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Les syndicats de l’éducation débattent des avantages et risques du financement externe de projets

Publié 9 décembre 2024 Mis à jour 20 décembre 2024
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Dans plusieurs pays, de récentes évolutions ont mis en lumière la situation précaire des organisations qui dépendent de financements externes dans le domaine de la coopération syndicale internationale. Ces évolutions s’accompagnent d’élections et d’inflexions politiques capables de détruire des décennies de collaboration financière entre syndicats et donateurs.

Dans ce contexte, l’Internationale de l’Éducation (IE) a tenu un « Café de la coopération au développement. Des partenaires de coopération au développement sont réunis pour discuter des avantages et inconvénients du financement externe de projet. Les participant·e·s ont partagé leurs connaissances, fait le point sur les diverses situations et exploré les possibilités et défis qui se profilent à l’avenir pour ces financements.

Suède : financer la solidarité internationale n’est plus une priorité gouvernementale

À l’occasion d’une réunion en ligne organisée le 14 novembre 2024, Joakim Olsson, secrétaire international du Syndicat suédois des enseignant·e·s (Swedish Teachers’ Union, STU), a souligné le virage politique emprunté par son pays au regard de la coopération au développement. « La coopération au développement était autrefois un domaine de consensus pour toute la sphère politique. Aujourd’hui, les autorités l’ont totalement abandonnée. Pour la première fois, notre gouvernement a décidé de réduire les dépenses de coopération au développement sous le seuil de 1 % du PIB », a-t-il déclaré. Il a décrit le chaos et l’incertitude générés par les actions du gouvernement, qui se répercutent tant sur l’Agence suédoise de développement et de coopération internationale (ASDI) que sur les organisations de la société civile, dont les syndicats.

« À nos yeux, il est crucial pour une organisation telle que le STU de disposer d’une assise de financement stable ne dépendant pas des fonds publics. La solidarité internationale est vitale, et le financement peut être l’une des expressions de cette solidarité », a-t-il ajouté.

Pays-Bas : un futur incertain

Trudy Kerperien, secrétaire internationale du syndicat néerlandais de l’éducation Algemene Onderwijsbond (AOb), a évoqué les projets des autorités néerlandaises de réduire de 2,4 milliards d’euros annuels son budget de coopération au développement. « Il s’agirait de la diminution la plus importante dans l’histoire des Pays-Bas. » À l’instar de Joakim Olsson, elle a souligné l’importance de conserver une base de financement sûre et indépendante des fonds publics.

Par ailleurs, elle estime que le gouvernement s’intéresse à un nombre trop réduit de domaines lorsqu’il s’agit d’allouer des deniers publics : « Au cours des dernières années, seuls de petits montants ont été octroyés pour la formation professionnelle, ainsi que pour la santé sexuelle et les droits liés à la procréation », a-t-elle indiqué. « Ces sommes étaient parfois très faibles, et de nombreuses organisations cherchaient à en bénéficier. De plus, quelles qu’aient été les sommes disponibles par le passé, nous ne pouvions les utiliser que pour l’objectif cité, en l’occurrence pas pour l’éducation. »

Elle a également souligné le fait que l’AOb possède sa propre politique de coopération et son fonds de solidarité basé sur 0,7 % du revenu des cotisations d’affiliation. « Il est réservé aux initiatives solidaires, notamment la coopération au développement, mais nous ne sommes pas un grand syndicat, et nous sommes dans un petit pays. Les budgets ne sont donc pas énormes, mais nous avons quelque chose, et avons la liberté de discuter avec nos partenaires pour établir la destination de cet argent. »

Canada : financer des projets solidaires avec l’argent syndical

Luc Allaire, chargé des relations internationales de la Centrale des Syndicats du Québec (CSQ), est revenu sur l’expérience canadienne des réductions de financement : « En 2015, le gouvernement conservateur a fermé l’Agence canadienne de développement international (ACDI) et, depuis, aucun syndicat du pays ne peut recevoir de financement gouvernemental pour ses projets », a-t-il expliqué.

Le budget canadien consacré aux affaires internationales atteint aujourd’hui 0,26 % du revenu national brut (RNB), soit le montant le plus bas jamais alloué à ce secteur.

M. Allaire a également insisté sur l’importance de concevoir des projets fondés sur les besoins des organisations partenaires et d’entretenir des relations de confiance avec les personnes travaillant à leurs côtés, de même que d’acquérir une expérience personnelle de l’issue des projets sur le terrain.

Allemagne : les syndicats en tant que partenaires sociaux de projets de développement

Carmen Ludwig, secrétaire internationale du syndicat allemand Gewerkschaft Erziehung und Wissenschaft (GEW), a brossé un tableau mitigé pour l’Allemagne, où la tradition veut que le syndicat ne reçoive aucun financement direct pour ses activités de coopération internationale.

D’un côté, il existe un risque de rédcution des fonds de coopération au développement du ministère de la Coopération économique et du Développement. Mme Ludwig indique, inquiète : « Nous devrons à l’avenir observer la façon dont cela peut toucher les activités de coopération au développement au sens large, mais aussi les organisations de la société civile actives dans ce domaine. »

D’un autre côté, elle a jugé positif l’éloignement de considérations uniquement commerciales, par contraste avec la pratique suédoise. « La coopération au développement était à l’origine un moteur pour les relations commerciales. L'actuel ministère pour la coopération économique et le développement et la Confédération syndicale allemande sont d'accord pour porter davantage d’attention aux syndicats en tant que partenaires sociaux. Le ministère a également ouvert pour la première fois une ligne de financement spécialement destinée aux syndicats engagés dans la coopération au développement. Grâce à ce soutien, le GEW, en collaboration avec le syndicat de l’éducation TUESWU en Ukraine, peut lancer un projet visant à renforcer le travail syndical en temps de guerre. »

Royaume-Uni : rétablir des partenariats de longue date

Oliver Mawhinney, spécialiste en politique internationale du Syndicat national de l’éducation (National Education Union, NEU) du Royaume-Uni, regrette, comme ses collègues, l’adoption par le nouveau gouvernement travailliste britannique d’un positionnement si décevant à l’égard du financement de la coopération.

Il a expliqué : « Nous disposions depuis longtemps d’un fonds pour la société civile, le Civil Society Challenge Fund. Les syndicats pouvaient accéder à des financements de notre ministère du Développement international de l’époque, surtout pour les projets de développement des capacités dans les pays du Sud. Le gouvernement conservateur a mis fin à cette source de financement en 2010. Depuis, il n’existe plus au Royaume-Uni de financement externe des autorités qui soit accessible aux syndicats pour financer leurs activités de coopération au développement. »

M. Mawhinney a continué ses explications en abordant les derniers montants disponibles : « Dans son premier budget, le nouveau gouvernement a fixé le montant de l’aide pour l’année prochaine à 0,5 % du RNB. « C’est une tendance générale depuis 2020, quand notre gouvernement conservateur a adopté une loi visant à réduire le budget de l’aide, qui était alors fixé à 0,7 % du RNB. Parmi les grands défis auxquels nous sommes confrontés, il s’agit de rétablir ce 0,7 % du RNB. » Il a ajouté que le syndicat ne s’attendait pas à ce que le budget de l’aide atteigne à nouveau ce pourcentage avant 2028 ou 2029, et a précisé que le secteur de l’éducation avait été l’un des plus touchés par cette coupe budgétaire.

Les remarques finales de son collègue du NEU ont laissé transparaître le sentiment général des syndicats de l’éducation actifs dans la coopération au développement : « Notre solidarité collective est plus importante que jamais, dans cette Europe – et dans ce monde – traversant de nombreuses difficultés ».

Le sujet a suscité un vif intérêt chez plusieurs partenaires de coopération au développement et fera très certainement sa réapparition en janvier 2025, quand la rentrée des Cafés de la coopération au développement donnera lieu à de nouveaux débats.