Dans cette interview, le syndicat suédois de l'éducation explique comment il place la solidarité au cœur du mouvement syndical, du lieu de travail au niveau mondial.
1. Quand et comment votre organisation a-t-elle décidé de s’engager dans la coopération internationale ?
La solidarité est une valeur fondamentale du mouvement syndical à tous les niveaux, du lieu de travail au niveau mondial. C’est également vrai pour Lärarförbundet. La coopération au développement (CD) des syndicats internationaux fait partie intégrante des priorités du Lärarförbundet depuis la création de l’organisation en 1991. Nous avons hérité de cette priorité des deux syndicats d’enseignants, SL et FSL, qui ont fusionné et sont devenus Lärarförbundet. Ils avaient une longue tradition de solidarité internationale et de travail en matière de CD et ont été actifs dans la formation de la plateforme de coopération au développement syndical créée par deux des confédérations suédoises (LO et TCO) en 1977. En 2015, la troisième confédération (SACO) a rejoint la plateforme, et celle-ci a pris le nom de Union to Union. Cette plateforme/organisation commune canalise les propositions de projets des syndicats suédois et de ses confédérations vers l’agence publique suédoise dédiée à la coopération internationale au développement, Sida. Bien avant la mise en place de ces structures nationales, les syndicats suédois ont collecté de l’argent auprès de leurs membres et ont créé des fonds de solidarité internationale. Nous sommes également conscient∙e∙s du soutien politique et financier que le mouvement syndical suédois a reçu à ses débuts de la part de syndicats d’autres pays.
Existe-t-il un mécanisme dans votre syndicat permettant d’allouer une partie des fonds du syndicat à la coopération internationale ?
Le Congrès du Lärarförbundet a décidé à plusieurs reprises d’affecter 1,5% des cotisations des membres au travail international en général. La moitié de cette somme peut être utilisée pour le travail en matière de CD. Les fonds de la CD sont en partie utilisés pour couvrir notre propre contribution au programme financé par Union to Union/Sida et en partie pour financer des projets de développement régionaux et bilatéraux avec des organisations sœurs de l’IE ainsi que le Fonds de solidarité de l’Internationale de l'Éducation.
2. Quelles sont les priorités de votre syndicat en matière de coopération internationale ?
Le développement de syndicats d’enseignants forts, indépendants, démocratiques et respectueux de l’égalité des genres, capables de promouvoir et de protéger les droits et les intérêts de leurs membres et de contribuer à une éducation de qualité pour tou·te·s, est notre principale priorité. On peut appeler cela le développement organisationnel ou le renouvellement syndical. Les projets peuvent aller de questions telles que la mise en place d’un système d’adhésion et de collecte des cotisations à des domaines tels que le développement de la formation syndicale et des campagnes basées sur la présence sur le lieu de travail. Une attention particulière est accordée aux femmes et aux jeunes afin de développer une direction représentative et de permettre à tous les membres d’être actif∙ive∙s au sein du syndicat.
3. Qu’apportent les projets de coopération internationale à votre syndicat ?
Le sentiment de faire partie à la fois de la profession enseignante et du mouvement syndical au niveau mondial. Cela nous donne un aperçu de la manière dont différents problèmes sont résolus dans différents contextes et des exemples que nous pouvons suivre, comme le système de ZIMTA en Afrique du Sud pour calculer le taux d’adhésion dans les régions comme base de référence pour l’organisation. Nous apprenons des victoires d’autres syndicats, par exemple en ce qui concerne la priorité accordée aux enseignant·e·s dans la campagne de vaccination contre la COVID-19 et nous l’utilisons dans notre propre plaidoyer. La coopération internationale est un moyen de rendre concrète la valeur syndicale de la solidarité.
Comment réinvestissez-vous le travail de coopération internationale dans votre syndicat ?
Dans les campagnes menées pendant la Semaine d’action mondiale pour l’éducation et la Journée mondiale des enseignant·e·s, nous demandons souvent des exemples et interviewons des collègues que nous avons rencontré·e·s grâce à la coopération internationale. Nous incluons la question de la coopération internationale dans nombre de nos formations syndicales destinées aux représentant·e·s sur le lieu de travail, aux conseils locaux et aux membres. Nous communiquons avec les membres par le biais de blogs et lors de réunions dans notre pays, et nous dialoguons également avec les enseignant·e·s que nous souhaitons recruter dans notre syndicat. Pour certains enseignant·e·s, notre coopération internationale est une raison d’adhérer au Lärarförbundet. Les enseignant·e·s à la recherche de valeurs syndicales mises en pratique considèrent souvent la solidarité internationale comme un élément dont il·elle·s veulent faire partie.
Le travail de coopération internationale de votre syndicat est-il quelque chose qui intéresse les membres de votre syndicat ?
Comme nous l’avons déjà mentionné, le congrès du Lärarförbundet a décidé à plusieurs reprises que le travail de CD devait faire partie des priorités du syndicat et il a prévu des fonds pour qu’il se poursuive. Parmi nos membres, il y a un groupe qui est engagé dans le travail international au sein des branches locales et ses réseaux régionaux (environ 35% des sections locales ont élu une personne responsable des affaires internationales au sein de leur conseil d’administration). Il∙Elle∙s lancent parfois leurs propres projets de coopération décentralisée, invitent des conférencier∙ère∙s et sont heureux∙euses d’inviter l’unité internationale et, à l’occasion, les partenaires de la coopération décentralisée aux réunions et événements des membres. Il existe un groupe plus important qui a une certaine connaissance de notre coopération internationale, qui pense que la solidarité internationale est importante et qui est heureux que le syndicat soit impliqué. Un domaine d’intérêt particulier pour les membres est la protestation contre les violations des droits syndicaux et autres droits humains. L’autre grand groupe ne connaît pas la coopération internationale du Lärarförbundet. La communication est un domaine délicat, et un syndicat a de nombreuses tâches importantes qui se disputent l’espace. Les membres choisissent également les questions qu’il∙elle∙s aiment suivre dans la communication syndicale.
4. Avez-vous des exemples concrets de réussite d’un projet de coopération ?
Les exemples de réussite les plus courants sont ceux des participant·e·s aux projets qui, des années plus tard, racontent comment leur syndicat, en collaboration avec Lärarförbundet, a mis en place des formations syndications ou des cercles d’étude au niveau local. Il·elle·s y ont participé, sont devenu∙e∙s des militant·e·s, ont osé se présenter aux élections et sont devenus des dirigeant·e·s syndicaux·ales au niveau local, national ou même mondial. Cela est particulièrement vrai pour de nombreuses femmes qui ont participé aux réseaux régionaux de femmes de l’Internationale de l'Éducation. Les syndicalistes qui ont pris part à des projets, par exemple au sein de la Confederação Nacional dos Trabalhadores em Educação (CNTE)/Brésil et du South African Democratic Teachers' Union (SADTU), dans des moments très difficiles, estiment que les projets étaient importants pour renforcer leurs syndicats dans leur lutte pour les droits syndicaux et la démocratie.
Un autre type de réussite est celui de Persatuan Guru Republik Indonesia (PGRI), qui a mis en œuvre un projet de renouveau syndical consistant à gérer les cotisations lorsque le système de retenue à la source a été abandonnée et, dans le même temps, à lancer des activités syndicales sur le lieu de travail en fonction des priorités de ses membres. Ce projet est mené en collaboration avec Utdanningsforbundet/Norvège, l' Australian Education Union (AEU), le Japan Teachers’ Union (JTU) et Lärarförbundet. Les évaluations font état de succès tant en termes généraux qu’au niveau local.
5. Quelle est la chose la plus difficile dans le travail de coopération internationale ?
Il peut souvent y avoir un sentiment d’inégalité en fonction des ressources financières ou des possibilités d’agir librement en tant que syndicat dans différents contextes. Lorsque des fonds sont disponibles, il est délicat de ne pas laisser l’argent guider les objectifs et les actions, il convient plutôt d’écouter le contexte, les priorités des organisations partenaires et d’être réaliste quant à ce qui est faisable. Les syndicats doivent être indépendants et il y a toujours un risque de créer une dépendance par le biais des fonds de CD. Le plus difficile est souvent de trouver la motivation et les systèmes de collecte des cotisations et d’indépendance financière lorsque des fonds externes sont disponibles. Nous travaillons souvent avec plusieurs organisations dans le cadre d’un même projet ou nous réalisons parfois que nous sommes plusieurs syndicats finançant des projets dans la même organisation. La transparence et la coordination ne sont pas faciles mais nécessaires. Comme nous participons nous-mêmes à des projets au sein du Comité syndical européen de l’éducation (CSEE), nous savons combien il est difficile de trouver le temps et de déterminer qui bénéficierait le plus du renforcement des capacités au sein de notre propre syndicat et qui pourrait en faire le meilleur usage.
6. Quels conseils donneriez-vous à un syndicat désireux de s’engager dans la coopération internationale ?
D’après notre expérience, la coopération qui est orientée et incluse dans le plan stratégique d’un syndicat défini par son congrès a les meilleures chances de réussir. Trop de projets complémentaires ont tendance à détourner l’attention de la vision et de la mission générales d’un syndicat. Commencez donc par vous demander « Qu’avons-nous prévu — dans quel domaine pourrions-nous faire bon usage d’un partenariat avec d’autres syndicats ? » Lärarförbundet, en tant que partie de notre structure régionale européenne, le CSEE, bénéficie d’un large éventail de possibilités de renforcement des capacités. Nous participons aux projets qui correspondent à notre situation en tant que syndicat. Les questions que nous abordons, telles que les réfugié∙e∙s, l’éducation et le renouveau syndical, en sont des exemples. Ou bien nous participons parce que nous avons simplement besoin d’apprendre, comme dans le domaine de l’éducation au changement climatique.
Demandez aux collègues qui font partie d’un partenariat de coopération au développement où il·elle·s pensent avoir été utile. Accordez suffisamment de temps à la phase de planification et définissez dès le départ les objectifs, les méthodes appropriées, les personnes responsables et les systèmes financiers et administratifs. Lors de la planification, décidez dès le début du suivi, du compte rendu et de l’évaluation de votre projet. Même si vous avez en tête des résultats visionnaires à long terme, commencez petit. De nouvelles idées naîtront de l’expérience, et vous devrez ajuster les plans initiaux à plusieurs reprises. Assurez-vous que le projet ne dépend pas d’une seule personne (coordinateur·trice de projet, secrétaire général·e). Impliquer les élu∙e∙s et le personnel dans la gestion du projet le rend moins vulnérable. Nous devons nous répéter ce même conseil, même si nous avons de nombreuses années d’expérience !