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Toutes nos excuses mais... nous avons de bonnes nouvelles concernant l’enseignement !

Publié 14 juin 2024 Mis à jour 14 juin 2024
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Une des caractéristiques notables de nombreux débats entourant la pénurie mondiale de personnels enseignants est le profond ancrage et la prévisibilité des points de vue concernant le rôle que peuvent jouer les enseignantes et les enseignants dans une telle situation. Malheureusement, au lieu d’avoir des idées et des échanges réfléchis, il semble que lorsqu’il s’agit de questions impliquant les enseignantes et enseignants, nous nous enlisions dans des perspectives antagonistes où chaque camp affiche des certitudes apparemment incontournables en se basant sur des données supposées meilleures ou des arguments moraux jugés supérieurs. Si l’on peut s’attendre à voir apparaître des avis tranchés et sans concession durant les périodes de forte polarisation idéologique, il s’agit peut-être aussi d’une certaine forme d’inertie due à une forte propension à privilégier les réponses simplistes chez une partie des responsables politiques, journalistes, scientifiques et analystes, qui ne cessent de ressasser des thèmes et points de vue qui, le plus souvent, ne font qu’évoquer et confirmer des réponses connues.

En tant que chercheurs et chercheuses, nous ne sommes pas à l’abri de l’indolence intellectuelle. Lors de la préparation d’une enquête visant à identifier les facteurs qui, selon le grand public, caractérisent un bon enseignement − en se basant sur leur propre expérience d’un bon enseignement − (Haas et al., 2023), nous avions également prévu que la polarisation idéologique occuperait une place importante. Ce que les réponses à cette enquête menée auprès de 344 adultes nous ont révélé s’est avéré plutôt surprenant pour deux raisons :

Primo, que les personnes s’identifient comme progressistes ou conservatrices, elles ont le même point de vue sur ce qui constitue un bon enseignement. Ce que nous pourrions qualifier de « bon sens pédagogique » chez les personnes participantes est le constat selon lequel un excellent enseignement va au-delà de la transmission d’un contenu prescrit. Un bon enseignement exige de s’intéresser aux élèves et de les comprendre dans toute leur complexité, tout en maîtrisant le contenu des programmes d’études. La race, le sexe, la situation économique, le niveau de formation, l’écart entre la période de scolarisation et l’âge actuel des personnes interrogées, ainsi que la position politique (progressiste ou conservatrice), semblent n’avoir que peu d’incidence lorsqu’il s’agit de se rappeler les facteurs qui caractérisent un bon enseignement. En outre, et de manière assez significative, les facteurs associés à un excellent enseignement, identifiés par les participantes et participants à cette étude (priorité aux aspects relationnels, aux liens affectifs et à la maîtrise du contenu des programmes d’études), correspondent à ceux mis en avant dans les études spécialisées (National Academies of Sciences, Engineering, and Medicine, 2018) et entrent dans la logique des Recommandations du Groupe de haut niveau des Nations unies sur la profession enseignante.

Secundo, les personnes interrogées dans le cadre de notre enquête estiment avoir côtoyé cinq fois plus d'enseignantes et d’enseignants acceptables, efficaces ou très efficaces que d'enseignantes et d’enseignants médiocres ou très médiocres. Il est vrai que la performance de certains personnels enseignants peut laisser à désirer, mais pas autant que ce que pourraient laisser croire les médias et les groupes de pression politique qui décrient systématiquement la qualité des personnels enseignants, faisant de l’identification et de l’expulsion des « mauvais éléments » leur cheval de bataille dans le cadre des initiatives mondiales visant à réformer l’éducation.

Les résultats de notre enquête laissent supposer une situation paradoxale. En effet, comment expliquer cet apparent consensus pour l’éducation dans un monde divisé par des positions idéologiques et partisanes radicalement opposées ? S’agissant plus spécifiquement du domaine pédagogique, comment expliquer que les personnes croient en des approches pédagogiques offrant davantage de possibilités de nouer des relations de confiance et de bienveillance entre élèves et personnels enseignants, alors que les politiques éducatives de ces dernières décennies ont relégué ces aspects au second plan, au profit de compétences techniques jugées plus pertinentes pour transmettre les savoirs ? Une des raisons pouvant expliquer nos résultats pour le moins inattendus est que les convictions partisanes polarisées concernant l’enseignement sont principalement observées parmi les groupes les plus actifs et les plus engagés idéologiquement et moins souvent au sein du grand public (Druckman et al., 2019 ; Iyengar et al., 2019 ; Klar et al., 2018). De même, les points de vue sont très probablement influencés par le souvenir d’avoir bénéficié d’enseignantes et d’enseignants de bonne qualité et cette expérience peut atténuer l’incidence des campagnes visant à leur faire porter la responsabilité des mauvais résultats scolaires.

Globalement, notre étude démontre l’inutilité des initiatives mondiales visant à réformer l’éducation, centrées systématiquement sur l’identification et la pénalisation des personnels enseignants peu efficaces (leur nombre est particulièrement faible, a-t-on constaté) et visant à leur imputer la responsabilité des problèmes éducatifs sans s’attaquer aux conditions structurelles médiocres et inéquitables de l’enseignement et de l’apprentissage auxquelles doivent faire face un grand nombre de systèmes scolaires. Notre étude met également en lumière une réforme très prometteuse et rentable de l’éducation : pour augmenter les chances de pouvoir mettre en place des politiques éducatives plus efficaces, les acteurs de l’éducation doivent tout d’abord reconnaître que le grand public souhaite renforcer ce qu’il perçoit déjà chez la majorité des enseignantes et des enseignants, à savoir des professionnel·le·s qualifié·e·s parfaitement capables de nouer des relations, de créer des contenus pertinents et de maîtriser leurs matières.

Bibliographie

Haas, E., Fischman, G. et Pivovarova, M. (2023). Public beliefs about good teaching. Research in Education, 00345237231207717.

Druckman, J., Klar, S., Krupnikov, Y., Levendusky, M. et Ryan, J. B. (2019). The illusion of affective polarization (Thèse de doctorat, Université de Stony Brook).

Iyengar, S., Lelkes, Y., Levendusky, M., Malhotra, N. et Westwood, S. J. (2019). The origins and consequences of affective polarization in the United States. Annual Review of Political Science, 22, 129-146.

Klar, S. Krupnikov, Y. et Ryan, J. B. (2018). Affective Polarization or Partisan Disdain? Untangling a Dislike for the Opposing Party from a Dislike of Partisanship, Public Opinion Quarterly, 82(2), 379–390. https://doi.org/10.1093/poq/nfy014

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.