La recherche intitulée « Leçons tirées de la pandémie de COVID-19 au Népal » analyse l’impact de la crise sanitaire sur l’éducation et met en lumière le rôle des syndicats de l’éducation dans la protection des droits des enseignant·e·s, tout en appelant à prendre des mesures pour garantir des conditions d’apprentissage décentes pour les élèves et des conditions d’emploi décentes pour les enseignant·e·s.
Cette recherche, réalisée par Raj Kumar Baral et commanditée par le bureau régional de l’Internationale de l’Éducation pour l’Asie-Pacifique, trois de ses organisations affiliées – Institutional School Teachers’ Union (ISTU), Nepal National Teachers’ Association (NNTA) et Nepal Teachers’ Association (NTA) – et la fondation allemande Friedrich-Ebert-Stiftung (FES), a été lancée le 17 juin 2022 à Katmandou. Il s’agit d’une recherche menée dans le cadre de la campagne de l’Internationale de l’Éducation Réponse mondiale à la privatisation et à la commercialisation de/au sein de l’éducation, avec le soutien financier de la FES.
Lancement de la recherche
Le représentant de l’ISTU, Moti Ram Phuyal, s’est chargé de présenter la première partie de l’événement de lancement, le représentant de la NTA, Yam P Bhusal, la seconde.
Le représentant de la FES s’est adressé aux participant·e·s en mettant en avant les activités menées par la fondation à travers le monde et plus particulièrement au Népal. Il a comparé le système éducatif allemand à celui du Népal, en soulignant la nécessité de respecter le droit à l’éducation de tous les enfants et d’accorder des droits syndicaux concrets à l’ensemble des enseignant·e·s.
Durant cet événement de lancement, le coordinateur régional principal de l’IEAP, Anand Singh, a réaffirmé dans son intervention en virtuel l’importance de la campagne Réponse mondiale à la privatisation et à la commercialisation de l’éducation. Il a également souligné la nécessité de protéger le droit à l’éducation des enfants. Il a ensuite présenté les activités de la campagne Réponse mondiale menées aux Philippines, en Afrique du Sud et au Brésil.
Les présidents de la NTA, de la NNTA et de l’ISTU ont chacun mis en avant l’importance de cette campagne visant à lutter contre la privatisation de l’éducation au Népal, de même que la nécessité de façonner le paysage politique du secteur. Ils ont souligné que les enseignant·e·s se heurtaient à de nombreuses difficultés, en particulier dans le secteur privé. Les syndicats n’ont obtenu que peu de résultats positifs, malgré leurs nombreux efforts pour aborder les questions liées à la privatisation de l’éducation. Il importe, selon eux, de créer un mécanisme permettant aux syndicats et au gouvernement de collaborer en cas de pandémies futures ou d’autres catastrophes.
Le président de la NTA, Rajendra Raj Poudel, a expliqué : « Près de 50.000 enseignants et enseignantes ont perdu leur emploi pendant la pandémie et la privatisation ne cesse de se développer au sein de l’éducation. Le gouvernement doit allouer au moins 20 % du budget national à l’éducation. La privatisation accentue les inégalités. »
Pour sa part, le président de la NNTA, Bishnu Prasad Bhandari, a expliqué que : « La pandémie de COVID-19 a entraîné la fermeture permanente de près de 25 % de nos écoles. Le développement insuffisant de la numérisation dans les écoles publiques a, en outre, rendu l’apprentissage difficile pour les élèves, tandis que les droits et la protection sociale des enseignants et enseiganntes ont été bafoués de manière flagrante au cours de cette période. »
Le président de l’ISTU, Hom Kumar Thapa a, quant à lui, insisté sur le fait que : « Les personnes qui investissent dans les écoles privées ne se sont guère souciées des enseignants et des enseignantes pendant la pandémie. Bon nombre n’ont pas perçu leurs salaires. L’éducation n’est pas un commerce, mais un service. Le gouvernement doit mettre un terme à la privatisation de l’éducation et améliorer l’enseignement public. »
Au cours de son intervention, le représentant du ministère népalais de l’Éducation, Hari Prasad Lamsal, a mis l’accent sur la nécessité d’accroître le budget de l’éducation et d’améliorer la qualité des écoles publiques, afin de mettre un frein à la privatisation et à la commercialisation du secteur. Il a maintenu que la nature publique de l’éducation se définit par la possibilité pour tous les individus d’accéder à l’éducation, plutôt que par la seule éducation proposée par l’État.
Le représentant de l’UNESCO, Dhruba Regmi, a ensuite rappelé les conclusions du dernier Rapport mondial de suivi sur l’éducation, ayant pour thème l’inclusion et les acteurs non étatiques au sein de l’éducation, en soulignant que la privatisation et la commercialisation constituaient un problème d’envergure mondiale devant être envisagé sous l’angle du financement de l’éducation et de nombreux autres aspects.
Au cours de la présentation de sa recherche, Raj Kumar Baral, a rappelé que l’enseignement public était menacé par les multinationales qui investissent dans ce secteur. Il a également précisé que sa recherche montrait que les établissements scolaires privés ne contribuaient pas à défendre la nature publique de l’éducation ou à améliorer l’accès à l’éducation, comme l’a suggéré le représentant du ministère de l’Éducation. La recherche, a-t-il ajouté, épingle clairement un manque d’engagement politique à investir des fonds publics dans le secteur de l’éducation, permettant ainsi aux établissements privés de prendre le pas sur l’enseignement public.
Il a poursuivi en soulignant l’oppression et l’exploitation dont sont victimes les enseignant·e·s et les personnels de l’éducation, tant dans les établissements privés que publics. Il a également évoqué les programmes syndicaux qui ont soutenu les enseignant·e·s et facilité l’apprentissage des élèves durant la pandémie de COVID-19.
La recherche souligne que, de manière plus générale, cette pandémie a également eu un effet sur les modalités de gestion des établissements scolaires privés en tant qu’entreprises et, plus important, sur la sécurité d’emploi, les salaires, les conditions de travail et le bien-être des personnels enseignants et non enseignants. En conséquence, la qualité de l’éducation de plusieurs millions d’enfants s’est dégradée. Ces répercussions ont été cependant moins souvent observées dans les écoles privées fréquentées par la haute société dans la vallée de Katmandou. Néanmoins, 70 % des enfants en âge de scolarisation au Népal ont été touchés ou privés d’apprentissage.
Toujours selon cette recherche, la pandémie a démontré à quel point la privatisation et la commercialisation de l’éducation portaient préjudice aux objectifs du mouvement syndical enseignant. Les responsables des syndicats de l’éducation défendent davantage l’enseignement public dans la mesure où la pandémie a mis à nu les manquements et les insuffisances d’une éducation privatisée et commercialisée.
Recommandations de la recherche
Offrant un ensemble de données factuelles démontrant la nécessité d’accroître les investissements nationaux dans l’enseignement public, le rapport recommande aux syndicats de l’éducation de jouer un rôle de premier plan et de prendre les mesures suivantes dans certains domaines critiques pour garantir le bon déroulement de la reprise post-COVID au sein de l’éducation et empêcher la poursuite de la commercialisation et de la privatisation de ce secteur au Népal :
- Lancer une campagne vigoureuse, accompagnée d’actions de lobbying et collectives sur le terrain, en vue d’accroître le financement public de l’éducation et inverser la tendance à la privatisation de l’éducation.
- Lancer une campagne pour améliorer non seulement la qualité de l’enseignement dans les établissements scolaires, qu’ils soient publics ou privés, mais également le bien-être, la protection sociale et les conditions de travail de l’ensemble des personnels de l’éducation. Afin de pouvoir apporter ces changements, il est nécessaire de créer une coalition plus large au sein des écoles et des syndicats de l’éducation pour promouvoir le renforcement de l’enseignement public au Népal.
- Faire preuve de vigilance et s’opposer aux projets visant à introduire des modèles de partenariats public-privé dans le secteur de l’éducation.
- Exiger que les autorités fassent preuve de transparence en ce qui concerne les dépenses pour l’enseignement public, en vue de limiter au maximum l’utilisation à mauvais escient des fonds publics et de s’assurer que les établissements scolaires privés respectent leurs obligations financières, afin de pouvoir identifier les montants non déclarés ou non payés au gouvernement, pour lesquels ils doivent être tenus responsables.
- Faire pression en faveur d’une représentation équitable et égalitaire dans le dialogue social et politique, les groupes de travail des instances gouvernementales, les discussions, les négociations, les communications et les autres espaces pertinents, afin que les responsables politiques, les prestataires privés, les employeurs et les parties prenantes prennent des engagements pour contrôler et réglementer les établissements scolaires privés.
- Organiser régulièrement des consultations auprès des autres acteurs de l’éducation, tels que les élèves, les parents et les personnels de soutien à l’éducation, concernant les relations entre les droits, l’équité et l’inclusion des élèves et des enseignant·e·s et la privatisation de l’éducation au Népal.
- Consolider leurs objectifs au sein de leurs organisations en redirigeant les membres vers les besoins immédiats et les enjeux liés à la reprise post-COVID, en engageant des discussions concernant l’enseignement universel de qualité et en élargissant leurs réseaux à d’autres organisations et syndicats népalais défendant les mêmes idées.
Le rapport recommande également au gouvernement fédéral népalais ce qui suit :
- Accroître considérablement le financement national de l’enseignement public afin d’en améliorer la qualité générale et faire en sorte que les établissements scolaires publics soient correctement équipés d’un large éventail de matériels d’enseignement et d’apprentissage, d’installations adéquates et des infrastructures numériques et informatiques requises pour l’enseignement à distance.
- Soumettre les prestataires de l’enseignement privé à des réglementations financières et opérationnelles plus strictes.
- Garantir aux personnels de l’éducation du secteur privé des protections juridiques, des filets de sécurité et des avantages qui soient identiques à ceux du secteur public. Exemple, le gouvernement fédéral devrait rendre obligatoire l’inscription des personnels enseignants et non enseignants à un fonds de sécurité sociale financé par des cotisations.
- Mettre en œuvre une stratégie transitionnelle efficace pour les situations d’urgence dans le secteur de l’éducation, afin de pouvoir se préparer à des crises futures de la même ampleur que la pandémie de COVID-19. Ce processus suppose de définir des politiques et des programmes détaillés, notamment des plans d’urgence, des méthodes pédagogiques alternatives, des protocoles de sécurité et des projets globaux et précis pour l’ensemble des parties prenantes.
Pour conclure, le représentant de l’Internationale de l’Éducation, Sagar Nath Pyakurel, a condamné les pratiques des entreprises qui investissent dans l’éducation dans le seul but de profiter des possibilités qui leur sont offertes de réaliser d’énormes bénéfices et de transformer ce secteur en une marchandise.
Prochaines étapes de la lutte contre la privatisation de l’éducation
Dans le cadre de la campagne Réponse mondiale, les deuxième et troisième réunions de planification régionales de cette année seront organisées en septembre, la première ayant eu lieu les 18 et 19 juin à Katmandou.
Les trois syndicats népalais ont créé un comité conjoint pour mener des activités avec la FES, l’organisation finlandaise SASK et ActionAid. Concernant le programme de la FES, le représentant de l’ISTU, Moti Ram Phuyal, travaillera comme personne de contact pour les trois syndicats.