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Remédier à la pénurie d’enseignantes et enseignants – un impératif mondial

Publié 23 janvier 2025 Mis à jour 23 janvier 2025
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Le rapport mondial 2024 sur la condition du personnel enseignant met en lumière une dure réalité : la crise suscitée par les pénuries d’enseignantes et enseignants a de profondes implications pour les systèmes éducatifs de nombreux pays. S’appuyant sur les observations de 204 syndicats de l’enseignement répartis dans 121 pays, le rapport donne un aperçu des défis et opportunités auxquels la profession est actuellement confrontée.

Une des principales conclusions du rapport, établie sur base des observations des syndicats, est le caractère généralisé de la pénurie d’enseignant·e·s à tous les niveaux d’enseignement, avec des déficits particulièrement marqués dans l’éducation spécialisée, dans les disciplines de la science, des technologies, de l’ingénierie et des mathématiques (STIM), ainsi que dans l’enseignement secondaire, dans nombre de pays. Cette crise est vue comme résultant non seulement d’un recrutement insuffisant, mais aussi de taux d’attrition alarmants. Ils considèrent que l’inadéquation des salaires et des indemnités représente le facteur le plus important à l’origine de ces pénuries. Parmi les autres facteurs, citons une progression de carrière limitée, des pratiques de gestion inefficaces, des charges de travail excessives et une faible valorisation de la profession — autant de défis ancrés dans la problématique générale de statut peu valorisé de la profession enseignante dans de nombreux pays.

Dans un grand nombre de pays, les syndicats signalent que les enseignants ne disposent ni de l'autorité ni de l'influence nécessaires pour prendre part à la formulation des politiques et des décisions affectant leur activité professionnelle. Les syndicats mettent en lumière l’exclusion fréquente des enseignant·e·s des processus décisionnels qui exercent pourtant une incidence directe sur leur travail, en particulier au niveau des districts ou des États et à l’échelle nationale. Ils soulignent également la faiblesse des partenariats entre les enseignant·e·s, leurs représentant·e·s et les gouvernements, qui tend à réduire l’influence des enseignant·e·s sur les questions professionnelles et politiques revêtant une importance décisive au regard de leur activité et du système éducatif au sens large. Dans certains pays, les syndicats signalent que les enseignant·e·s sont confronté·e·s à des restrictions de leurs droits fondamentaux, tels que la liberté d’expression et la capacité de s’organiser, ce qui compromet davantage encore leurs capacités de plaidoyer en faveur de changements significatifs.

Bien que le caractère essentiel de la contribution de la profession enseignante à la société soit largement reconnu, les syndicats évoquent une sous-valorisation fréquente de la profession par rapport à d’autres, la filière étant perçue comme un choix de carrière peu attrayant pour les jeunes générations. Selon les syndicats, les conditions de travail difficiles – y compris la charge de travail excessive, les classes surpeuplées, le manque de respect et les problèmes de santé mentale – amplifient le problème. Ces problèmes systémiques sont souvent négligés par les gouvernements, ce qui aggrave encore les expériences négatives des enseignant·e·s et contribue à la pénurie mondiale dans la profession.

Malgré les défis évoqués, le rapport précise néanmoins que le phénomène n’est pas pour autant universel et il met en évidence des exemples de stratégies efficaces de rétention élevée qui ont permis de remédier à des pénuries d’enseignantes et enseignants. Dans certains pays d’Asie de l’Est et d’Europe du Nord, le corps enseignant bénéficie d’un statut professionnel plus élevé ainsi que d’un plus grand respect, d’une reconnaissance accrue et d’un meilleur accès à la formation professionnelle. Les enseignants y sont perçus comme des « bâtisseurs de la nation », et ces pays investissent de manière conséquente dans leur rémunération, dans leur développement professionnel et dans leurs conditions de travail. Ces mesures contribuent à des taux de rétention plus élevés et à de meilleurs résultats scolaires, ce qui démontre qu’il est possible de faire évoluer le système en adoptant des politiques volontaristes et en s’appliquant à valoriser les enseignant·e·s.

Il convient de noter que les systèmes éducatifs dans lesquels les enseignant·e·s bénéficient d’un statut élevé accordent la priorité à des salaires décents, au respect du corps enseignant et aux possibilités de formation professionnelle. Dans des régions comme l’Europe du Nord, le corps enseignant bénéficie également d’une charge de travail raisonnable, d’une autonomie professionnelle, d’effectifs moins importants en classe et d’un degré de confiance élevé. En favorisant des environnements propices, ces pays ont créé les conditions qui permettent aux enseignant·e·s d’exercer leur activité avec succès et de rester dans la profession. Cependant, ce tableau contraste fortement avec les conditions observées dans de nombreuses autres régions du globe, où les charges de travail excessives, les classes surpeuplées et le manque d’attention portée aux besoins émotionnels et professionnels des enseignant·e·s contribuent au stress, à l’épuisement professionnel et à la désillusion. Cette disparité souligne la nécessité d’une réforme systémique dans les pays où l’enseignement n’est pas apprécié à sa juste valeur.

Au-delà des conditions de travail et du statut professionnel au niveau individuel, les syndicats se font l’écho des préoccupations plus générales des enseignant·e·s à l’égard des systèmes éducatifs dans lesquels ils opèrent. Le rapport souligne leur attachement à assurer l’équité de ces systèmes, plaidant pour une répartition équitable des ressources et l’accès effectif des élèves marginalisés, y compris celles et ceux qui sont en situation de handicap, issus de l’immigration ou de milieux socio-économiquement défavorisés. Les enseignant·e·s expriment également leur inquiétude face à la privatisation croissante de l’enseignement, qui menace d’exacerber les inégalités en favorisant certains élèves au détriment d ’autres. Le rapport met en évidence deux conséquences clés de la privatisation, susceptibles de porter atteinte à l’équité et de mettre au défi la profession : en détournant des ressources essentielles et des enseignant·e·s de qualité des écoles publiques, elle creuse le fossé entre enseignement privé et enseignement public ; elle promeut en outre des priorités axées sur le profit, qui priment sur le caractère inclusif et la qualité de l’enseignement. Ainsi, les disparités s’en trouvent renforcées, ce qui prive les enseignant·e·s du secteur public de ressources suffisantes et les oblige à assurer de manière disproportionnée l’encadrement des élèves marginalisés et défavorisés.

Le rapport souligne que, face aux défis qui les attendent, les enseignant·e·s et leurs syndicats aspirent vivement à jouer un rôle plus actif dans la définition des cadres de gouvernance, des programmes d’études ainsi que des cadres d’évaluation qui déterminent leur travail et l’apprentissage des élèves. Fort·e·s de leur expertise en matière éducative, les enseignant·e·s sont particulièrement bien placé·e·s pour comprendre les défis auxquels la profession est confrontée et pour contribuer aux réformes qui leur donneront les moyens d’agir et d’exceller dans leur rôle. Comme en témoignent les innovations introduites par les enseignant·e·s durant la pandémie, la profession est capable de proposer des solutions tournées vers l’avenir. Mais nombre de systèmes sont revenus à des normes dépassées au lieu de capitaliser sur cette créativité. À l’avenir, les gouvernements doivent rallier les enseignant·e·s et leurs syndicats au sein de partenariats constructifs, en abordant non seulement la question de la rémunération et des conditions de travail, mais aussi les questions fondamentales d’équité, de conception des programmes d’études et de réforme systémique.

Le rapport appelle à une action mondiale pour remédier à ces problèmes systémiques, exhortant les responsables politiques à investir en priorité dans les conditions de travail des enseignant·e·s et à revaloriser le statut de la profession, afin de garantir une éducation équitable et de qualité pour toutes et tous. En abordant ces défis collectivement, la profession enseignante peut devenir un pilier durable et respecté de la société.

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.