En Amérique latine, les femmes ont atteint des niveaux de participation politique sans précédent jusqu'à récemment, avec l'élection de femmes à la présidence de plusieurs pays. Dilma Rousseff au Brésil (2011-2016), Cristina Kirchner en Argentine (2007-2015) et Michelle Bachelet au Chili (2006-2010 et 2014-2018) ont toutes été élues présidentes au cours de deux mandats. Toutes sont des militantes de partis politiques au long parcours et liés aux revendications populaires, issus des luttes contre les dictatures qui ont secoué plusieurs pays d'Amérique latine au cours des années 60, 70 et 80 du siècle dernier. Au Costa Rica, une autre femme élue par la volonté souveraine du vote populaire, Laura Chinchilla (2010-2014), liée aux oligarchies locales, a également fait partie de ces femmes à des postes de pouvoir très importants et qui ont réalisé des changements législatifs encore plus importants.
Toutes ces élections sont le résultat d'un processus de participation politique féminine de longue date à la vie publique dans ces pays. Ce processus a élargi la participation au-delà de la sphère domestique et familiale, tâches traditionnellement assignées de manière naturelle aux femmes. Ce phénomène a représenté une avancée considérable sur un continent marqué par le machisme.
Dans ce nouveau cadre social de participation politique accrue des femmes, et également en tant que moteur, les femmes dirigent des mouvements sociaux divers et intenses dans la région. Au Brésil, le mouvement Ele não!(Pas lui!), qui manifeste contre Jair Bolsonaro, est devenu la plus grande mobilisation de femmes de son histoire. Lors du deuxième tour des dernières élections présidentielles de 2018, ce mouvement a rassemblé des millions de femmes de toutes les villes du pays. Pendant la campagne électorale, Bolsonaro a publiquement affirmé que « les femmes devraient gagner moins que les hommes parce qu'elles tombent enceintes », même si elles occupent et exercent les mêmes fonctions dans leur travail. Aujourd'hui, l'actuel dirigeant brésilien n'a aucun égard, même envers sa fille, déclarant publiquement qu'après avoir eu quatre fils, sa fille unique était le résultat d'un « moment de faiblesse ».
Le mouvement qui a rendu visible la lutte des femmes est descendu dans la rue pour exiger des politiques et des budgets publics qui évitent les féminicides tout en mettant le débat du machisme sur le tapis. En Argentine, le mouvement Ni una Menos(Pas une de moins) a réuni des femmes pour revendiquer des droits et se doter de lois visant à défendre leur vie contre la vague croissante de féminicides. Ce mouvement est venu défendre avec véhémence le droit des femmes à l’interruption de grossesse non désirée et a inspiré des mouvements similaires au Brésil, au Chili, au Costa Rica, au Mexique et au Pérou. En Amérique latine, les mouvements féministes populaires jouent un rôle prépondérant en raison de leur combativité dans les rues et de leur capacité à imposer une thématique publique de défense des droits. Cette vague croissante de participation des femmes à la vie politique des pays de la région est le fruit de nombreuses années de lutte. Au Brésil, avant le mouvement Ele não! et même avant l'élection de la première femme à la présidence de la République, nous pouvons citer dans tous les secteurs sociaux des exemples de femmes luttant pour leurs droits. Dans le contexte de la lutte paysanne, nous avons eu l'exemple de Margarida Alves, syndicaliste et défenseuse des droits humains, l’une des premières femmes à occuper un poste de direction dans un syndicat, qui a été brutalement assassinée en 1983. Même aujourd'hui dans notre pays, une manifestation d'ouvrières rurales brésiliennes appelée Marcha de las Margaridas a lieu chaque année, en référence à la dirigeante assassinée, dont le nom en portugais représente la belle fleur blanche et jaune du même nom. Dans sa lutte pour la terre et l'environnement, Dorothy Stang, connue sous le nom de Hermana Dorothy (Sœur Dorothy), missionnaire religieuse américaine nationalisée brésilienne, a été assassinée à Anapu (Etat de Para) en 2005. Dès son arrivée dans la région amazonienne dans les années 1970, elle s’était donnée pour mission de protéger l'environnement contre l'exploitation forestière illégale en Amazonie. Après onze mois, le meurtre brutal de Marielle Franco, conseillère de la deuxième plus grande ville du Brésil, reste impuni. L'assassinat toujours obscur de la fière opposante des abus de la police et critique de l'intervention du gouvernement fédéral dans la sécurité publique à Rio de Janeiro, est lié au crime organisé qui opère depuis des années à Rio de Janeiro et à sa défense intransigeante des droits humains.
Le mouvement syndical brésilien a toujours eu un impact dans tous ces cas, exigeant des enquêtes de la part des autorités publiques et rappelant les exploits de ces grandes combattantes sociales et défenseuses des droits humains dans notre pays. Les exemples cités ne reflètent pas l'immense participation des femmes dans tous les secteurs de la vie sociale et politique. Le Brésil, qui était jusqu'à récemment un pionnier en matière de défense des femmes, en adoptant un cadre juridique pour mettre fin à la violence domestique contre les femmes, a mis en place un secrétariat d'Etat spécial pour les politiques de la femme et du genre dès l'époque du gouvernement du président Luís Inácio Lula da Silva. Cette institution est actuellement dirigée par une ministre d’Etat nommée par les secteurs les plus réactionnaires des églises fondamentalistes évangéliques qui, de manière contradictoire, utilise un discours public moral et religieux pour aborder des questions aussi importantes de politique publique.
Afin de créer une résistance sociale au plus fort du moment politique que vit le pays, le mouvement syndical brésilien doit promouvoir et créer des mécanismes de participation politique des femmes. Par exemple, la Confederação Nacional dos Trabalhadores em Educação(CNTE/Brésil), une organisation syndicale au sein de laquelle je milite activement, a pris pour principe, depuis notre dernier Congrès, la participation égale des femmes au sein de notre direction. Il est fondamental que, dans un secteur composé principalement de femmes, notre direction syndicale reflète cette réalité. De cette manière, il est possible de promouvoir notre participation politique dans un monde dominé par la misogynie et le machisme. Comme l'a affirmé Marielle Franco, « les roses de la résistance poussent sur l'asphalte. Même si nous recevons des roses, nous garderons les poings fermés et maintiendrons notre position contre les pouvoirs en place et les forces qui nous gâchent la vie. »
Ce blog fait partie d’une série spéciale publiée à l’occasion de la célébration de la journée internationale des femmes 2019 et qui met en avant les questions de genre et d’éducation, en lien avec le thème et les sous-thèmes du 8èmecongrès mondial de l’Internationale de l’Education qui se tiendra du 19 au 26 juillet 2019 à Bangkok, en Thailande.
Lire le blog précédent de la série : « Une démarche soucieuse d’équité entre les genres fait partie intégrante des projets de l’IE sur le travail des enfants ‘Quitter le travail et aller à l’école’», par Nora Wintour.
Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.