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Photo: Nick Thompson / Flickr
Photo: Nick Thompson / Flickr

Aotearoa Nouvelle-Zélande, syndicats de l’éducation et changement climatique

Publié 2 novembre 2021 Mis à jour 11 janvier 2023
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Aotearoa, qui est le nom maori de la Nouvelle-Zélande – et avec elle une poignée d’autres pays – a le privilège d’être relativement épargnée par la COVID. Toutefois, de nombreuses autres difficultés se posent à nous, souvent méconnues du reste du monde – comme la pollution massive de nos cours d’eau, les niveaux extrêmes de pauvreté et d’inégalité, la pénurie de logements, la fonte des glaciers, les niveaux élevés de violence domestique et sexuelle, et bien plus encore.

Les peuples autochtones maoris et du Pacifique sont les plus durement frappés par les inégalités socio-économiques persistantes et des résultats médiocres dans le domaine de la santé, qui ne sont autres que le fruit de deux siècles de colonisation, aggravés par trente années de politique gouvernementale néolibérale. Cela dit, en comparant notre situation à celle de certaines nations, nous connaissons une position de privilège relatif en ce qui concerne notre capacité de réaction face aux retombées du changement climatique.

Près de 20 % des personnes actives dans le pays sont syndiquées. L’adhésion syndicale tombe à 9 % dans le secteur privé, mais elle est bien plus importante dans le secteur public. Dans le domaine de l’éducation, l’enseignement primaire et secondaire est assez fortement syndiqué, tandis que le secteur de l’éducation de la petite enfance l’est moins. Les syndicats d’ Aotearoa ne se sont pas encore complètement remis des assauts du néolibéralisme des années 1980 et 1990, qui avaient balayé sur leur passage de nombreux droits d’organisation des syndicats ainsi qu’un grand nombre de conventions/normes les concernant. Sous le gouvernement actuel, l’adoption probable de la législation de l’Accord sur la rémunération équitable offre une lueur d’espoir quant au fait que nous puissions commencer à rétablir ces normes.

C’est sur cette toile de fond que les syndicats d’ Aotearoa doivent à présent trouver comment organiser et se renforcer aux côtés de leurs membres au sein de leurs communautés en vue de relever le défi du changement climatique.

« À la différence de la plupart des campagnes menées par le mouvement des travailleur·euse·s, nous nous heurtons certes à une urgence climatique mais aucune date butoir n’est ici fixée, si bien que les enjeux peuvent parfois sembler plutôt intangibles. »

Affronter le défi du changement climatique en tant que syndicat

Notre syndicat, le New Zealand Educational Institute (NZEI) Te Riu Roa, est le deuxième syndicat le plus important du secteur public dans le pays et couvre la petite enfance, le primaire et certains éducateur·trice·s du secondaire. En 2016, nos membres ont voté à l’occasion de leur Conférence annuelle l’adoption d’une politique sur le changement climatique. Dans les années suivantes, nous avons commencé à opérer un suivi des émissions de notre organisation. Puis, en 2020, nous avons recruté une personne chargée de l’organisation communautaire afin d’aider les membres à développer leur activisme et leur leadership sur les questions liées au changement climatique.

La principale difficulté à laquelle nous nous heurtons consiste à déterminer comment renforcer la capacité de nos membres en vue de leur permettre d’agir sur le changement climatique. À la différence de la plupart des campagnes menées par le mouvement des travailleur·euse·s, nous nous heurtons certes à une urgence climatique mais aucune date butoir n’est ici fixée, si bien que les enjeux peuvent parfois sembler plutôt intangibles.

Nous avons dans un premier temps mis l’accent sur la compréhension des enjeux locaux liés au changement climatique, la documentation des bonnes pratiques en matière d’éducation au changement climatique, la collaboration avec les systèmes de savoirs autochtones, le lobbying sur les questions liées aux programmes d’études et la transition des écoles et des services vers les énergies renouvelables, avec, en filigrane, un engagement à accorder la priorité aux droits des tamariki Māori – les enfants maoris. En tant que nation du Pacifique, nous avons également la responsabilité d’aider nos voisins de la région, dont les îles disparaissent peu à peu de la surface de la Terre, englouties par les eaux.

« Comme pour toute initiative de syndicalisation, nous avons réfléchi à la manière dont cette action en faveur du climat pouvait s’inscrire dans le cadre des objectifs plus généraux et des valeurs de notre syndicat. »

Le concept de transition juste pour les travailleur·euse·s est également une question essentielle pour notre syndicat et figure au cœur de l’engagement du mouvement syndical, dans son ensemble, sur la question du changement climatique. En tant que syndicat de l’éducation, nous considérons nos membres comme des « intervenant·e·s de deuxième ligne » dans le cadre d’une transition juste. Nous sommes les premiers témoins des répercussions subies par les communautés lorsque des industries ferment et que des emplois sont supprimés. Bon nombre de nos membres sont marié·e·s à ou ont des liens de parenté avec des personnes travaillant dans ces industries. En outre, lorsque ces emplois disparaissent, les écoles et les services locaux ne tardent guère à, eux aussi, fermer leurs portes. En outre, en tant qu’éducateur·trice·s, nous avons un rôle important à jouer dans la préparation des enfants pour l’avenir.

Organiser à Taranaki

Un certain nombre de régions pilotes ont été retenues afin d’accueillir nos premiers travaux de mobilisation syndicale pour le climat. La région de Taranaki, à l’ouest de l’île du Nord, figure en tête de liste. Taranaki est l’une des zones les plus importantes d’ Aotearoa en termes d’histoire de la colonisation et de résistance pacifique emmenée par tangata whenua (le peuple indigène) face au processus de spoliation des terres, à la suppression de l’usage de la langue autochtone et à l’hégémonie culturelle qui s’en sont ensuivis. Berceau des industries laitières, la région accueille en outre la majeure partie de l’exploration et de la production résiduelles de pétrole et de gaz d’ Aotearoa. En 2018, le nouveau gouvernement travailliste a annoncé la fin des nouvelles licences d’exploration pétrolière et gazière en mer dans tout le pays, autorisant néanmoins la poursuite de l’exploration et de la production à terre à Taranaki. Parallèlement à cela, le cabinet Ardern s’est engagé à assurer un processus de transition juste, cherchant à impliquer la communauté de Taranaki dans les efforts destinés à élaborer une Feuille de route à l’horizon 2050 et définir des pistes de transition vers des emplois dans le domaine de l’énergie propre.

C’est dans ce contexte que notre premier réseau sur le climat a vu le jour à Taranaki. Ce réseau offre une plateforme d’organisation stimulante, dès lors que bon nombre de conjoint·e·s ou parents de nos membres travaillent dans l’industrie pétrolière, gazière ou laitière. Nous nous appuyons également sur un Conseil régional bien organisé (notre syndicat se compose de 14 conseils régionaux et de 24 Aronui Tomua, qui sont les homologues maoris de ces conseils), dirigé par des Māori wahine (des femmes) qui sont des figures de premier plan au sein de leurs propres communautés. Nos dirigeant·e·s à l’échelle régionale sont déjà plongé·e·s dans l’action aux côtés des tamariki et des whānau afin de les (re)connecter à la whenua (la terre), appliquant des valeurs et des savoirs basées sur les Mātauranga Māori (systèmes de savoirs maoris), et ont déjà commencé à s’impliquer dans le processus de Feuille de route à l’horizon 2050. Le NZEI Te Riu Roa est le premier à avoir évoqué le manque d’engagement de la Feuille de route envers les mana whenua (autorités tribales locales).

Bien que le défi posé soit différent, nous avons suivi un protocole d’organisation identique à celui appliqué en matière de syndicalisation des travailleur·euse·s. En d’autres termes, nous avons commencé par localiser un groupe de personnes intéressées et déterminer quelles sont, à leurs yeux, les principaux enjeux en matière de climat. Comme pour toute initiative de syndicalisation, nous avons réfléchi à la manière dont cette action en faveur du climat pouvait s’inscrire dans le cadre des objectifs plus généraux et des valeurs de notre syndicat. Notre base de départ est plutôt modeste, et il nous faut à présent trouver comment motiver et intéresser les membres du NZEI Te Riu Roa et ses alliés.

Le Conseil régional de Taranaki, qui s’est lancé dans ces travaux en 2019, a programmé de petits rassemblements sociaux (appelés hui) afin de commencer à interagir avec les membres clés et membres intéressés. En 2021, nous avons créé la fonction de délégué·e syndical·e en charge du dossier climatique. Ce nouveau poste sera responsable devant le Conseil régional de Taranaki, auquel il sera tenu de faire rapport. S’appuyant sur une valeur fondamentale pour le syndicat – le manaakitanga, autrement dit le fait de prendre soin les uns des autres – l’un des problèmes déjà identifiés par Kate, nouvelle déléguée en charge des questions climatiques pour la région de Taranaki, et qui revêt une signification particulière pour cette région, réside dans le sentiment d’isolement relatif souvent éprouvé par ces éducateur·trice·s qui sont déjà actif·ive·s localement sur les questions liées au climat et travaillent au sein de collectivités largement tributaires du pétrole, du gaz et des produits laitiers. Un rôle clé du nouveau réseau sera donc d’apporter un soutien.

« En tant qu’éducateur·trice·s, nos membres peuvent être – et sont déjà – une incroyable puissance au service du bien au sein de leurs communautés. »

Kate aura également la possibilité de s’appuyer sur un solide réseau d’« Enviroschools » – des écoles qui ont déjà fait le pari de la durabilité. Pour en revenir au rôle du manaakitanga, il sera tout aussi important qu’une équipe se développe autour de Kate elle-même.

La prochaine étape consistera pour nous à convoquer une réunion au cours du premier semestre de l’année scolaire, en composant avec les horaires habituels des jours de réunion du personnel dans les écoles, les services et les kura kaupapa (des écoles pratiquant l’immersion totale en langue maorie). Le syndicat dispose d’une page Facebook nationale active ( Climate Action for Educators) qui nous a permis de filtrer les données de nombreux membres locaux. Forts de ces informations, et s’appuyant sur les contacts locaux existants, le bureau syndical local et le Conseil régional se sont engagés à soutenir le travail de Kate en apportant leur aide en matière de syndicalisation et de leadership ainsi qu’un soutien financier ; ils assureront la diffusion de tracts et d’informations par l’intermédiaire de leurs réseaux.

Nous avons notamment débattu de l’importance de se concentrer sur des solutions, en mettant l’accent sur les réussites mais aussi les difficultés. Pour les enfants comme pour les éducateur·trice·s, les questions climatiques et environnementales sont souvent à l’origine de vives inquiétudes. Sans minimiser l’énormité et la gravité de ces préoccupations, il est important de cerner les enjeux et les mesures à prendre au regard des possibilités d’action en la matière. On cherchera ainsi en priorité à faire connaître les solutions qui fonctionnent et à se faire l’écho des succès remportés.

En ce qui concerne les transitions justes, le groupe prévoit également une surveillance du processus entourant l’élaboration de la Feuille de route à l’horizon 2050. Les éducateur·trice·s et l’éducation joueront un rôle décisif dans l’élaboration de la réponse apportée aux défis de demain. C’est ainsi qu’il·elle·s feront leur entrée dans le débat sur la transition juste.

Le principal enseignement à retenir jusqu’à présent ?

Parmi les points les plus importants à retenir jusqu’à présent, notons l’importance, comme toujours, d’identifier la personne apte à assurer la conduite de notre action locale sur le climat. Kate est à la fois passionnée par le climat et par le mahi (travail) éducatif, deux domaines dans lesquels elle jouit déjà d’une certaine expérience. Elle entretient des liens avec sa communauté locale et, bien qu’étant pākehā (non-maorie), elle possède de solides connaissances en matière de Te Ao Māori (pédagogie maorie). Il est important de noter qu’elle n’a jamais été, jusque-là, titulaire d’une autre charge syndicale. Mais surtout, elle a la motivation et la créativité requises pour accomplir ce travail. Comme on le constate déjà très clairement, chaque région a sa propre façon de travailler. Nous attendons avec impatience de voir dans quelle mesure Taranaki fera fonction d’exemple dans le cadre de notre travail syndical en faveur du climat.

Une autre difficulté sera de s’assurer de la capacité de nos réseaux en faveur du climat, mis en place à travers tout le pays, à s’auto-organiser et à s’inscrire dans la durabilité afin de ne pas dépendre des organisateur·trice·s syndicaux·ales locaux·ales ni de l’organisateur·trice communautaire pour fonctionner.

Des progrès sont en cours pour ce qui est de la constitution de réseaux climatiques dans d’autres régions du pays, notamment sur la côte est de l’île du Nord, la côte ouest de l’île du Sud (qui affiche une fière tradition de syndicalisme et d’extraction du charbon), et à Auckland, qui est de loin notre plus grande ville. En tant que ville du C40, Auckland, qui accueille un tiers de la population du pays, fait partie d’un réseau de mégalopoles mondiales engagées à collaborer, à partager les connaissances et à mener des actions significatives, mesurables et durables sur le changement climatique, y compris dans la sphère éducative.

Les répercussions du changement climatique sont aujourd’hui bien visibles. Notre qualité d’éducateur·trice·s nous imposera de prendre part à de sérieuses discussions sur la réduction des émissions, sur les transitions justes, sur l’adaptation au changement climatique, et plus encore. Sur la question du changement climatique, je suis néanmoins convaincu qu’en tant qu’éducateur·trice·s, nos membres peuvent être – et sont déjà – une incroyable puissance au service du bien au sein de leurs communautés. J’attends avec impatience de travailler à leurs côtés pour relever ces défis.

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.