Autonomie et responsabilisation des établissements scolaires de SABER affirme qu’un modèle d’autonomie en boucle fermée, l’évaluation et la responsabilisation se traduiront par une amélioration des résultats en matière d’éducation. L’article publié dans ce blog critique certaines des hypothèses sous-jacentes à ce modèle et préconise d’autres approches de la responsabilisation.
Prolongeant la précédente critique globale de l’approche systémique pour de meilleurs résultats éducatifs de la Banque mondiale (SABER), nous mettons ici l’accent sur l’autonomie et la responsabilisation des établissements scolaires (SAA). La prise en compte de l’outil SAA dans l’approche SABER ne doit surprendre personne, considérant les intenses efforts déployés par la Banque mondiale depuis plus d’une dizaine d’années pour promouvoir certaines versions de décentralisation et de responsabilisation dans l’éducation. Comme pour les autres secteurs, le SAA de SABER s’appuie sur une base sélective de données (dont un grand nombre sont financées par la Banque elle-même) afin de promouvoir cinq objectifs politiques: (1) accroitre le niveau d’autonomie dans le domaine de la planification et de la gestion du budget scolaire; (2) accroitre le niveau d’autonomie en matière de gestion du personnel; (3) développer le rôle des conseils d’établissement dans la gouvernance scolaire; (4) renforcer l’évaluation des écoles et des élèves; (5) améliorer la responsabilisation vis-à-vis des partenaires.
Ces cinq objectifs politiques ont pour concept commun de privilégier le modèle de chemin court de la responsabilité(Figure 1). Cet argument de la Banque mondiale remonte à son Rapport sur le développement dans le monde, 2004: « des services pour les pauvres ». Selon ce rapport, par le passé, les citoyen·ne·s ne pouvaient demander des comptes au secteur public qu’au moyen d’un chemin long, en votant en faveur des responsables ou des politiques préféré·e·s. Au contraire, la transition vers un chemin court de la responsabilité permet de contrôler directement les prestations de services, selon l’hypothèse que l’approche axée sur le marché permettant aux consommateurs d’exercer une interaction plus étroite et une influence plus marquée rendrait les prestataires de services (ici, les établissements scolaires et les enseignant·e·s) plus sensibles aux besoins de la clientèle (c’est-à-dire les parents et les élèves). Appliqué à l’enseignement, ce chemin court de la responsabilité est utilisé pour favoriser une décentralisation et une autonomie scolaire accrues, notamment en s’appuyant sur le modèle de gestion autonome des écoles (SBM).
Figure 1. Chemin court ou chemin long de la responsabilité (Document-cadre SAA, page 5)
Néanmoins, SABER reconnaît également que la décentralisation en tant que telle ne suffit pas: pour garantir la responsabilisation, l’autonomie a besoin de l’évaluation (le modèle en boucle fermée 3A, voir figure 2). Autrement dit, pour faire en sorte que les acteur·rice·s au sein de ce système éducatif décentralisé soient toujours responsables les un·e·s envers les autres, la Banque affirme avoir besoin de retours d’information réguliers au moyen de l’évaluation des résultats des établissements scolaires et des élèves, qui aideront les conseils d’établissement locaux à prendre les décisions budgétaires, pédagogiques et relatives au personnel. Il s’agit, bien sûr, du modèle de la « responsabilité axée sur les tests », dont il a été démontré qu’il conduisait à des résultats catastrophiques un peu partout dans le monde (pour d’autres articles du blog, voir ici, ici, et ici). Sur la base de ces exemples, nous savons que l’approche SSA de SABER consistant à « tenir quelqu’un pour responsable » à partir de résultats à des tests, avec ses lourds sous-entendus du type « c’est la faute de l’enseignant·e », peut avoir pour effet pervers d’inciter à améliorer les résultats aux tests à court terme, au détriment des résultats éducatifs à long terme et de l’intérêt public.
Figure 2. Modèle en boucle fermée 3A du SAA: Autonomie - Évaluation - Responsabilisation (Document-cadre SAA, page 7).
De fait, les enseignant·e·s demeurent les boucs émissaires et les cibles de la réglementation dans ce domaine du SAA. Par exemple, selon un indicateur intitulé « Autonomie dans la nomination et l’affectation des enseignant·e·s », un système éducatif moderne doit répondre aux critères suivants: « Les établissements scolaires (directeur·rice·s d’école, conseils d’établissement, associations de parents, etc.) ont l’autorité légale pour nommer les enseignant·e·s. Les nominations peuvent ou non être réglementées par un accord entre les syndicats et la fonction publique. » C’est un autre exemple des partis pris idéologiques qui sous-tendent SABER et de leur contribution à l’offensive systématique de la Banque mondiale contre le mouvement syndical enseignant et visant à déprofessionnaliser les enseignant·e·s.
Les informations relatives à la qualité scolaire et les résultats des élèves suffisent-elles à favoriser l’amélioration de l’enseignement? En fait, ce n’est qu’un rêve illusoire qui fait fi des relations complexes, des luttes de pouvoir et des programmes politiques qui caractérisent toujours l’enseignement et l’éducation. Les informations (qu’elles soient issues des tests ou de l’évaluation des enseignant·e·s) ne sont que l’un des nombreux facteurs qui influencent l’action des partenaires éducatifs et leurs relations mutuelles. Le SAA de SABER n’en tient pas compte. La seule référence au terme « pouvoir » renvoie au « pouvoir du client », ignorant ainsi le rôle éventuel du « pouvoir du prestataire » et du « pouvoir de l’État ». De même, il n’est pas tenu compte du fait que « la société civile » elle-même peut être fragmentée en différents groupes d’influence. La version technique et apolitique de la responsabilisation, telle que la propose SABER, ne contribue qu’à saper les responsabilités en substituant les relations économiques aux relations politiques, réduisant ainsi la capacité des parents, des élèves, des enseignant·e·s et d’autres acteurs de la société à participer aux débats publics sur l’éducation. C’est pourquoi, au sein même de la Banque mondiale, certains ont changé de position au fil du temps et ont admis que, pour que le chemin court fonctionne, le chemin long de la responsabilisation politique et démocratique doit aussi parfaitement fonctionner. Ce qui nécessite un cadre réglementaire et une capacité d’intervention publique forts, quand rien ne va plus.
La responsabilisation ne doit pas être conceptualisée de manière si étroite, si punitive. La responsabilisation concerne avant tout les relations sociales entre les différents acteurs du système éducatif – et elle peut être fondée sur la confiance plutôt que sur les évaluations, les reproches et les sanctions.
Concrètement, qui doit rendre des comptes dans le SAA de SABER? Selon les indicateurs politiques, il s’agit principalement des enseignant·e·s (et comme le reconnaît le cadre, uniquement dans les établissements publics!). Cependant, un système éducatif est un écosystème complexe d’acteurs et tous ces acteurs devraient être tenus de rendre des comptes. Le Rapport mondial de suivi sur l’éducation 2017/2018 propose un traitement bien plus pertinent de la responsabilisation que SABER. Il met l’accent non seulement sur les établissements scolaires et les enseignant·e·s, mais sur tous les acteurs de l’éducation, notamment les gouvernements, les enseignant·e·s, les parents, les acteurs du secteur privé et les organisations internationales. Soulignons que, dans le SAA de SABER, rien n’est prévu pour répondre au besoin de mécanismes de responsabilisation pour les organisations internationales, les acteurs privés à but lucratif et, plus incompréhensible encore, pour les acteurs gouvernementaux à tous les échelons. D’une certaine façon, la décentralisation et le transfert de la responsabilité des autorités gouvernementales à des acteurs décentralisés permettent à ceux qui occupent les positions les plus dominantes de se détourner de leurs propres responsabilités et de la nécessité de rendre des comptes.
Sachant que la Banque mondiale est l’une des plus grandes organisations internationales actives dans le secteur de l’éducation, je souhaiterais conclure par une question: Qui demande à la Banque mondiale et à son outil SABER de rendre des comptes?
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L’Approche systémique pour de meilleurs résultats éducatifs (SABER) de la Banque mondiale évalue les systèmes éducatifs à l’aune des « bonnes pratiques mondiales » et classent les pays selon la maturité de leurs politiques en latent, émergent, établi ou avancé. Bien que SABER existe depuis 2011, cette approche n’a pas encore fait l’objet d’une analyse critique approfondie. Cette série de billets de blog en 4 parties examine SABER, soulignant ses lacunes fondamentales tant au niveau de sa conception que de son application.
Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.