La situation du personnel enseignant camerounais a beaucoup évolué au gré de la conjoncture. Cette évolution enseigne qu’elle est allée de mal en pis; en effet, si les conditions de vie et de travail des enseignantes et des enseignants sont allées crescendo de 1960 à 1984, elles ont pris la courbe inverse depuis 1993, date de la mise en œuvre des premiers plans d’ajustement structurel (PAS) au Cameroun, au point où, à l’heure actuelle, ce métier est devenu un pis-aller, une transition en attendant d’aller dans de verdoyants pâturages.
Chronique d’un déclin
Les enseignantes et les enseignants camerounais sont formé·e·s dans les écoles normales; la durée des études y est fonction du diplôme d’entrée. Jusqu’en 1987, toutes les personnes diplômées des écoles normales étaient directement intégrées à la Fonction publique de l’Etat. Les nouveaux personnels percevaient des frais de relève consistants pour rejoindre leur lieu d’affectation. Les trois mois suivant l’affectation, ils recevaient une avance sur salaire en attendant l’aboutissement du dossier d’intégration. Les personnels enseignants avaient également droit à des frais de relève pour les congés annuels; toutes celles et ceux qui étaient en poste dans la partie septentrionale du pays bénéficiaient de billets d’avion, ainsi que leurs familles. La corruption était marginale et personne ne monnayait ses avancements, ni leur paiement; tout allait de façon quasi automatique. Il n’y avait pas de corps privilégié dans la Fonction publique. C’était l’âge d’or de l’enseignement.
Tout change brutalement en 1993 avec les plans d’ajustement structurel (PAS). Les fonctionnaires subissent alors une baisse de 20% de leur rémunération en janvier 1993 et une autre de 50% en janvier 1994. Les écoles normales d’instituteurs sont défonctionnarisées en 1995. Les enseignantes et enseignants nouvellement formé·e·s ne sont plus automatiquement intégré·e·s à la fonction publique et doivent désormais aller chercher du travail dans les établissements privés ou attendre un éventuel recrutement de l’Etat. Dans le deuxième cas, les enseignantes et les enseignants recruté·e·s ainsi par l’Etat auront désormais le statut de «vacataire», percevant 40 000 francs mensuellement pendant neuf mois, autrement dit, la durée de l’année scolaire, excluant les congés annuels. Au fil du temps, leur statut va évoluer, devenant des personnels «contractualisés». Dès lors, l’enseignante ou l’enseignant a un numéro de matricule, bénéficie de toutes les primes dont bénéficient les personnels enseignants fonctionnaires, mais son salaire de base est inférieur à celui de l’enseignant fonctionnaire.
Mouvements syndicaux et sociaux en action
De multiples revendications des syndicats ont abouti en décembre 2016 à la décision de l’intégration progressive des personnels contractualisés par vague de recrutement à la Fonction publique. Mais, suite à la baisse sauvage des salaires, le personnel contractualisé devient une proie privilégiée du système de corruption que la bureaucratie a mis sur pied dans le cadre de ce processus d’intégration. Les lenteurs dans le traitement des dossiers deviennent la règle pour inciter les personnes concernées à montrer patte blanche. Désormais, un dossier d’intégration se «traite» en deux ans au minimum; les rappels d’avancement ou de reclassement visant à accélérer le traitement des dossiers se «négocient» à 30%. Pendant ce temps, les jeunes collègues ont l’obligation d’assurer toutes leurs heures de cours, sous peine d’être sanctionné·e·s. Il est à noter que parmi les élèves qui sortent encore des écoles donnant un accès direct à la Fonction publique, seul·e·s les enseignantes et les enseignants subissent ce chemin de croix, les autres appartenant à des écoles qui ravitaillent les appareils répressifs de l’Etat en personnels (Ecole Militaire Interarmées, Ecole Nationale d’Administration et de Magistrature, Ecole Nationale Supérieure de Police).
Toutes ces obstructions justifient les revendications syndicales récurrentes, les mouvements de revendications ponctuelles de certaines promotions comme les indignés 1 (2017) et 2 (2018), qui revendiquaient l’aboutissement rapide de leurs dossiers d’intégration, ou encore le mouvement on a trop supporté (2022). Ce dernier a mobilisé, non seulement les enseignantes et les enseignants réclamant le tiers de leur salaire, autrement dit ceux et celles qui étaient en attente de leur prise en charge salariale, mais aussi des personnels ayant plus de 20 ans de carrière et qui ne recevaient pas le rappel de leurs avancement d’échelon. La grève a duré plus d’un mois, au terme duquel les négociations ont abouti à l’apurement progressif de la dette.
Des conditions de travail fortement impactées
Le cadre de travail de l’enseignant, lui aussi directement impacté par les plans d’ajustement structurel, constitue aussi un facteur de mal être au sein de la profession. Enseigner dans une zone reculée rurale comporte nécessairement des sacrifices pour le bien-être des collègues concerné·e·s et de leurs familles : les infrastructures sociales de base font défaut, l’habitat est souvent indécent et l’accès aux TIC y demeure une gageure. Sur le plan éducatif, la pénurie de personnel enseignant transforment ceux et celles qui y sont en véritables instituteurs et institutrices, dispensant des cours dans des matières qu’ils n’ont pas apprises à l’école normale ou en faculté. Ceci amène forcément à une surcharge de travail.
Il faut aussi relever le fait qu’une partie de ces collègues passent plus de dix ans loin de leur famille sans être muté·e·s ou ne parvenant pas à opérer le regroupement familial prescrit par le Statut de la Fonction publique.
Dans les zones urbaines la situation est un peu plus satisfaisante du fait de l’existence des infrastructures, des opportunités d’engranger des revenus supplémentaires et des possibilités d’épanouissement familial. Si du fait qu’il n’y a pas généralement pénurie de personnel enseignant, le volume horaire est à la baisse, en revanche, les effectifs dépassent généralement le nombre de 80 élèves par classe, ce qui accroît la charge de travail en matière de discipline et de correction des évaluations.
Sur le plan de la carrière, la situation laisse grandement à désirer. Le profil de fonction du statut particulier des corps de l’éducation n’est jamais respecté lors des nominations et le profil de carrière est inexistant. Les affectations comme les nominations sont faites sur des bases subjectives n’ayant rien à voir avec les nécessités de service. Les frustrations qu’engendrent cette mauvaise gouvernance émoussent.
Vers une « sortie de crise » dans la profession
La solution à tous ces maux se trouve dans l’organisation du Forum national de l’éducation. Dans ce cadre, les syndicats ont effectué une collecte de données et apprêté leurs propositions afin que l’école soit au centre des activités sociales. L’augmentation du financement de l’éducation, la mise en place d’un profil de carrière et de fonction, de primes conséquentes, la redéfinition de la place de du personnel enseignant dans la définition des politiques de l’éducation sont les axes majeurs de la renaissance de l’éducation que nous quêtons.
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