Ei-iE

« Internationale de l’Éducation: huitième Congrès mondial », par John Bangs.

Publié 22 octobre 2019 Mis à jour 30 octobre 2019
Écrit par:
Abonnez-vous à nos newsletters

Le magazine en ligne « Education Journal » a récemment publié dans son édition 385 un rapport du huitième Congrès mondial de l’Internationale de l’Éducation (IE) à Bangkok, rédigé par John Bangs, Conseiller principal de l’IE. « Education Journal » a accepté qu’il soit publié dans Mondes de l’Éducation. Il a été légèrement modifié pour s’adapter au public mondial de l’IE.

Susan Hopgood, la Présidente de l’IE, a ouvert le Congrès par un discours (littéralement) foudroyant exhortant les éducateur·rice·s à prendre l’initiative dans la lutte contre les changements climatiques. Susan Hopgood, qui occupe également le poste de Secrétaire générale de l’ Australian Education Union, a laissé parler son cœur. « Les changements climatiques sont déjà là », a-t-elle affirmé. Le niveau des mers détruit les nations du Pacifique en raison de la salinisation, des inondations et des maladies qui anéantissent les communautés et les cultures. Chaque année, au Bangladesh, sept cent mille habitants sont forcés de se déplacer à cause des inondations. Les changements climatiques, c’est une affaire personnelle. Dans son pays d’origine, ils se sont rendu compte qu’il n’existait pas de plafond fiable pour la hausse des températures. Pourtant, son gouvernement vient d’autoriser de nouvelles mines de charbon privées et a mis fin à sa contribution au travail de l’ONU sur les combustibles fossiles.

Susan Hopgood a également salué la contribution apportée par Greta Thunberg, une activiste qui lutte contre les changements climatiques. L’UNESCO elle-même a déploré l’état désastreux de la planète dans son récent Rapport mondial de suivi. Elle a déclaré que les enseignant·e·s ont la responsabilité de réfuter les mensonges proférés au sujet des changements climatiques. L’éducation au développement durable doit figurer au cœur des programmes scolaires. Grâce à la créativité, à la collaboration et à la pensée critique, les écoles pourront changer leur manière d’appréhender les causes des changements climatiques. Pourtant, alors qu’il faudrait 40 milliards de dollars supplémentaires pour réaliser l’objectif d’une éducation pour tou·te·s poursuivi par l’ONU, des centaines de milliards de dollars sont encore dépensés dans les armes. C’était un discours mémorable.

Le discours prononcé par David Edwards, le nouveau Secrétaire général de l’IE, le deuxième jour du Congrès, était tout aussi puissant. Succédant à Fred van Leeuwen, fondateur de l’IE, qui s’est retiré l’année dernière, David Edwards a présenté une vue panoramique de l’état de la profession au niveau mondial depuis le dernier Congrès de l’IE. Faisant écho à l’appel passionné d’Hopgood sur le changement climatique, il a souligné que la Confédération syndicale internationale soutiendrait la grève mondiale pour le climat du 20 septembre. « L’objectif de développement durable de l’ONU sur l’éducation est en péril », a-t-il déclaré. Aujourd’hui, 262 millions d’enfants en âge d’être scolarisé·e·s ne vont pas à l’école. D’après les projections actuelles, ce chiffre ne diminuera que de 30 millions d’ici 2030. Soixante-neuf millions d’enseignant·e·s supplémentaires sont nécessaires.

Il a rappelé que, à la suite de la campagne de l’Education pour Tou·te·s de l’IE, l’ONU s’est engagée, dans le cadre des Objectifs de développement durable (ODD), à garantir que tous les enfants sont formés par des enseignant·e·s qualifié·e·s. Une campagne parallèle visant à offrir aux personnels de soutien à l’éducation des conditions de travail décentes est désormais en cours. Les recherches de l’IE révèlent qu’il s’agit en majorité de femmes âgées entre 40 et 60 ans. Elles sont mal payées, ne peuvent pas participer à la prise de décision au sein de l’école et n’ont aucune perspective de carrière.

Saluant les progrès accomplis par l’IE au niveau de la consolidation du Sommet international sur la profession enseignante organisé avec l’OCDE, David Edwards a toutefois souligné les oppressions dont sont victimes les enseignant·e·s dans des pays comme les Philippines, la Turquie ou encore le Brésil. Il a également mis en garde contre les effets du fondamentalisme de marché sur l’enseignement public. La campagne Réponse mondiale de l’IE a été mise en place justement pour contrer l’érosion de l’enseignement public. Bridge International Academies illustre cette situation. Ils cherchent à remplacer les écoles publiques par des activités à but lucratif, privatisées et bon marché. Au Kenya, par exemple, le Kenyan National Union of Teachers, soutenu par l’IE, a réussi à convaincre le gouvernement de bloquer l’expansion de ces écoles non accréditées.

David Edwards a par ailleurs salué l’accord entre l’IE et l’UNESCO relatif à un ensemble de normes professionnelles pour les enseignant·e·s qualifié·e·s. La défense du statut des enseignant·e·s est la mission principale de l’IE.  La numérisation de l’enseignement et la création d’enseignant·e·s robots représentent de véritables menaces qu’il faut combattre. Evoquant le thème du Congrès, « Les enseignant·e·s prennent l’initiative », David Edwards a conclu en affirmant: « Nous sommes celles et ceux que nous attendions ». Ces deux discours ont donné un avant-goût du reste du Congrès. Ils ont introduit une motion forte invitant l’IE à soutenir les syndicats d’enseignants dans leur lutte pour la préservation l’enseignement public. Marlis Tepe, Présidente du principal syndicat d’enseignants allemand, a remarquablement rappelé au Congrès que les syndicats d’enseignants représentaient souvent les plus grandes communautés démocratiques. Elle comprend qu’il soit difficile de « garder la tête haute sous un régime fasciste ». C’est ce que lui a enseigné l’histoire de son propre pays. Elle a continué en affirmant que la montée de l’AfD ne l’intimidera pas.

Une motion soutenue par les syndicats d’enseignants des Caraïbes sur la préparation et la réponse face aux catastrophes a suivi. Leurs communautés ont été victimes des pires tempêtes de leur histoire. Ils ont remercié l’IE de son aide dans le redressement de leur système éducatif et ont appelé à une augmentation du fonds de développement de l’IE. Ce qui les préoccupe véritablement, c’est la réaction des gouvernements, qui ont vu les tempêtes comme une occasion pour externaliser le rétablissement de leur éducation après les catastrophes.

Patrick Roach, de la NASUWT, et Larry Flanagan, de l’EIS, ont rassemblé une écrasante majorité en faveur d’une motion pour le Bureau exécutif appelant à la mise en place d’un cadre mondial conjoint IE/UNESCO sur les normes d’enseignement. Il s’agit d’un développement sans précédent pour l’IE étant donné que, avec le soutien de l’ONU, elle a été capable de contribuer à la promesse de l’Objectif de de développement durable de l’ONU de garantir que tous les enfants sont formé·e·s par des enseignant·e·s qualifié·e·s.

Le Congrès a discuté d’un très grand nombre de motions sur des sujets aussi variés que la lutte contre la violence et le harcèlement sexuels, la protection des enfants de réfugié·e·s et de migrant·e·s, ou encore le renforcement du contrôle de la profession sur l’utilisation des technologies et de l’intelligence artificielle au sein des écoles.

Ce qui est frappant, c’est la manière dont le prisme de la démocratie a éclairé un grand nombre de motions et débats. Le Congrès a adopté à l’unanimité une motion d’urgence condamnant l’attaque de Donald Trump à l’égard des quatre femmes non blanches élues récemment en tant que membres de la Chambre des représentants des États-Unis, leur demandant de rentrer chez elles. Comme l’a dénoncé Randi Weingarten, la Présidente de l’AFT, les diatribes racistes de Donald Trump donnent raison aux dictateur·rice·s du monde entier et laissent ainsi aux éducateur·rice·s le soin de réparer les dégâts. Rebondissant sur ses propos, Lily Eskelsen, la Présidente de la NEA, a expliqué en détail les raisons pour lesquelles les allégations du président Trump affirmant qu’il n’est pas raciste sont mensongères. Selon Lily Eskelsen, Donald Trump ne s’oppose pas aux migrant·e·s, mais seulement aux migrant·e·s de couleur. Elle a promis que les syndicats d’enseignants aux États-Unis redoubleront leur efforts afin de remplacer Donald Trump en 2020, « en luttant en faveur de nos écoles publiques et de nos idéaux démocratiques; et en élisant un dirigeant qui fera la fierté de nos étudiants et éducateurs ».

Concrétisant ce raisonnement, Fred van Leeuwen, l’ancien Secrétaire général de l’IE, a publié un livre coécrit par Susan Hopgood, intitulé « Éducation et démocratie: 25 leçons de la profession enseignante », offert à chaque délégué·e.

Maria Ressa, une journaliste philippine élue personnalité de l’année 2018 par le Time et qui, avec ses collègues, a fait l’objet de menaces de mort incessantes avec la bénédiction du Président Duterte, a été accueillie par une ovation tonitruante. Duterte a inventé le terme « presstitute » (« presstitué ») pour décrire les journalistes qui se montraient critiques à son égard. Sans la moindre démagogie et avec une pointe d’humour, elle a impitoyablement traqué les sources des médias sociaux consacrés à la promotion de fausses nouvelles et a prouvé leur lien avec des sites populistes d’extrême droite aux États-Unis et des sites en Russie et au Brésil. Un mensonge répété des dizaines de fois, devient une vérité, a-t-elle déclaré. Si on veut détruire l’essence même de la démocratie, on s'attaque aux faits. « Comment réagir pour empêcher cela? » a-t-elle demandé. Le courage est communicatif. Il faut commencer par nos domaines d’influence. L’éducation joue un rôle essentiel dans l'enseignement du respect de la vérité. Le discours de Maria Ressa a été époustouflant.

La réussite ou l’échec d’une réorientation vers des programmes scolaires qui favorisent l’enseignement de la démocratie et du changement climatique dépendra de l’IE et de ses membres. L’efficacité de la campagne menée par l’IE contre la privatisation de l’éducation prouve que ses campagnes mondiales fonctionnent.

Le Congrès de l’IE est un événement extraordinaire et unique. Il est frappant de constater le nombre de points communs que partagent les enseignant·e·s du monde entier. Il n’y avait pas de meilleure façon de le prouver qu’en clôturant le Congrès par la performance d’une chorale scolaire thaïlandaise extrêmement talentueuse et d’un groupe de musique improvisé, avec Lily Eskelsen de la NEA et David Edwards de l’IE, scandant la chanson des Beatles « All you need is love »!

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.