Face à la bombe à retardement qui menace le secteur de l’éducation, les chef·fe·s d’État et de gouvernement se réuniront à New York au mois de septembre prochain pour participer à un Sommet historique sur la transformation de l’éducation. Si les chef·fe·s d’État et de gouvernement n’ont jamais été convoqué·e·s pour se concentrer exclusivement sur l’éducation, cette initiative est aujourd’hui jugée plus qu’urgente compte tenu du ralentissement des progrès en faveur des objectifs pour l’éducation fixés par la communauté internationale et de la crise aiguë que traverse le financement de l’éducation. Un grand nombre de systèmes éducatifs étaient déjà systématiquement sous-financés avant que la COVID-19 et l’invasion de l’Ukraine ne viennent s’ajouter aux pressions existantes et l’on observe aujourd’hui, pour la première fois depuis une génération, un resserrement des budgets de l’éducation dans de nombreux pays. La principale réunion préparatoire, qui accueillera les ministres de l’Éducation du monde entier du 28 au 30 juin à Paris, doit déboucher sur des décisions majeures concernant le financement de l’éducation dans au moins six domaines.
Premièrement, il est désormais essentiel de se concentrer en priorité sur le financement national. Au cours de ces quarante dernières années, la plupart des réunions et documents politiques internationaux consacrés à l’éducation ont accordé la priorité à l’aide internationale ou aux prêts concessionnels. Toutefois, ces modalités budgétaires ne représentent que 3 % du financement de l’éducation. Plus de 97 % du financement provient de sources nationales. Envisager cette question sous un nouveau jour s’inscrit donc dans la perspective de décoloniser l’approche actuelle du financement de l’éducation et d’aller au-delà du transfert Nord-Sud des ressources, afin de trouver des solutions universelles, durables et systémiques. La dernière version du document de réflexion sur le financement de l’éducation confirme ce qui précède et renforce le critère de référence international bien établi, appelant les gouvernements à allouer entre 15 et 20 % de leurs budgets nationaux à l’éducation. Il est donc important de renouveler les engagements à cet égard, notamment pour les gouvernements qui n’atteignent pas ce pourcentage. Toutefois, même 20 % d’un petit gâteau reste un petit montant et il est par conséquent urgent de se recentrer sur la taille même du gâteau. En d’autres termes, il est nécessaire d’aller au-delà de la zone de confort de la plupart des gens qui travaillent dans le domaine de l’éducation au plan international.
Deuxièmement, l’accent doit être mis sur la taille des budgets nationaux globaux et en particulier sur les mesures fiscales. En moyenne, le ratio impôt/PIB d’un pays à faible revenu représente à peine 16 %, loin derrière les pays à revenu moyen où il avoisine les 30 % et les pays à revenu élevé où il est souvent supérieur à 40 %. Le Fonds monétaire international (FMI) estime que la plupart des pays pourraient augmenter ces ratios de cinq points de pourcentage d’ici 2030, ce qui permettrait de multiplier par deux les dépenses pour l’éducation, la santé et d’autres services. Face à la flambée du coût de la vie partout dans le monde, il importe que l’élargissement des recettes fiscales soit basé sur des réformes en faveur d’une taxation progressive ciblant les revenus et la richesse des particuliers et des entreprises disposant du plus de moyens. Cependant, les mesures nationales doivent s’accompagner de mesures internationales afin de s’assurer que les réglementations fiscales mondiales soient établies équitablement, par exemple au travers d’une Convention des Nations Unies en matière de fiscalité, comme l’ont récemment demandée les ministres africain·e·s des Finances.
Troisièmement, des mesures doivent être prises pour endiguer la nouvelle crise de la dette mondiale : un grand nombre de pays dépensent plus pour le service de la dette que pour l’éducation et la santé. Il s’agit également d’un domaine où des mesures internationales ambitieuses s’avèrent nécessaires, allant bien au-delà de la récente initiative de suspension du service de la dette qui a offert trop peu d’aide à trop peu de pays au plus fort de la COVID-19. Tout pays qui consacre plus d’argent au service de la dette qu’à l’éducation doit se voir accorder la priorité pour la renégociation et la restructuration de la dette au travers de nouveaux mécanismes.
Quatrièmement, il est essentiel d’ abandonner les politiques d’austérité et de mettre fin, en particulier, aux pressions visant à réduire la masse salariale du secteur public. L’étude Global Austerity Alert dresse un tableau alarmant de la situation, tandis que le FMI lui-même se dit inquiet, estimant qu’un retour prématuré à l’assainissement budgétaire pourrait avoir des conséquences dommageables, bien que l’austérité soit souvent sa première recommandation adressée aux gouvernements nationaux. Cette situation touche plus durement l’éducation, où il est recommandé de réduire la masse salariale du secteur public. Le personnel enseignant représente le groupe le plus important de la masse salariale du secteur public. Par conséquent, tout resserrement ou gel des budgets finit par bloquer le recrutement de nouveaux effectifs (même en cas de pénurie) et les revalorisations salariales (même lorsque les rémunérations correspondent au barème minimum). Le FMI pourrait transformer le financement de l’éducation en s’engageant sans équivoque à cesser le recours à ces contraintes et à encourager activement les pays à accroître le pourcentage du PIB consacré à la masse salariale. Rien n’est plus important pour la qualité de l’apprentissage que celle du personnel enseignant.
Le cinquième domaine de transformation crucial consiste à changer les mentalités. Les cycles économiques étant basés sur le court et moyen terme, les ministres des Finances considèrent les dépenses pour l’éducation comme une simple « consommation », mais à long terme, investir dans l’éducation est probablement la mesure économique la plus intelligente qu’un pays puisse faire. Il est nécessaire de s’orienter vers une vision à plus long terme, où l’investissement dans l’éducation est considéré comme une contribution au développement économique et social, facilitant un dialogue plus stratégique et reconnaissant que ce secteur fait partie de l’infrastructure de base d’un pays. Raison pour laquelle, les budgets de l’éducation doivent être protégés, même au plus fort d’une période de récession.
Sixième et dernier point, si l’aide et les prêts concessionnels pour l’éducation ont évidemment un rôle à jouer, ils ne doivent pas être au centre des priorités. Le plus évident est sans doute que les donateurs doivent respecter leur engagement à consacrer 0,7 % du PNB à l’aide et celui attendu des gouvernements, visant à allouer entre 15 et 20 % de cette aide à l’éducation (et non 8 %, comme c’est le cas actuellement). Toutefois, cette aide doit s’accompagner d’un vaste plan de solidarité envers les pays bénéficiaires qui respecte leur souveraineté, être harmonisée et alignée sur les plans nationaux pour l’éducation établis par les gouvernements avec leurs citoyen·ne·s. Accroître l’aide humanitaire pour l’éducation doit également devenir une priorité.
Les six points développés ici représentent une refonte totale et une approche transformatrice de l’augmentation du montant du financement pour l’éducation, recueillant déjà un large soutien. Tout cela doit bien entendu s’accompagner de mesures pour assurer une allocation des fonds qui soit équitable, efficace et responsable – un ensemble de questions également développées dans le document de réflexion officiel sur le financement de l’éducation.
En résumé, il s’agit de renforcer les quatre éléments suivants : la taille du budget gouvernemental global (déterminée par les impôts, la dette, les politiques macroéconomiques, le commerce, etc.) ; la part du budget consacrée à l’éducation ; la pertinence du budget de l’éducation (fondée sur l’équité, vue de manière transversale, et l’efficacité) ; et l’ examen approfondi du budget de l’éducation, afin que les ressources soient déboursées, dépensées et suivies de façon transparente et responsable et qu’elles puissent bénéficier aux communautés les plus défavorisées.
Tous ces éléments réunis pourraient donner naissance à un pacte mondial pour l’éducation qui associerait des engagements nationaux plus fermes et des mesures internationales en ce qui concerne la problématique du financement de l’éducation. Si nous souhaitons réellement transformer les systèmes d’éducation publics dans le monde, il est essentiel de préparer un pacte ambitieux et de le soumettre à la décision des chef·fe·s d’État et de gouvernement qui se réuniront à New York en septembre.
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Lire le document d’information « L’éducation face à l’austérité. Pourquoi il faut mettre fin aux réductions de la masse salariale du secteur public qui minent les enseignant.e.s et les systèmes d’enseignement public » (Internationale de l’Éducation et ActionAid).
Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.