Manal Hdaife est directrice d’école et Présidente du Comité de la Structure interrégionale des pays arabes de l’Internationale de l’Education. Elle est profondément engagée dans la promotion de la cause de l’éducation au Liban. Avec un parcours militant au service des droits des enseignantes et des enseignants au Liban, Manal Hdaife s’est imposée comme l’une des principales défenseuses de l’école publique dans sa région. En tant que membre du Groupe de haut niveau sur la profession enseignante, convoqué par les Nations unies, Mme Hdaife a porté son action au niveau mondial, apportant son expertise à l’élaboration de politiques visant à renforcer la profession enseignante dans le monde entier. Le groupe, chargé d’aborder la question cruciale de la pénurie mondiale d’enseignantes et d’enseignants, représente une étape importante dans l’amélioration de l’éducation publique à l’échelle mondiale.
Dans cette interview pour Mondes de l’éducation, qui coïncide avec le lancement officiel des recommandations du Groupe de haut niveau le 26 février à Johannesburg, en Afrique du Sud, Hdaife aborde les principales recommandations issues des délibérations du Groupe, soulignant le rôle crucial des syndicats de l’éducation dans la promotion de leur mise en œuvre et leur impact sur les profession enseignante au Liban et au-delà.
Le Groupe de haut niveau sur la profession enseignante s’est réuni pendant plusieurs mois en 2023. Quels ont été les principaux thèmes abordés ?
Tout au long des réunions du Groupe de haut niveau au cours de l’année passée, nous avons abordé un large éventail de questions cruciales affectant la profession enseignante au niveau mondial. Les sujets clés comprenaient, entre autres, la pénurie croissante d’enseignantes et d’enseignants, la qualité de la formation, l’impact de la technologie numérique sur l’éducation et les défis spécifiques auxquels sont confrontés les enseignantes et les enseignants travaillant dans des contextes de crise et avec des élèves réfugié·e·s. Chaque discussion visait à identifier des solutions durables pour revaloriser la profession et parvenir à une éducation équitable et de qualité pour toutes et tous.
Comment les recommandations abordent-elles la question urgente de la pénurie de personnels enseignants dans le monde et quelles actions sont suggérées pour les syndicats de l’éducation ?
Les recommandations du Groupe de haut niveau soulignent la nécessité d’un investissement stratégique dans le recrutement, le développement professionnel et les stratégies de rétention des personnels enseignants. Elles invitent les gouvernements à adopter des politiques qui améliorent globalement le statut et les conditions de la profession, notamment en augmentant les salaires des enseignantes etdes enseignants, en améliorant les conditions de travail et en garantissant la sécurité de l’emploi. Les recommandations reconnaissent également le rôle essentiel du dialogue social et de la négociation collective dans l’élaboration de solutions durables à la pénurie de personnels. Elles appellent à la participation active des syndicats de l’éducation, des gouvernements et des parties prenantes dans la définition de politiques qui améliorent le statut de la profession, en garantissant l’autonomie professionnelle et la liberté académique.
Le Groupe ayant identifié le sous-investissement dans la profession enseignante comme l’une des causes profondes de la pénurie d’enseignantes et d’enseignants, comment les recommandations proposent-elles de s’attaquer à ce problème ?
Les recommandations soulignent le besoin critique d’un investissement substantiel dans la profession enseignante, faisant écho à l’opposition de l’Internationale de l’Education aux politiques d’austérité qui restreignent le financement public de l’éducation. En recommandant des politiques qui augmentent les salaires des enseignantes et des enseignants et renforcent la sécurité de l’emploi, le Groupe de haut niveau s’aligne sur l’appel de l’Internationale de l’Education à éliminer les contraintes sur la masse salariale du secteur public — souvent imposées par les institutions financières internationales comme le Fonds monétaire international, qui exacerbent directement la pénurie d’enseignantes et d’enseignants.
Quel rôle les recommandations attribuent-elles aux technologies numériques dans l’éducation ?
Les recommandations reconnaissent la nécessité pour les personnels éducatifs de participer aux discussions politiques sur l’utilisation durable et équitable des technologies éducatives, en veillant à ce qu’elles soutiennent, plutôt qu’elles ne supplantent, l’élément humain irremplaçable de l’enseignement, préservant ainsi la relation essentielle entre l’élève et son ou sa professeur·e. En outre, les recommandations préconisent des possibilités de développement professionnel qui permettent aux personnels enseignants d’intégrer efficacement la technologie dans leur pratique.
Comment les recommandations pourraient-elles faire la différence pour les enseignantes et les enseignants au Liban, et plus largement pour tous les personnels qui travaillent dans des contextes de crise ainsi que les enseignantes et les enseignants réfugié·e·s ?
Parmi les recommandations du groupe, celles qui visent à soutenir les personnels enseignants dans les zones touchées par des crises et les personnels enseignants réfugiés trouvent un écho particulier en moi. Pour le Liban, où les personnels éducatifs sont confrontés à d’énormes pressions en raison des défis économiques actuels et de la crise des réfugié·e·s, ces recommandations pourraient avoir un effet transformateur. La mise en œuvre de mesures de soutien ciblées, l’accès à des opportunités de développement professionnel adaptées aux contextes de crise et la reconnaissance du rôle inestimable des personnels enseignants réfugiés pourraient améliorer de manière significative la résilience et la durabilité du secteur de l’éducation au Liban. En outre, il est essentiel de veiller à ce que les enseignantes et les enseignants continuent à percevoir leur salaire dans les zones de conflit afin de renforcer la résilience globale du système éducatif. De telles mesures permettraient non seulement de revaloriser la profession, mais aussi de garantir que chaque enfant, quelle que soit sa situation, ait accès à l’éducation.
Pourquoi les recommandations du groupe de haut niveau sont-elles importantes pour les syndicats de l’éducation ?
Les recommandations sont essentielles pour les syndicats de l’éducation car elles soulignent le rôle crucial qu’ils jouent dans la défense des droits et du développement professionnel des personnels enseignants. Elles montrent la nécessité pour les syndicats d’être à l’avant-garde de changements politiques alignés sur les recommandations, en veillant à ce que les enseignantes et les enseignants soient soutenu·e·s, valorisé·e·s et équipé·e·s pour répondre aux divers besoins de leurs élèves. En outre, les recommandations renforcent l’importance des syndicats dans la promotion du dialogue entre les personnels et les leaders politiques, favorisant ainsi des systèmes d’éducation publique plus inclusifs et plus équitables à l’échelle mondiale.
Quel rôle les personnels enseignants et leurs syndicats peuvent-ils jouer pour donner vie à ces recommandations ?
Les syndicats de l’éducation sont essentiels pour garantir la mise en œuvre des recommandations. En poursuivant et en approfondissant leur engagement dans des campagnes telles que La force du public : Ensemble on fait école !, les syndicats peuvent demander des comptes aux gouvernements, surveiller la pénurie de personnels enseignants au niveau national et augmenter le nombre de leurs membres afin d’améliorer l’efficacité des négociations collectives.
Le succès de la mise en œuvre de ces recommandations peut transformer profondément le paysage de l’éducation. En s’attaquant aux causes profondes des défis auxquels la profession enseignante est confrontée, nous pouvons créer un environnement plus favorable pour les personnels enseignants, ce qui, en retour, aura un impact positif sur l’apprentissage des élèves. La vision du Groupe permet aux syndicats de promouvoir des politiques et des pratiques qui reflètent véritablement les besoins et les réalités de notre profession, contribuant ainsi à un avenir plus juste, plus démocratique et plus durable pour toutes et tous.
Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.