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« Les émeutes constituent un moment de vérité pour les géants de l’Internet »

Publié 20 janvier 2021 Mis à jour 1 juillet 2021
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Alors que l’investiture du président élu Joe Biden a lieu cette semaine dans l’enceinte d’un Capitole américain mis sous cloche et placé sous haute surveillance militaire, un front se dessine actuellement, dans le cadre d’une tentative politique concertée de réglementer le pouvoir des géants de l’Internet tels que Facebook, Google et Twitter. La domination non réglementée du monde virtuel par une poignée d’entreprises a non seulement porté préjudice à la politique américaine, mais elle a également compromis la mission des défenseur·euse·s de la vérité, comme les enseignant·e·s et les journalistes, qui consiste à créer des espaces d’information sûrs et fiables pour l’ensemble de la population.

La puissance de ces entreprises et leur capacité à façonner le discours public ont été clairement démontrées par la décision coordonnée de bloquer l’accès de Trump et de ses sympathisant·e·s à leurs plateformes en ligne. Cette initiative a eu un effet immédiat : une diminution instantanée de la diffusion de fausses informations.

La désinformation en ligne concernant la fraude électorale a chuté de 73 % au cours de la semaine qui a suivi la décision de Twitter de fermer le compte de Trump (8 janvier). Selon le Washington Post, la fermeture des comptes de Trump et de toute une série de conspirationnistes de droite s’est révélée efficace, du moins à court terme.

Cela a non seulement permis de ralentir la diffusion de mensonges malveillants, mais également de réduire drastiquement le nombre de propos incendiaires en ligne concernant l’opposition violente et armée au scrutin électoral, qui a abouti à l’assaut du Capitole le 6 janvier dernier.

Mais pourquoi, se demandent nombre d’entre nous, a-t-il fallu autant de temps aux entreprises technologiques pour reconnaître leur responsabilité, après quatre années de discours et de mensonges politiques haineux et délétères et une dizaine d’années de communications abusives et toxiques à tous les niveaux ?

Le monde des communications créé par ces entreprises a supposé une exploitation sans entrave du mensonge, des fausses nouvelles et de l’information abusive, qui a nui au travail des journalistes, des universitaires, des enseignant·e·s, du personnel de la fonction publique et des responsables politiques et qui a divisé la société en factions rivales.

Cela a également contribué à générer des bénéfices colossaux et à créer une cabale de sociétés pesant plusieurs milliers de milliards de dollars, plus grandes et plus puissantes que n’importe quelle entreprise dans toute l’histoire du capitalisme américain.

Ces entreprises ont engrangé des milliards de dollars en tirant parti du vide juridique causé par l’aversion de longue date à contrôler Internet aux États-Unis et ailleurs.

Aujourd’hui, les mentalités ont changé. Les responsables politiques et les organisations de la société civile veulent reprendre le contrôle de leur espace d’information et restaurer la confiance de la population dans les communications fondées sur des éléments factuels, ainsi que la décence dans le discours civil et public.

En particulier, une demande croissante vise à mettre fin aux mensonges malveillants, au plagiat, aux violations des droits d’auteur, à la désinformation, aux discours de haine et aux abus personnels.

Le journalisme et les médias d’information ont un intérêt particulier à revenir aux valeurs de la communication. Au cours de ces vingt dernières années, le modèle commercial sans éthique des réseaux sociaux comme Facebook a drainé des recettes publicitaires essentielles de l’industrie de l’information, entraînant des fermetures massives et la perte de plusieurs dizaines de milliers d’emplois.

Le travail d’investigation des journalistes éthiques et les précieuses recherches des universitaires méritent d’être connus, mais à l’ère des fausses informations et des vérités « alternatives » colportées en ligne, les vérités fondamentales ont été mises sur le côté, souvent avec hostilité et mépris.

Comme le souligne le Financial Times cette semaine, les sociétés de médias sociaux semblent avoir réussi à se frayer un chemin sur le terrain miné de la campagne présidentielle de cette année, évitant les accusations de partialité, de fausses informations et d’ingérence étrangère qui ont jeté une ombre sur leur rôle dans l’élection de Trump en 2016.

Mais elles se sont heurtées au rejet délibéré du résultat des élections par Trump. Le fait de ne pas avoir anticipé que sa campagne « Élections volées » aurait des conséquences catastrophiques les a exposées à la critique au lendemain de l’assaut du Capitole. Pris de panique, Facebook et Twitter ont fermé les comptes du président. D’autres entreprises technologiques ont rapidement emboîté le pas.

Les discussions portent à présent sur la nécessité de renforcer les lois, de supprimer les protections juridiques des plateformes technologiques et de définir des règles pour contrôler les contenus en ligne.

L’émeute de Washington et l’interdiction des tweets de Trump montrent que le discours civique américain est en crise et que les sociétés du numérique, trop grandes et trop puissantes, ont une part de responsabilité. La question du démantèlement de ces conglomérats massifs est également sur la table.

L’une des options qui s’offrent au président Biden sera d’appliquer la législation antitrust pour renforcer la concurrence entre les médias sociaux et proposer un plus grand choix de plateformes en ligne à la population. Le gouvernement américain conteste déjà l’acquisition par Facebook d’Instagram et WhatsApp, tandis celle de YouTube par Google est également à l’étude.

La politique antitrust pourrait contribuer à améliorer le discours civique, mais la liberté d’expression suppose également de permettre à des sites marginaux de se faire une place sur Internet – même un groupe comme Parler, qui ne cache pas son soutien indéfectible à Trump, doit pouvoir être entendu, dès lors qu’il existe des réglementations efficaces pour prévenir l’incitation à la haine et à la violence.

Les torts causés hors ligne par les discours en ligne sont bien réels, comme vous le confirmera n’importe quel·le enseignant·e, et ces entreprises doivent mettre en place des méthodes transparentes pour maintenir l’ordre en interne. Une des principales améliorations consistera à assurer la transparence concernant les règles appliquées par les plateformes pour modérer les discours et à les appliquer de façon plus cohérente.

En Europe, des mesures ont déjà été prises pour imposer des contrôles de sécurité aux sociétés Internet, faisant office de garde-fous, notamment un audit transparent de leur utilisation des algorithmes et de leurs décisions concernant la modération du contenu. La législation de l'Union européenne sur les services numériques obligera les entreprises technologiques à en faire plus pour lutter contre les discours de haine.

Un contrôle externe et indépendant des entreprises technologiques et de leurs décisions les plus controversées sera essentiel.

Afin d'éviter les ingérences extérieures, un processus d'autorégulation, comme le Conseil de surveillance de Facebook, a été mis en place l'année dernière. Mais il est inévitablement entravé par ses liens avec l’entreprise, comme l’a fait remarquer Emily Bell, journaliste et universitaire renommée : « Tout cela est si tristement lent et incroyablement limité dans la portée qu’il est très difficile de l’interpréter autrement que comme un exercice de relations publiques ».

La plupart des observateur·trice·s penseront que le temps est révolu, où les entreprises technologiques pouvaient gérer elles-mêmes leurs dérives. Après la démonstration, la semaine dernière, du pouvoir des géants de l’Internet sur le discours politique, ils seront très bientôt tenus de reprendre la place qui est la leur et de rendre des comptes au public qu’ils servent.

Le contenu et les avis exprimés dans ce blog sont ceux de son auteur et ne reflètent pas nécessairement la position officielle de l’Internationale de l’Education.