Nadine A. Molloy a récemment obtenu une reconnaissance nationale du Jamaica Observer pour son travail extraordinaire à la tête de l’établissement secondaire Ardenne High School de Kingston durant la crise dévastatrice de la Covid-19 [1]. Nous lui avons demandé de nous parler de son expérience concernant l’intégration des technologies dans l’enseignement et des moyens mis en place pour assurer la bonne préparation du personnel enseignant et des élèves, garantir un taux élevé de participation aux cours en ligne et améliorer les résultats aux examens.
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Le 12 mars 2020, la Jamaïque a rejoint le reste du monde dans son confinement imposé par la pandémie de COVID-19. Craintes et incertitudes ont pris le pas et ont fait vaciller la communauté éducative. Comment assurer la continuité de l’enseignement, en supposant que cela soit possible ? Au cours de la semaine qui a précédé l’inévitable, les équipes de direction de l’Ardenne High School ont réfléchi aux moyens de rester en contact avec nos élèves, en particulier ceux et celles inscrit·e·s à l’examen marquant la fin du cycle secondaire du Conseil régional des examens des Caraïbes ( Caribbean Examinations Council, CXC), devant avoir lieu aux mois de mai et juin. La réponse des équipes de développement technologique chargées d’intégrer les technologies de l'information et de la communication (TIC) à l’enseignement, à l’apprentissage et au processus d’évaluation a été immédiate. Nous étions confiants de pouvoir nous appuyer sur ce que nous savions et de notre capacité d’apprendre dans un environnement virtuel.
Qu’est-ce qui a fonctionné pour l’école secondaire Ardenne et rendu si facile la transition entre enseignement présentiel et virtuel ? La technologie et son intégration à l’éducation faisaient déjà partie du plan d’amélioration de l’école mis en place par la direction de 2017 à 2020. Plusieurs années de modernisation technologique et de développement des compétences du personnel nous ont permis de faciliter la transition entre l’enseignement présentiel et distanciel. Des directives et politiques ont été mises en place dans le cadre de l’initiative BYOD ( Bring Your Own Device en anglais, ce qui signifie « Prenez vos appareils personnels »), concernant l’utilisation des réseaux sociaux et l’intégration des TIC. Aux examens, chaque élève doit présenter une matière en utilisant la technologie. Par ailleurs, l’école a adopté le principe du fonctionnement sans papier, la plupart de nos systèmes ayant été transférés en ligne au cours de ces six dernières années. Quiconque rejoint notre école reçoit une formation consacrée à l’utilisation des technologies, pour tous les aspects du fonctionnement de l’établissement. La communication se fait uniquement par voie électronique. Les technologies utilisées dans les classes, comme les tableaux interactifs, ainsi que l’accessibilité à Internet dans l’ensemble de l’établissement, ne cessent de se développer. Google Classroom, Schoology, Edmodo, RenWeb LMS et Moodle, entre autres, sont des plateformes fort appréciées au sein de notre communauté et de nos cercles d’apprentissage professionnels. Nous avons mis en place un projet pilote pour l’évaluation numérique et, malgré une tentative de piratage informatique, l’ensemble des élèves nous ont fait part de leurs avis positifs et de leurs propositions d’amélioration. Les responsabilités et fonctions ont été redéfinies au sein des équipes, remaniées elles aussi, tout comme la description des emplois et des postes. La technologie fait partie intégrante de la culture de l’école.
Le processus
L’aspect le plus simple aura probablement été d’amener le personnel à comprendre que la quatrième révolution industrielle transformait rapidement le monde du travail et les études vers lesquelles se dirigent nos élèves. Les activités de la communauté d’apprentissage professionnelle étaient ambitieuses, cohérentes et, point le plus important, pilotées en interne. Nous avons eu droit aux réticences habituelles mais, en général, le mouvement a été bien suivi, au travers de la participation aux échanges et aux séances de formation. Les élèves voulaient utiliser leurs appareils à l’école, mais cela impliquait aussi que tous les divertissements seraient à portée de main. Le facteur divertissement inhérent au monde virtuel aura été le volet le plus difficile à gérer : il nous a fallu repenser la technologie et la recentrer en tant que puissant outil d’apprentissage. Malgré certaines réserves de la part des parents, nous avons poursuivi et renforcé notre intégration de la technologie au mois de septembre 2020.
Le 12 mars 2020, les impératifs ont pris le pas. Nous devions entrer en contact avec nos élèves de fin de cycle pour la préparation finale des examens, d’une durée d’au moins six semaines. Nous devions continuer l’enseignement à tous les niveaux, même si nous encouragions vivement l’apprentissage autonome. Il ne nous est jamais venu à l’esprit que nous ne puissions pas joindre nos élèves en ligne, compte tenu de notre stratégie en matière de technologie. Nous avons commencé par faire un état des lieux. J’étais en vacances, confinée, et j’ai donc été amenée à participer au processus. Tout s’annonçait bien, vu que la plupart des élèves possédaient déjà leurs propres appareils et avaient accès à Internet. L’école a proposé une aide aux membres du personnel qui ne disposaient pas des équipements adaptés à l’enseignement. L’enseignement a débuté le 13 mars, plusieurs collègues et élèves ont acheté du matériel et, dès la semaine suivante, les cours battaient leur plein, avec un taux de participation de 90 à 100 %. Au fil des semaines, les commentaires des parents et des élèves ont commencé à mettre en lumière les améliorations évidentes qui avaient été observées. Les élèves ont passé leurs examens et nous sommes satisfait·e·s de l’amélioration de leurs résultats par rapport à l’année précédente.
Reconnaître le rôle de l’école en tant qu’environnement sûr pour la socialisation et l’équilibre d’un grand nombre d’élèves ne nous a laissé d’autre choix que celui de transférer également en ligne notre programme de conseil et d’orientation, nos clubs et sociétés, notre programme d’accompagnement, ainsi que nos activités culturelles telles que la Journée du patrimoine, les conférences de prestige, les divertissements de Noël, la cérémonie de remise des prix et, prochainement, notre service communautaire. Le personnel n’est pas en reste avec les soirées virtuelles. La cerise sur le gâteau a été la fête de Noël, à la fin du premier trimestre. Nous étions tellement heureux·euses de nous voir en personne après tant de mois passés sur Zoom ou Google Classroom. Les enseignant·e·s ont néanmoins le choix de travailler soit à l’école, soit à la maison.
La reconnaissance institutionnelle des progrès réalisés par notre école est tout aussi motivant que le fait d’être soutenu.
Lorsque cela s’avérait nécessaire, les élèves sont venu·e·s à l’école effectuer des exercices de laboratoire en présentiel. Notre première expérience d’examen virtuel interne s’est terminée le 12 février. Certains jours, lorsque je suis les agents de surveillance du processus sur l’outil d’évaluation sécurisé Inspera, via les groupes WhatsApp, j’ai l’impression de regarder un film. Les enseignant·e·s seront toujours des enseignant·e·s et les élèves essaieront toujours de nous surpasser. Les élèves sont plus nombreux à s’être amélioré·e·s qu’à avoir stagné ou régressé dans les environnements en ligne. Les enseignant·e·s font preuve de plus d’habileté pour préparer des leçons appropriées. Notre école a la capacité de se maintenir en ligne, mais le bruit des élèves dans les classes et les cours de récréation nous manque. Nous attendons avec impatience une interface mixte, que nous espérons voir mise en place dans quelques semaines, ainsi que le retour à l’enseignement présentiel dès que la pandémie le permettra.
Oui, nous avons beaucoup appris sur nous-mêmes et nos élèves. Notre préparation nous a permis d’atteindre une moyenne de fréquentation des élèves située dans le 90e percentile. Il reste beaucoup à apprendre de l’analyse des données, mais nous savons pertinemment bien que les programmes d’études ne peuvent pas être les mêmes. Internet occupe la place que beaucoup avaient imaginé : un outil puissant pour accéder à l’information, la générer et la diffuser. Je me rappellerai toujours ce collègue qui me demandait où pourraient encore travailler ou étudier nos élèves avec une équerre au lieu d’un logiciel de dessin comme AutoCad. Cette conversation a été l’un des éléments catalyseurs qui m’ont poussée à orienter notre école dans une direction plus proche du monde auquel nous préparons nos élèves. Maintenant que nous utilisons pleinement AutoCad, je répondrais en toute confiance : « Mais quelle équerre ? ».
[1] Voir http://www.jamaicaobserver.com/all-woman/20-women_who_rocked_2020_210691?profile=1606
Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.