de cette journée du 10 février, des arrêts de travail de moins de 50 minutes ont été organisés en front commun dans les établissements durant la semaine du 31 janvier. Ils ont permis la tenue de réunions d’information.
Des efforts liés à la crise sanitaire non reconnus
« Tous les personnels de l’enseignement ont fait jusqu’à présent beaucoup d’efforts », confirme Jean-Francois Lankester, chargé de communication pour la CGSP Enseignement. « D’autant plus durant ces deux dernières années, en pleine crise de la COVID-19, où chacun a fait preuve d’une adaptabilité exemplaire face aux difficultés du terrain. Malgré cela, ils n’ont obtenu aucune véritable reconnaissance, ni aucune mesure digne de lutter efficacement contre la pénurie. »
Il reconnaît aussi que « la pénurie d’enseignants n’est plus à démontrer, mais les considérations du politique ne poussent pas les jeunes à se tourner vers ce métier ou à y rester ».
Les éducateur·trice·s attendent toujours l’amélioration de leurs conditions de travail et la revalorisation de leur métier
Le communiqué du front commun syndical de l’enseignement élargi aux personnels administratif, ouvrier et universitaire déplore : « Nous n’avons obtenu aucune proposition concrète en réponse au cahier de revendications remis en avril dernier. Les maigres propositions envisagées concernent principalement des points d’accords passés et non réalisés à ce jour. Et par-dessus le marché, la volonté du gouvernement est d’étendre la période des négociations sectorielles de deux à quatre ans. Il s’agit ni plus ni moins d’une rupture dans le cycle des négociations bisannuelles et d’une violation de la législation. » Les personnels de soutien à l’éducation « pourtant essentiels eux-aussi, attendent depuis longtemps une valorisation barémique et des contrats pérennes ».
Les syndicats dénoncent aussi « une surcharge administrative toujours plus grande, une taille des classes trop importante les empêchant de soutenir comme il se doit les élèves en difficulté, une gestion de la crise qui épuise les personnels […]. Ces derniers exercent dans des conditions de travail dégradées. »
De plus, ils notent que la crise « a jeté une lumière crue sur le délabrement des bâtiments scolaires et sur le manque criant de matériel numérique ».
Concernant le Pacte pour un enseignement d’Excellence qui se voulait « « une réponse systémique à tous les maux », ils indiquent qu’il est aujourd’hui mis en œuvre « de manière totalement déséquilibrée ».
Ils concluent : « Dans l’indifférence générale, les personnels des établissements d’enseignement ont été mis en situation dangereuse pendant la pandémie de façon à laisser tourner le monde économique. Si l’enseignement est véritablement essentiel, il va falloir le prouver ! »
Points d’achoppement pour les syndicats
Les syndicats condamnent ainsi plus particulièrement :
- Des accords sectoriels mous, voire inconsistants.
- Un processus de négociations sectorielles en cours qui n'accouche pas d'une proposition de protocole suffisante.
- Le fait qu’aucune proposition concrète à l’heure actuelle ne soit apportée en réponse au cahier de revendications remis en avril dernier.
- Le fait qu’aucun planning ne soit établi concernant les nombreux points des accords passés obtenus et non réalisés jusqu’ici.
- Des conditions de travail dégradées. En particulier : un environnement de travail laissant à désirer, avec un état des bâtiments scolaires plus qu’inquiétant ; une hybridation chaotique, les mesures de soutien (notamment formations) pour assurer l’enseignement à distance étant quasiment inexistantes ; les nouvelles pratiques amenées par le numérique laissent peu de droit à la déconnexion en ne respectant plus la frontière vie privée–vie professionnelle, ajoutant une surcharge de travail ; l’utilisation de son matériel numérique privé malgré tous les risques que cela comporte ; le décret taille des classes été une avancée mais la réduction doit se poursuivre et les multiples dérogations doivent cesser.
- Des membres des personnels méprisés. Le personnel des établissements scolaires a été mis en situation dangereuse pendant la pandémie de façon à laisser tourner le monde économique. Malgré cela, dans les médias, le Ministre-Président de la Fédération Wallonie-Bruxelles Pierre-Yves Jeholet a réitéré des propos manquant totalement de considération envers ces membres du personnel en faisant des comparaisons entre secteurs privé et public.
- La surcharge de travail. Cette surcharge est liée à : une augmentation exponentielle des démarches « administratives » ; une taille de classe trop importante, ne permettant pas de soutenir comme il se doit les élèves en difficulté ; un nettoyage et une désinfection augmentés par la crise de la COVID-19 ; un tracing réalisé par les personnels de soutien à l’éducation ; et des personnels des internats délaissés et dévalorisés.
- De grandes ambitions sous-financées et des réformes déséquilibrées. Étant donné l’état des finances de la Fédération Wallonie-Bruxelles, les moyens alloués aux différentes réformes qui sont initiées depuis l’instauration du Pacte pour un enseignement d’Excellence ne suffisent pas à couvrir une mise en œuvre efficiente. Pour les syndicats, espacer les réformes eût été plus judicieux en termes d’appréhension, de surcharge de travail mais aussi en termes budgétaires.
L’enseignement doit être véritablement considéré comme « essentiel »
Rappelant lui aussi que « ça fait maintenant plus de deux ans qu’à chaque occasion et notamment à l’issue des comités de concertation relatifs à l’évolution de la crise sanitaire, les personnalités politiques, tous partis confondus, nous répètent avec insistance que l’enseignement est un secteur essentiel », Roland Lahaye, secrétaire général de la Confédération des syndicats chrétiens de Belgique-Enseignement (CSC-Enseignement) assure que « nous n’avons pas attendu la crise sanitaire pour le savoir. Non seulement ce secteur est essentiel mais c’est un secteur dans lequel il faut investir car c’est une richesse pour la société. »
S’il admet qu’« il est évident que des budgets ont été dégagés pour faire face aux impacts de la COVID-19 dans les établissements scolaires », il regrette fortement que « nous sommes loin des revendications du cahier déposé par le front commun et qui était axé sur la lutte contre la pénurie ».
Pour lui, « l’adhésion indispensable [aux réformes et mesures] est compromise. Il est temps de réagir si l’on veut rendre son caractère essentiel à l’école. »
En conclusion, il estime que « les politiques ont assez parlé, ils doivent maintenant joindre les actes à la parole », et, s’adressant aux personnels de l’éducation, que « c’est l’occasion ou jamais de manifester votre mécontentement ».