
Haldis Holst est la Secrétaire générale adjointe de l’Internationale de l’Éducation et elle supervise le travail de l’IE en matière d’égalité. En tant qu’enseignante, dirigeante syndicale et féministe, Haldis a défendu les droits des femmes dans et par l’éducation et les syndicats de l’éducation, œuvrant à tous les niveaux, des petites collectivités de sa Norvège natale aux Nations Unies.
En amont de la 69e Session de la Commission de la condition de la femme des Nations Unies (CSW) et du 30e anniversaire de la Déclaration et du Programme d’action de Pékin, nous avons interrogé Haldis sur ses réflexions concernant des décennies de militantisme qui nous ont amené·es là où nous sommes aujourd’hui et sur les défis qui nous attendent.
Mondes de l’Éducation : Quelle a été votre première expérience de la CSW et pourquoi continuez-vous à vous y rendre ? Comment cette Commission a-t-elle évolué au fil des ans ?
La première fois que j’ai participé à la CSW, c’était en mars 2013, l’année où j’ai commencé à travailler pour l’Internationale de l’Éducation. Je pense que la chose la plus remarquable, pour cette première fois, c’était de me retrouver dans l’énorme métropole qu’est New York et de voir toutes ces femmes et ces filles du monde entier marcher dans les rues, assister à des événements, discuter et débattre. Cela dégageait une telle énergie. C’est pour cela que je continue à y aller : parce que la CSW est une gigantesque communauté de femmes et de filles, et d’hommes également, avec des avis et des expériences de vie si différentes. Un peu comme New York l’est aussi, cette communauté de militantes et militants est un melting-pot, et nous sommes toutes et tous focalisé·es sur une seule question : faire avancer les droits des femmes.
Bien évidemment, il y a des obstacles à la participation, en particulier en ce qui concerne l’obtention de visas américains et le coût du voyage à New-York. Pour certain·es d’entre nous, il est facile d’être des citoyennes et citoyens du monde et de franchir les frontières, mais nous ne devons pas oublier que ce n’est pas le cas de tout le monde. De nombreuses personnes doivent planifier leur voyage des mois à l’avance, et se rendre dans un autre pays pour passer un entretien en vue de l’obtention d’un visa qui leur est parfois refusé. Cela a été porté à l’attention d’ONU Femmes et l’équipe a été très coopérative en envoyant des lettres d’invitation et en aidant au mieux de ses capacités. Nous faisons également de notre mieux pour soutenir nos membres afin de leur permettre de se rendre à New York et de participer à la CSW mais nos ressources sont limitées.
C’est toujours particulier d’aller aux Nations Unies. L’ONU est une institution tellement importante pour l’ensemble de l’humanité et m’y trouver me remplit d’un certain optimisme. Ouvrir le siège des Nations Unies aux personnes ordinaires et pas seulement aux chef·fes d’État, mais à des militantes du monde entier représentant les femmes dans toute leur diversité est beau à voir et à vivre. C’est comme si le monde se rassemblait de la façon la plus constructive, avec un objectif commun et une mission commune.
Au fil des ans, nous avons discuté de différents thèmes et les années où nous nous sommes concentré·es sur l’éducation ont été particulièrement pertinentes pour nous en tant qu’Internationale de l’Éducation. Mais nous trouvons toujours des aspects qui sont pertinents et intéressants pour nous, en tant que femmes syndicalistes de l’éducation.
Les sessions de la CSW sont également pour nous une excellente occasion de passer du temps avec nos sœurs syndicalistes. Nous nous présentons toujours comme une délégation syndicale mondiale représentant des travailleuses du monde entier. Nous avons des réunions d’information, nous assistons à des événements ensemble, nous échangeons et nous débattons. C’est un formidable sentiment de sororité.
Modes de l’Éducation : Pourquoi est-il important que les femmes leaders se réunissent et qu’avez-vous appris en échangeant avec des collègues en dehors des réunions officielles ?
Les femmes leaders, comme tous les leaders, doivent se créer un réseau. Vous ne pouvez rien faire seule. La CSW est l’occasion d’être ensemble au même endroit et c’est d’autant plus important que très souvent, occuper une fonction de leader peut être un exercice très solitaire. Se trouver dans un nouvel endroit avec de nouvelles personnes vous ouvre une perspective différente et vous donne la chance de trouver du soutien et de soutenir les autres.
Qu’il s’agisse d’un événement officiel ou non, d’une conversation autour d’un café ou de quelqu’un qui commence à vous parler dans la rue parce qu’il a vu votre badge de la CSW, ce sont ces interactions qui font de la Commission une source d’énergie et d’inspiration et qui la rendent absolument unique.
De plus, il y a tellement d’événements qui se déroulent que vous devez vous forcer à sortir de votre zone de confort et à apprendre quelque chose de nouveau ou à trouver une nouvelle perspective. J’ai un souvenir très vivace d’être allée à un événement sur les Peuples autochtones organisé par la mission finlandaise à New York. J’y ai entendu une jeune femme parler des droits du peuple Sami, qui sont des pêcheurs de rivière. Je viens de Norvège, où les Samis sont un peuple autochtone et je n’avais aucune idée qu’il existe un groupe de Samis se faisant appeler les « Pêcheurs de rivière ». Je connaissais les « Gardiens de rennes » et les Samis de la côte, mais ce groupe était entièrement nouveau pour moi. J’étais extrêmement choquée de mon manque de connaissances, mais j’étais très heureuse d’apprendre de nouvelles choses. Souvent vous sortez de ces événements en ayant l’impression que vous êtes investie d’une mission et que vous avez quelque chose que vous voulez défendre.
La CSW vous sort de votre bulle et vous révèle ce monde immense qui est une source d’inspiration et de motivation. Mais vous pouvez aussi créer votre propre bulle. Une année, alors que nous étions à New York, Manhattan a connu une tempête de neige et tout était fermé. Le siège des Nations Unies était fermé, ils ne pouvaient pas dégager les rues et nous étions coincées dans notre hôtel. C’est ainsi que les 20 femmes de la délégation se sont rassemblées et nous avons eu un séminaire spontané. Nous avons chacune raconté notre histoire, posé des questions et échangé des conseils et des expériences. C’est extrêmement précieux tout ça, nos récits. C’est comme cela que nous voyons des points communs, les défis que des régions différentes et des continents éloignés partagent et aussi notre détermination, notre engagement et notre solidarité. Abattre des barrières et créer des connexions a été une manière fantastique d’attendre la fin d’une tempête de neige. Nous en avons tiré le meilleur parti.
Mondes de l’Éducation : Pourquoi pensez-vous qu’il est important que les syndicalistes de l’éducation assistent à la session de la CSW ?
Il est absolument essentiel que l’Internationale de l’Éducation et nos membres soient présents à la CSW. La majeure partie de nos 33 millions de membres sont des femmes et nous avons pour mandat de défendre et de promouvoir leurs droits au niveau mondial. Les droits humains et les droits des femmes sont au cœur de nos valeurs et de notre mission.
En outre, parmi les sujets traités au sein de la CSW, nombreux sont ceux qui concernent le monde du travail et qui sont extrêmement pertinents pour les travailleurs et travailleuses de l’éducation. En tant que syndicats, nous devons être présents pour faire entendre la voix des femmes qui font exister l’éducation dans le monde.
Mondes de l’Éducation : Quelles sont les principales revendications des syndicats en se rendant à la 69e session de la Commission de la condition de la femme ?
Cette année, les conclusions adoptées seront différentes parce que nous allons nous pencher sur les 30 dernières années. Plutôt que la déclaration ciblée habituelle, nous allons adopter une déclaration très large qui tentera de brosser un tableau complet. Nous allons collaborer avec nos alliés pour nous assurer que les points importants soient mentionnés, notamment le droit à une éducation publique gratuite, un lieu de travail exempt de violence et de harcèlement et un dialogue social constructif. Ces négociations seront difficiles parce que certains sujets sont controversés, en particulier tout ce qui concerne les droits reproductifs et l’identité de genre.
En tant qu’Internationale de l’Éducation, nous savons que l’égalité des genres requiert une éducation inclusive de qualité pour tous et toutes. Nous plaidons pour que les gouvernements fassent en sorte que toutes les femmes et les filles aient accès, sur un pied d’égalité, à une éducation et à un apprentissage tout au long de la vie gratuits, inclusifs et de qualité, indépendamment de leur identité de genre et de leur orientation sexuelle, de leur race, de leur origine ethnique, de leur handicap ou de leur statut de migrantes.
Nous réclamons des salaires compétitifs, des conditions de travail équitables et le développement professionnel continu des personnels enseignants. N’oublions pas que l’enseignement est une profession dominée par les femmes dans de nombreuses parties du monde et que la profession est le facteur le plus important pour parvenir à une éducation de qualité. La pénurie mondiale d’enseignantes et d’enseignants doit être résolue en appliquant les recommandations des Nations Unies pour une profession enseignante forte et résiliente.
Et nous lançons également un appel aux gouvernements pour qu’ils collaborent avec les personnels de l’éducation et nos syndicats afin de mettre fin à la violence sexiste en milieu scolaire et de ratifier et d’appliquer pleinement la Convention 190 de l’Organisation internationale du travail pour un monde du travail exempt de violence et de harcèlement.
La Déclaration de Beijing+30 doit également mettre en évidence le lien entre l’égalité des genres et une paix durable. Les femmes qui vivent dans des zones de conflit doivent être protégées, les écoles doivent rester sûres et le personnel enseignant doit être soutenu. Un financement adéquat est nécessaire pour assurer la participation des femmes aux efforts de paix et aux services de première ligne. Et après la guerre, les débouchés économiques et un travail décent sont essentiels à la stabilité de l’après-conflit.
Mondes de l’Éducation : Quel est le rôle de la communauté et des réseaux dans le mouvement féministe et, en particulier, pour faire avancer les droits des femmes dans les syndicats de l’éducation ?
Si vous voulez avancer, vous devez vous organiser de la base au sommet. Vous ne pouvez pas changer le monde toute seule. C’est là qu’intervient la création d’une communauté et d’alliances. Cela vaut à la maison, dans nos syndicats et dans le monde extérieur, dans des endroits comme la CSW.
Au sein de l’Internationale de l’Éducation, les réseaux des femmes sont une stratégie et un outil pour faire avancer les droits des femmes dans nos syndicats. Nous avons des réseaux de femmes très solides au niveau régional et infrarégional en Afrique, en Asie-Pacifique et en Amérique latine. Ces réseaux sont des sources importantes de dynamisme et de puissance lorsqu’ils sont reliés à des structures décisionnelles. Nous devons toujours veiller à ne pas utiliser les réseaux et comités de femmes, ou les événements organisés par des femmes, pour en faire un symbole ou cocher une case.
À l’échelle mondiale, en tant que fédération syndicale, il est essentiel que nous établissions une communauté et des alliances. Au sein de la CSW, nous joignons toujours nos forces à celles d’autres syndicats mondiaux et nous présentons un front commun en tant que délégation syndicale unique parlant pour toutes les travailleuses du monde. Ensemble, nous sommes plus représentatives et nous pouvons nous exprimer en faisant autorité sur différents secteurs et sujets. Aucune de nous ne peut le faire seule, mais lorsque nous nous unissons, nous sommes tellement plus fortes.
Mondes de l’Éducation : Depuis vos débuts en tant qu’enseignante et par la suite au sein de notre syndicat, quels progrès constatez-vous et quels sont les défis qui restent à relever ?
J’ai commencé ma carrière d’enseignante en 1983, ce qui me donne un certain recul. Il est très facile de se fixer sur le moment présent et de ne voir que tous les problèmes et tout ce qui nous reste à faire. Mais je pense qu’il est très intéressant d’adopter une perspective à plus long terme et de réfléchir au chemin parcouru. Je regarde en arrière et je vois tous les progrès réalisés au cours de ma vie, et même avant, nous avons réalisé tellement de choses.
Il n’y a pas si longtemps, les femmes se battaient pour le droit de vote. Dans mon pays, les enseignantes et leur syndicat étaient à la tête de ce mouvement et il a fallu du temps et beaucoup de travail et de détermination pour y arriver. La présidente du syndicat des enseignantes était la première femme élue au Parlement. La Norvège est l’un des premiers pays où les femmes ont obtenu le droit de vote et notre profession a participé à cette victoire. C’est donc quelque chose dont nous sommes très fie·ères.
Il en va de même de mon expérience personnelle. J’ai commencé ma carrière comme professeur d’éducation physique dans un petit village de pêcheurs du nord de la Norvège. Je me souviens qu’à l’époque il était très rare de laisser des filles jouer au football, faire de la lutte ou du saut à ski en compétition. Lorsque les filles ont été progressivement autorisées à participer et à concourir, cela a été une révolution. Le changement prend du temps, et il faut de la persévérance et de la patience pour faire évoluer les mentalités et les traditions. Aujourd'hui, il n'y a pratiquement plus aucun sport interdit aux femmes, et c'est un progrès.
Il en est de même dans le monde du travail. Le nombre de femmes qui travaillent a augmenté de manière spectaculaire ces dernières décennies et c’est synonyme d’indépendance financière et d’une plus grande liberté pour des centaines de millions de femmes.
Et nous voyons des progrès dans nos syndicats également. Plus de femmes que jamais auparavant occupent des postes élevés et représentent notre profession. Par rapport à 1983, il y a bien plus de femmes directrices d’école aujourd’hui.
Nous devons toujours nous rappeler que le progrès prend du temps et nous devons apprécier toutes nos victoires, petites ou grandes. Bien sûr, le progrès n’est pas le même dans tous les pays et il n’est pas linéaire, il ne suit pas toujours une courbe ascendante. Il y a des reculs et des obstacles. Mais nous ne devons pas perdre espoir et nous devons continuer à y croire et à faire pression pour avancer dans la bonne direction. Nous ne pouvons pas perdre de vue l’énorme chemin parcouru.
Dernièrement, je regardais une série sur la Présidente islandaise, Vigdís Finnbogadóttir. En 1980, elle est devenue la première femme au monde à être démocratiquement élue Présidente d’un pays. C’était il y a tout juste 45 ans. Elle était mère célibataire et enseignante et, bien sûr, elle a connu beaucoup d’obstacles. Elle a remporté l’élection présidentielle de justesse, mais elle a été réélue pour des mandats successifs pendant 16 ans au total. Depuis, de plus en plus de femmes ont été élues. Les progrès sont indéniables.
Les examples sont essentiels parce qu’ils nous montrent ce qui est possible. Lorsque nous atteignons un poste de pouvoir, il ne s’agit pas seulement de nous, il s’agit aussi de celles qui nous ont ouvert la voie et de celles qui suivront nos traces parce qu’elles en ont la capacité et confiance en elle-même de pouvoir le faire.
Mondes de l’Éducation : Récemment, la contestation du féminisme et d’autres mouvements en faveur de la justice sociale ont gagné du terrain sur le plan politique. Comment le mouvement peut-il faire en sorte que les avancées ne soient pas perdues et que nous continuions à aller de l’avant malgré les défis ?
Ce n’est pas la première attaque contre l’égalité des genres et ce ne sera pas la dernière. C’est cyclique : nous obtenons quelque chose et puis il y a une régression. Il est facile de comprendre pourquoi : nous nous battons pour occuper l’espace, pour prendre le pouvoir, mais cet espace est déjà occupé. Personne ne veut être poussé dehors, donc il y a un retour de bâton. C’est une réaction automatique.
Les hommes et les garçons peuvent se sentir menacés et avoir des difficultés à concevoir leur rôle au fur et à mesure que les choses changent. Nous devons leur parler et aborder leurs préoccupations afin qu’ensemble, nous puissions changer les rôles de genre traditionnels qui sont toxiques pour tout le monde, hommes et femmes confondu·es. Nous devons le faire sans céder de terrain en termes d’égalité des droits. Nous ne pouvons pas nous contenter d’un pouvoir symbolique, d'un symbole ou de nous entendre dire ce que nous devrions être et faire. Il est évident que les réseaux sociaux et les bulles ou les silos qu’ils créent rendent la communication difficile, mais cela signifie simplement que nous devons constamment adapter nos stratégies. Il n’y a pas d’autre solution que d’avancer.
En tant que militantes, nous voulons du changement aussi rapidement que possible. La force de nos valeurs nous rend tellement déterminées et engagées, qu’elle peut aussi nous rendre impatientes. Mais nous devons faire preuve de patience et nous rappeler que tout au long de l’histoire, les choses n’ont jamais été simples. Ce combat pour les droits des femmes est un marathon, pas un sprint.
Nous devons garder le moral, maintenir l’espoir et je trouve que créer une communauté avec d’autres femmes et des alliés est une grande aide. Ne soyez pas seule et regardez autour de vous si vous pouvez soutenir quelqu’un. Et n’oubliez jamais que la patience n’est pas synonyme de renoncement ; la patience, c’est l’endurance. Ensemble, nous persévérons.
Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.